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Une agricultrice bretonne souhaite devenir « Régisseur de captage », l’administration refuse…

3 février 2016

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Anne Marie L. et ses parents travaillent en Bretagne sur une exploitation dont ils ne sont pas propriétaires. Leur ferme, comme celles de leurs proches voisins, est impactée par un arrêté de protection d’un captage, qui leur impose des contraintes pour reconquérir la qualité de l’eau. Comme ces contraintes menacent l’équilibre économique de leurs exploitations, ils ont imaginé, en procédant à un échange et une location de terres, de créer un emploi de « Régisseur de captage » qu’occuperait l’agricultrice. Emploi qui serait rémunéré par redistribution d’une partie des aides accordées aux exploitations. La démarche est innovante, elle allierait protection de l’environnement et économie. L’administration bloque ! Il faut les aider !



Les exploitations concernées sont visées, à raison de la pollution des eaux, en grande partie issue des activités agricoles, par des procédures de protection des captages d’eau potable, qui imposent des contraintes réelles sur les différentes zones concernées, soit les périmètres de protection dits « immédiat », « rapproché » et « éloigné », qui justifient tous de l’imposition de mesures adaptées, mises en œuvre sous le contrôle de l’administration.

On sait que la Bretagne a fait l’objet depuis de très longues années de procédures contentieuses à répétition conduites par la Commission européenne, et de multiples condamnations, notamment pour non respect de la directive "Nitrates", datant en 1991…

La région Bretagne a engagé depuis plusieurs années une politique très volontariste. Le territoire est entièrement recouvert par des Sages. La Région a revendiqué et obtenu le pilotage d’un « Plan breton pour l’eau », dont les résultats n’en continuent pas moins, et c’est légitime, de diviser l’ensemble des acteurs concernés : pouvoirs publics, profession agricole et défenseurs de l’environnement.

http://www.observatoire-eau-bretagne.fr/Media/Donnees/Donnees/Evolution-de-la-population-bretonne-exposee-a-une-eau-distribuee-non-conforme-en-pesticides/%28categorie%29/62218

http://www.observatoire-eau-bretagne.fr/Media/Donnees/Donnees/Evolution-de-la-population-bretonne-exposee-a-une-eau-distribuee-non-conforme-en-nitrates/%28categorie%29/62218

Dans la période récente, les autorités revendiquent de réelles avancées, assurent que la teneur en nitrates des eaux brutes, notamment, a déjà considérablement diminué. Arguent que de nombreux périmètres de protection ont été mis en place, tandis que les pratiques agricoles évoluaient vers une meilleure prise en compte de l’environnement. Tout cela est vrai, mais bien sur encore insuffisant, considérant d’où l’on vient…

Mais concernant les nitrates, et donc les algues vertes "la partie est loin d’être gagnée", vient de reconnaître Thierry Burlot, Vice-président (PS) de la Région, ardent défenseur du "Plan breton pour l’eau", qu’il promeut depuis des années.

" (...) Certes, nous enregistrons des résultats encourageants aux politiques contractuelles successivement menées depuis 20 ans. Ainsi la Bretagne est une des seules régions de France où les concentrations en nitrates baissent ! Mais on ne saurait en rester là : le chemin restant à parcourir est considérable. Ainsi le projet de Sdage 2016-2021, mis en consultation le mois dernier, fixe-t-il une ambition de 61 % de conformité des cours d’eau du bassin, ce qui représente le doublement du nombre de cours d’eau actuellement en bon état en Bretagne..."

http://www.lagazettedescommunes.com/428065/algues-vertes-la-logique-de-resultats-guidera-le-nouveau-plan-breton/

Surtout si l’on considère, comme le dénonce notre agricultrice dans un texte qu’elle nous a adressé, et qui pourrait devenir un véritable "Manifeste", que l’application en Bretagne de la réglementation sur la protection des captages, non seulement déroge à celle mise en œuvre sur le territoire national, mais donne lieu à nombre d’irrégularités,

Et au milieu on retrouve donc parfois des agriculteurs, ballottés par ces vents contraires, qui voudraient bien faire, mais se retrouvent prisonniers d’une machine administrative dont les contraintes, ou l’aveuglement, leurs paraissent les conduire droit à leur perte.

C’est le cas des « sacrifiés des captages », comme ils se sont eux-mêmes dénommés, sommés de se plier aux contraintes qui leur sont imposées, à juste titre si l’on considère l’importance vitale de reconquérir la qualité des eaux, mais sans que leur survie économique, entravée par ces mêmes contraintes, ne reçoive la même attention.

