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Une commune des Vosges reprend le contrôle de la gestion de l’eau

10 décembre 2007

par Marc Laimé - eauxglacees.com

A Cornimont dans les Vosges, une ville de 3700 habitants, l’équipe municipale élue en 2001 a procédé à la remunicipalisation de la gestion de l’eau, effective depuis le 1er avril 2007, et engagé des travaux remarquables afin de sécuriser sa ressource et d’en promouvoir une gestion respectueuse de l’environnement. La démarche est exemplaire et mérite d’inspirer les centaines de collectivités françaises qui réfléchissent à la republicisation de l’eau, plébiscitée par les centaines de collectifs d’usagers qui se mobilisent partout en France contre les excès de la gestion privée de l’eau.



Dès le début de son mandat la nouvelle équipe municipale entreprend une analyse des ressources, des réseaux, des ouvrages et de leur fonctionnement, intégrant les aspects quantitatif, qualitatif, économique et environnemental du problème, afin de s’assurer du bien fondé et de la possibilité du retour à une gestion directe. Décision que le conseil municipal vote à l’unanimité le 16 septembre 2005, dans l’attente de la fin du contrat délégué à la Lyonnaise des eaux depuis 15 ans, dont les performances se traduisaient hélas par un taux de fuites du réseau catastrophique, puisqu’il atteignait 52% !

Sécuriser la ressource

La sécheresse de 2003 avait révélé un manque d’eau par captage représentant près de 50% des besoins, soit un volume de 250 à 300 m3 d’eau par jour. La municipalité décide d’effectuer une étude hydrogéologique qui sera réalisée par l’ASGA de Vandoeuvre-les-Nancy d’avril à octobre 2005, et identifiera 4 nouveaux points de captage potentiellement intéressants, de manière à combler le déficit et à anticiper l’avenir.

La consommation d’eau des bâtiments municipaux fait également l’objet d’une étude, qui permettra de réaliser près de 1000 m3 d’économies de 2003 à 2006.

Dans le courant de l’année 2006 des travaux sont engagés afin de supprimer les secteurs fuyants, avec pour objectif d’améliorer le rendement du réseau et de diminuer le coût du traitement, de poser des compteurs de sectorisation qui permettent d’aider à la recherche de fuites par secteur, et de renouveler l’un des réservoirs de desserte de la commune. C’est la DDAF qui sera maître d’ouvre de cette opération réalisé de novembre 2006 à mars 2007. Il s’agit de renforcer l’étanchéité de la dalle du réservoir et de poser des drains, de traiter les poutrelles de soutien de la dalle, de procéder à l’enlèvement du revêtement bitumineux et de poser un enduit d’étanchéité de qualité alimentaire.

Toujours en 2006 la commune confie à une société spécialisée, assistée par la DDAF des Vosges qui intervient en qualité de maître d’ouvrage, la réalisation de deux forages sur l’un des quatre sites précédemment identifiés, le Vallon de Travexin. Le premier forage, profond de 20 mètres assure un débit de 12m3 / heure, le second, profond de 14 mètres, de 20m3 / heure. Les analyses effectuées attestent que les qualités physico-chimiques et bactériologiques de l’eau sont bonnes et les paramètres liés à la radioactivité conformes.

L’addition des résultats est supérieure aux besoins actuels de la commune puisque les ressources journalières en sortie de station de traitement sont évaluées à environ 570 m3 par jour, alors que les nouvelles possibilités de pompage atteignent 720 m3 par jour.

L’exploitation de ces nouvelles ressources va nécessiter des travaux programmés pour 2008 : aménagement des têtes de forage, équipement, construction d’une mini-station de traitement, construction d’un réservoir de 300 m3 et pose de canalisations.

Lutter contre l’acidification des sols

La région est particulièrement affectée par l’acidification des sols et des eaux, qui trouve son origine dans le phénomène des pluies acides qui a débuté il y 150 ans avec le développement industriel de la Lorraine. Dans les années 1960-1970 le problème prend de l’ampleur avec pour effets le dépérissement des forêts, l’appauvrissement biologique des cours d’eau et une très forte déminéralisation (calcium et magnésium) des sols, de leur végétation et des cours d’eau. Dès 1985 la société de pêche de Cornimont attirait l’attention des scientifiques en les sensibilisant sur la disparition de la truite.

