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La propagande des majors de l’eau ne résiste pas à l’analyse

11 janvier 2008

par Marc Laimé - eauxglacees.com

De plus en plus sévèrement mises en cause les majors de l’eau déversent des flots de propagande sur leur clientèle de collectivités aux fins de leur faire prendre des vessies pour des lanternes. Le syndicat patronal créé par Veolia, Suez et Vivendi, la FP2E, a ainsi édité un numéro spécial de sa lettre d’information Aquae à l’occasion du dernier congrès des maires de France qui se tenait en novembre 2007. La FP2E y « récusait les calculs de Que Choisir », qui accuse les majors de l’eau de réaliser des profits colossaux sur le dos des usagers. L’un des plus anciens militants de l’eau français a analysé la propagande du cartel de l’eau. Edifiant…



Georges Chartier, militant de l’eau, aujourd’hui âgé de 82 ans, se bat depuis 1998 en Dordogne avec l’association Transparence pour réclamer son avènement dans un département « privatisé » à près de 100%, selon son expression.

Georges Chartier avait déjà analysé ici même les vérités comptables qui éclairent le débat gestion publique/gestion privée.

Eaux glacées salue à nouveau son engagement et le remercie de cette nouvelle contribution à la lutte pour la republicisation de l’eau.

Le texte ci-après a été établi par M. Georges Chartier, de l’association Transparence.

« Dans le numéro spécial d’Aquae de novembre 2007 M. Patrick Barthelemy, Vice-président de la FP2E souligne :

 l’extension du rôle des commissions consultatives des services publics locaux.(CCSPL),

 la définition rigoureuse du contenu du rapport annuel du délégataire (décret du 14 mars 2005),

 la mise en place à grande échelle des premiers indicateurs de performance par la FP2E.

A lire ces affirmations, tout semblerait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Sur le terrain, la réalité est très souvent bien différente.

Dans beaucoup de départements, comme en Dordogne, bastion de la gestion affermée, il n’y a pratiquement pas de CCSPL, la limite de 3500 habitants ayant été portée à 10000 habitants.

On ne va donc pas vers le développement du dialogue comme indiqué dans la lettre de la FP2E mais vers toute impossibilité d’animer le débat local…

Quant à la définition rigoureuse du contenu du rapport annuel du délégataire
(décret de la DGCL du 14 mars 2005), elle est loin d’être suffisante pour le consommateur-citoyen qui se trouve parfois en présence d’impressionnantes marges brutes négatives résultant d’imputations de charges « économiques » invérifiables.

De plus, dans ce rapport, la situation du recouvrement des sommes destinées aux collectivités publiques de l’eau n’apparaît jamais.

Les milliards d’euros de l’eau et de l’assainissement qui grossissent d’année en année sont essentiellement recouvrés par les adhérents de la FP2E (Veolia, Suez et Saur).

Mais au recouvrement direct, gratuit et sécurisé des comptables publics se trouve systématiquement substitué un recouvrement indirect, coûteux, non contrôlé.

Cet argent ne « reste pas dans la poche » des opérateurs privés nous affirment certains.

Mais ces affirmations ne peuvent remplacer des situations comptables vérifiables et certifiées.

L’ouvrage de l’ordre des experts comptables relatif au rapport annuel du délégataire de service public, très rigoureux par ailleurs, signale (page 44) :

« La ventilation des produits perçus au profit de tous les intervenants publics, peut faire l’objet d’une annexe autonome permettant ainsi d’informer sur l’application des tarifs autorisés, les appels de fonds et les reversements effectivement effectués ».

L’utilisation du verbe « peut » est surprenante.

Pourquoi pas le verbe « doit » ?

S’agissant de sommes considérables, de l’argent destiné à financer les réseaux et ouvrages publics de l’eau et de l’assainissement, on est déconcerté face à une absence d’obligation de justifier de manière très précise le décalage qui existe entre les appels de fonds et les reversements.

Il y a un décalage important du fait des délais de reversement et du montant de l’arriéré mais les délégataires s’abstiennent de donner les informations permettant de suivre l’évolution de ce décalage.

Quant à l’administration, elle l’occulte dans les comptes publics.

Si toutes les comptabilités, même celles de l’Etat et des organismes de sécurité sociale sont tenues en droits constatés, il demeure une exception de fait pour les services d’eau affermés.

Pour la surtaxe, ces derniers ne tiennent qu’une comptabilité « de caisse ».

C’est contraire à tous les principes du plan comptable général.

En ignorant les appels de fonds des délégataires on interdit tout rapprochement avec les reversements.

Ainsi s’est mis en place un système sciemment opaque, qui aboutit à ce que le montant des fonds publics en instance dans les caisses des fermiers (et qu’ils devront reverser tant aux Agences de l’eau qu’aux collectivités, note Eaux glacées) ne puisse jamais être chiffré.

En gestion publique il n’y a pas de décalage et les fonds publics demeurent dans le circuit du Trésor public, banquier de l’Etat, au bénéfice de tous les contribuables.

Selon une réponse ministérielle du 8 novembre 1999 « la facturation du service rendu et son recouvrement amiable ou contentieux relèvent de la responsabilité du fermier. Ils ne sauraient en aucun cas être confiés aux services du Trésor car ceux-ci ne sont autorisés à manier que des fonds publics. Or, les redevances versées par les usagers sont des fonds privés »

Les entreprises délégataires ont le monopole du recouvrement des factures d’eau et d’assainissement. Or de 50 à 75% du montant global des sommes par elles recouvrées sont des fonds destinés aux caisses publiques.

Dans ces conditions, la réponse ministérielle apparaît incompréhensible.

Les comptables du Trésor, avec toutes les garanties de rigueur, de sécurité, qu’ils présentent ne peuvent pas manier les fonds publics amalgamés aux prestations privées, mais les opérateurs privés peuvent manier et gérer des fonds publics, sans avoir de comptes à rendre !

C’est une situation ubuesque qui mériterait bien « un Grenelle » des comptes de l’eau.

Quant à la mise en place à grande échelle des premiers indicateurs de performance par la FP2E, les consommateurs d’eau peuvent craindre que ce ne soit qu’un nuage de fumée coûteux, conduisant à une facture encore plus élevée et à une désinformation mettant en relief les soi-disant avantages de la gestion privée sur la gestion publique. »

A SONG :

Die Einheitsfront – Kurt Weill/Bertold Brecht

Marc Laimé - eauxglacees.com