Un article de La France Agricole, titré « Les sacrifiés des captages », paru le 29 janvier 2016 soulève un coin du voile.

"Les sacrifiés des captages", La France Agricole, 29 janvier 2016

Il ne s’agit pas ici de relancer l’antienne de « l’environnement çà commence à bien faire », trop souvent brandie, en Bretagne comme ailleurs, mais trop souvent en Bretagne, l’actualité le démontre, pour s’opposer à toute évolution.

Non, l’affaire est plus singulière. Anne-Marie L. se heurte, comme d’autres « sacrifiés des captages » à une autre impasse.

Quand une exploitation, son environnement proche, sont concernés par une procédure d’instauration d’un périmètre de protection d’un captage, cela veut dire crûment que dans telle parcelle on ne pourra plus poursuivre telle pratique agricole, qu’il faudra en changer plus ou moins radicalement. Pas facile. Il y faut un accompagnement, des soutiens techniques et financiers. Pas facile.

Mais cela peut aussi vouloir dire que, sur un territoire donné, il faudrait idéalement pouvoir procéder parallèlement et en complément, à une nouvelle forme de « remembrement » (vertueux lui), afin de préserver, tout en intégrant les nouvelles contraintes environnementales, l’équilibre économique de chacune des exploitations agricoles concernées.

Si l’on pousse le raisonnement plus loin, cela veut non seulement dire que telle ou telle exploitation vont échanger, entre elles, telle ou telle parcelle, qui subiront, ou non, telle ou telle contrainte environnementale, ce qui rétablit un certain équilibre économique (à condition de pouvoir mobiliser les instruments juridiques et financiers idoines, ce qui n’est déjà pas évident), mais que l’on pourrait aussi inventer de nouveaux « arrangements » entre tous les acteurs concernés, exploitants agricoles et pouvoirs publics.

Et c’est cela que propose depuis des années notre agricultrice, qui se heurte à un mur administratif.

Elle souhaiterait conclure un arrangement de ce type avec les voisins de son exploitation, comme elle l’a expliqué longuement, en détails, arguments à l’appui, et depuis des années, à toutes les autorités, qui font la sourde oreille.

Pourquoi ? La lente (trop lente) imposition de procédures de protection des captages, la tout aussi lente évolution des pratiques agricoles, ont revêtu, on le sait, l’allure d’une véritable guerre des tranchées depuis plus de vingt ans.

Dans ce contexte tout peut arriver. Le meilleur et le pire. Et dans le pire, parfois la tricherie. Une tricherie éhontée, sur tout, les mesures elles-mêmes, les données qui en rendent compte, des bilans enjolivés…

Tout le monde le sait, les Préfets, l’Agence de l’eau, l’ARS, la DDTM, Eau et rivières de Bretagne. Nul ne dit mot, de peur de refaire exploser l’apparence de consensus que les politiques s’acharnent à brandir de toutes leurs forces.

Alors, dans un contexte où tout le monde se scrute, se surveille, s’espionne
et pire si affinités, il ne reste pas de place pour les arrangements originaux, novateurs, écrasés, enfouis par la guerre civile à bas bruit qui dure depuis vint ans.

Ceci d’autant plus que la proposition de notre agricultrice soulève un autre tabou. Tous les acteurs du secteur savent parfaitement qu’il faudra inventer et mobiliser de nouveaux outils administratifs et financiers pour compenser les pertes économiques des agriculteurs à qui l’on demande, l’on impose peu à peu, vocable dont ils ont horreur, de muer en « jardiniers du paysage ».

Ici grand complot de tous ceux qui ne veulent à aucun prix que bouge quoi que ce soit. Pour le syndicat majoritaire ce serait le début de la fin, pour les administrations de tout poil, la remise en cause de procédures bureaucratiques qui, à force de ne vouloir mécontenter personne, bloquent toute évolution.

Alors on sort l’argument massue : aider les agriculteurs (en cash), et il faudra bien en passer par là, c’est mettre en œuvre une « Aide d’état », le tabou des tabous, « que Bruxelles n’autorisera jamais » car c’est une atteinte à la sacro-sainte CONCURRENCE que protègent les traités, tous, depuis celui de Rome, l’ancêtre, le traité de tous les traités !

Ici, encore, on invoque l’hydre communautaire pour interdire tout débat, tout progrès.

En réalité la France, Stéphane Le Foll lui-même, ont déjà obtenu, sans le crier sur les toits bien sûr, des aménagements en matière « d’Aide d’état »

Pourquoi ne pas persévérer pour la protection des captages et une nouvelle génération innovante de Mesures agro-environnementales (MAE) ?

