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Hommage à Jacques Michel

9 novembre 2016

par Marc Laimé - eauxglacees.com

A l’orée des années 90 un homme symbolisera les dérives délétères des marchés de l’eau en France, après que la Générale des eaux ait été impliquée dans un véritable complot pour le faire taire, qui sera sanctionné par la justice. L’action de Jacques Michel résonne encore aujourd’hui, alors que réapparaissent des pratiques que l’on aurait pu croire révolues.



Né en 1930, Jacques Michel fera carrière au sein de la Lyonnaise des eaux. A sa retraite, il prend fait et cause pour les collectivités locales qu’il a longtemps connu “es qualités”, et les assiste, les défend, face aux trois majors françaises, la Générale, la Lyonnaise et la Saur.

L’époque est terrible, la première étape de la décentralisation, avec les lois “Defferre” de 1982-1983 a “libéré” les élus de la tutelle préfectorale.

De 1985 à 1995 le chiffre d’affaires de la Générale des eaux en France est multiplié par trois. Elle signe davantage de contrats en dix ans qu’elle ne l’avait fait depuis sa création en 1853…

Le financement public des partis politiques n’existe pas. Jusqu’en 1993, avant la loi Sapin, il il n‘existe pas d’appel d’offres et de procédure encadrée pour les contrats de délégation de service public…

Les Trois Soeurs signent à tour de bras des contrats léonins. Avec les “droits d’entrée”, pratique qui ne sera interdite qu’en 1995, la signature d’un contrat s’accompagne du versement de soultes occultes par les majors aux collectivités, qui les utilisent pour construire des équipements sportifs, des médiathèques…, le tout sur le dos des usagers qui paient la note sans le savoir par le biais de la facture d’eau.

Dans ce contexte les “affaires politico-financières” explosent, illustrant le financement délétère de la vie politique par les grandes entreprises qui vivent des marchés publics.

A Grenoble un ministre sera condamné et emprisonné pour avoir conclu un pacte de corruption avec la Lyonnaise des eaux.

L’action de Jacques Michel, qui assiste des collectivités locales, va très vite susciter l’ire des grands groupes.

L’arrestation d’un commando armé à la gare de Lyon révélera un projet commandité par l’une des majors visant à le faire taire. L’affaire fera scandale.

L’Affaire Jacques Michel, Le Canard Enchaïné, 1994.

L’affaire Jacques Michel. Le Canard Enchaîné, 1994.

L’Affaire Jacques Michel, l’Evénement du Jeudi, avril 1995.

L’Affaire Jacques Michel. L’Evénement du Jeudi, avril 1995.

Quelques années plus tard Jacques Michel sera poursuivi en diffamation par l’une des majors. Au procès, plusieurs collectivités lui établissent des certificats élogieux.

Encore quelques années plus tard il apparaît dans un film extraordinaire, aujourd’hui oublié, dans lequel il narre ses aventures. On découvre aussi dans ce film l’autre pacte de corruption qui a été à l’origine des déboires de Suez à Buenos Aires en Argentine. Une affaire que la multinationale a depuis réécrite à sa façon.

Jacques Michel est vivant. Il coule une retraite bien méritée à Béziers.

Plus de vingt ans après, nous nous devions de lui rendre hommage, à l’heure où les “marchés de l’eau” en France révèlent de nouvelles pratiques, plus sophistiquées mais tout aussi scandaleuses, que celles qui prévalaint à l’orée des années 90.

Avec la loi NOTRe, la Directive concessions, les SemOp, les sociétés dédiées, les DSP "multiservices", les “audits” falsifiés, le viol du consentement des élus, la disparition programmée de tout contrôle de légalité, nous sommes revenus aux années de plomb.

Jacques Michel est vivant. Puisse son exemple nous inspirer encore longtemps.

NOTE :

Ζ » (zêta) est l’initiale du mot grec ancien « ζῇ / zi », qui signifie « il vit » ou « il est vivant ».

Marc Laimé - eauxglacees.com