Aussi entre le 7 et le 9 octobre 2003 deux opérations d’amendement calco-magnésien sont réalisées pour la première fois en France dans les Vosges, à Senones et Cornimont. Portée par la volonté des chercheurs et des gestionnaires forestiers concernés, elle est effectuée par le biais d’un amendement réalisé par hélicoptère, à raison de 3 tonnes par hectare, sur une parcelle de 76 hectares à Longfoigneux.

L’opération est le fruit d’une coopération entre l’ONF, l’INRA, l’Université de Metz, le CNRS, la DIREN, le ministère de l’Agriculture et de la Pêche, l’agence de bassin Rhin-Meuse et le Conseil général des Vosges.

La commune organise, dans le cadre du retour en régie municipale, les 16, 17 et 18 mai 2007 une conférence consacrée aux résultats de cet amendement à laquelle participent M. Etienne Dambrine, chercheur à l’INRA de Nancy et M. François Guerold, maître de conférences à l’Université de Metz.

Cornimont

Protéger les captages

La mobilisation des nouveaux captages doit évidemment emporter la définition de périmètres de protection, immédiat, rapproché et de protection éloigné, conformément à la réglementation. Une étude d’élaboration sera donc finalisée en 2007, dont les phases successives comprennent des analyses d’eau, la réalisation d’un plan par un géomètre, l’établissement du rapport de dossier préparatoire, le recueil de l’avis d’un hydrogéologue agréé, le traçage parcellaire des périmètres de protection rapprochée, le bornage des périmètres immédiats, la préparation par la DDASS du dossier d’enquête publique et sa transmission à la préfecture, l’enquête publique elle même, puis la délivrance de l’arrêté préfectoral.

Moduler la redevance de lutte contre la pollution

Cornimont et la commune voisine de La Bresse s’unissent par ailleurs afin que la redevance pollution versée à l’Agence de l’eau soit la même pour les deux communes, dans le cadre du Syndicat intercommunal d’assainissement. Le résultat est spectaculaire puisque le montant de la redevance pollution par m3 consommé passe de 0,963 euros en 2005 à 0,672 euros en 2006, puis 0,412 euros en 2007…

Abandonner les pesticides

La commune s’engage en outre à ne plus utiliser d’herbicides, de pesticides ou de fongicides pour l’entretien de la voirie et des locaux municipaux (écoles, mairie, salle polyvalente…), puisqu’ils présentent des risques importants de pollution des eaux en milieu urbain. Les produits traditionnels vont être remplacés par des produits biodégradables. Au niveau des services municipaux, avec l’aide de l’organisme Fredon Lorraine (Fédération régionale contre les organismes nuisibles de Lorraine), est mis en place un plan de désherbage, une formation du personnel, tandis que la commune fait l’acquisition d’une machine à désherber à vapeur. Une réunion publique est organisée le 7 avril 2006 : « Notre eau, notre espace et les pesticides ».

Sensibiliser le public

Plusieurs interventions en direction d’élèves de CM1 et CM2 et de classes de collège permettent de sensibiliser les enfants à la préservation de la ressource en eau, avant qu’une autre réunion publique organisée le 19 mai 2006 ne s’adresse à leurs parents, avec pour objectif de les sensibiliser eux aussi aux économies d’eau.

Plus innovant encore, l’aménagement des sanitaires du local de maintenance des fontainiers prévoit d’y installer des toilettes sèches. La chasse d’eau est remplacée par des matières riches en cellulose et les matières recueillies seront ensuite mises en compostage.

Le retour à une gestion municipale

Afin de préparer le retour en gestion directe la commune se dote d’un service et recrute deux fontainiers et une secrétaire à mi-temps. Définition des postes, élaboration du budget, mise en place de la facturation, organisation de l’archivage (plan des réseaux, ouvrages, travaux, subventions, historique), élaboration du règlement de service, organisation du service technique (locaux, matériels, stock de pièces détachées, véhicules, produits de traitement de l’eau, télégestion…). Aux dires de l’équipe municipale, rien d’impossible, juste un travail assidu et une ferme volonté politique d’aboutir…

Premier bilan

Daniel Valentin , maire de Cornimont, qui a porté l’opération à bout de bras depuis 2001 avec un enthousiasme communicatif, dresse un premier bilan de l’opération huit mois après la remunicipalisation intervenue le 1er avril 2007.

« Au plan technique c’est très positif : jamais le rendement n’a été aussi bon puisqu il atteint les 80%, voire plus, nettement supérieur à ce qui était obtenu précédemment, le contrat de l époque ne comportant pas d’obligation de résultat…

« Ce bon résultat est obtenu avec deux fontainiers compétents et motivés, qui ont, et en qui nous avons confiance, et qui sont en passe de bien s’approprier le réseau. Nous sommes sur la bonne voie pour retrouver la maîtrise et reconstituer la mémoire de ce service.

« Au plan économique nous allons dégager bon an mal an environ 35 000 euros qui seront réinvestis tant il y a à faire !

« La Lyonnaise accusait une perte annuelle d’environ 100 000 euros, ce qui représente le minimum de différentiel avec nos résultats…

« Nous avons profité de la baisse de la redevance pollution pour augmenter le coût intrinsèque de l’eau de 0, 26 euros et c’est cette augmentation qui nous permettra de réaliser les investissements à venir.

« Ce ne sera pas suffisant parce que la gestion précédente n’a pas été judicieuse et a grevé le budget. Ainsi la surtaxe communale, seule rentrée pour la commune, était insuffisante et, de ce fait, nous pouvons penser que nous serions allés dans le mur en continuant ainsi avec la Lyonnaise : l’abonné aurait eu droit non pas à une, mais à deux augmentations : celle de la Lyonnaise vraisemblablement conséquente (au minimum 60 % en se référant à une demande précédente qui n’a pas abouti), et celle de la commune.

« Sur un plan environnemental, comme la protection de la ressource est notre souci majeur, nous avons conduit à bien toute la procédure de protection des périmètres de captage. Reste la phase pratique de bornage de quelques captages.

« Nous sommes très fiers d’avoir reçu récemment le Trophée de l’eau, catégorie « Eau et santé », décerné par l’Agence de bassin Rhin-Meuse, récompensant l’abandon total des pesticides par notre service espaces verts et toutes les actions menées en parallèle. »

« L’eau est notre patrimoine, elle fait partie de nous-mêmes à travers nos aînés. Ethiquement parlant ce n’est pas un produit marchand, d’où la notion d’abonné, et non de client. Il n’est pas simple de revenir en régie municipale car nous avions perdu la maîtrise de notre eau, ou si vous préférez les clés de cette gestion. Plus grave encore, nous avions perdu la mémoire.

« Le travail sera long, malaisé, mais c’est un magnifique défi de rebondir sur la mémoire retrouvée pour construire l’avenir. L’eau ne s’arrête pas aux services, aux canalisations, aux ressources, elle est malheureusement victime de sa banalisation et de l’inconscience, tellement elle est dégradée et salie.

« L’eau est source de vie, source de notre vie, de la vie de nos enfants, des générations à venir. Protégeons là et économisons là ! »

Eaux glacées félicite l’équipe municipale de Cornimont et son maire, dont la démarche exemplaire mérite d’inspirer militants et élus qui luttent partout en France pour une gestion équitable et soutenable de l’eau.

Que mille Cornimont fleurissent !

Contact :

Daniel Valentin, maire de Cornimont :

mada5@wanadoo.fr

Voir aussi l’excellent reportage réalisé par Julia Pascual, étudiante au CFJ, diffusé par Rue 89 le 13 décembre 2007 : Et si on (re) passait à une régie publique de l’eau ?

Marc Laimé - eauxglacees.com