Ce serait plus intelligent que de préparer, comme cela a été fait honteusement, au détour d’un article de la loi NOTRe, des « mesures récursoires » qui permettront à l’état, qui n’a pas fait son travail, de se retourner contre les collectivités locales quand la France sera à nouveau condamnée à payer des amendes colossales pour non respect des directives Nitrates, DERU, DCE, et bientôt Eau potable, même révisée…

Il y faudrait et une vision, et du courage.

Il y a disette.

En attendant notre agricultrice se heurte à un mur.

Le courrier qu’elle a adressé à la DDTM dessine pourtant des perspectives d’avenir :

« Etant dans une démarche constructive, je souhaite vous faire part de la proposition innovante de gestion du captage que j’ai réitérée avec l’accord de mes parents à l’actuelle municipalité de P., comme je l’avais déjà faite aux précédentes.

Cela consisterait à devenir Régisseur de captage, moyennant une rémunération par la collectivité, par le biais d’une mise à disposition de nos terrains familiaux hors captage aux autres agriculteurs concernés par les deux périmètres rapprochés de forage et captage.

Cette solution réaliste et réalisable, simple et efficace immédiatement, permettrait à mes voisins et moi-même de finir notre carrière, mon exploitation servant de réserve foncière provisoire grâce aux terrains hors périmètre, et permettrait une protection totale des périmètres rapprochés.

L’avantage de cette solution est que la protection est totale et immédiate, ne se limite plus aux limites de propriété, tout en permettant de garder cette surface en production agricole.

Les propriétaires pourraient dès lors attendre sereinement qu’une réserve foncière municipale cohérente se constitue, grâce à la location versée par la collectivité sur la totalité des terrains impactés par les deux périmètres rapprochés.

Cette location permettrait à mes voisins qui mettraient volontairement leur périmètre rapproché B aux même exigences que le périmètre A, de verser à leur tour à mes parents le loyer des terrains hors périmètre que je versais précédemment.

Le coût de protection annuel pour la collectivité est donc marginal, soit un loyer sur les terrains de l’ensemble des deux périmètres rapprochés, le financement de mon emploi de régisseur et des frais de fonctionnement du poste. Ramené au prix du mètre cube d’eau ceci est insignifiant

Autre avantage immédiat, je me reconvertis sur zone, ce qui est moins traumatisant, en créant un nouveau travail, un nouveau métier.

De toutes manière la zone protégée devra bien être entretenue, soit en prestation de service, soit par les services municipaux, donc avec un budget

Enfin, grâce à cette proposition, l’initiative locale est mise en valeur et l’image de l’agriculture se trouve grandie et permet de sortir des débats sclérosés qui opposent protection de l’environnement et agriculture, car les terrains ne sont plus stériles mais utiles, et peuvent servir de lieu d’expérimentation et de pédagogie pour des méthodes nouvelles, tout en favorisant les agriculteurs impactés.

Autre avantage, mes voisins retrouvent immédiatement des surfaces à proximité, des plans d’épandages.

Cette solution permettrait donc, grâce à l’amélioration de la qualité de l’eau, de pouvoir réaliser la transmission des exploitations dans dix ou douze ans, et de donner peut être des perspectives à mon fils.

En l’état, nous devrons de toute façon, sauf à disparaître, résoudre les problèmes et contraintes qui pèsent sur notre Entreprise agricole à responsabilité limitée (EARL), son évolution et l’avenir de son personnel, que ma proposition soit retenue ou non, alors pourquoi ne pas prendre des décisions qui seraient bénéfiques pour tout le monde ? »

Anne-Marie L. nous confie :

« C’est juste infernal. Cela fait vingt ans que l’on propose cette solution. On tombe tous malades. Rien n’est jamais bon. Et maintenant on est juste ruinés.

Les élus de droite comme de gauche trouvent cette solution je cite « trop avant-gardiste », et l’administration, quant à elle, est dans l’incapacité de rompre son train train quotidien. Nous on est au milieu. Depuis 1992, nous avons vu quatre maires, rencontré plusieurs présidents de Chambres d’agriculture, ainsi que plusieurs fois l’administration. Nous passons à chaque fois pour des "illuminés"...

Tous nos bâtiments en propriété sont enclavés dans la propriété de nos différents bailleurs. Ils sont tous dans les deux périmètres rapprochés du captage et du forage.

Pour l’un de 2500 mètres carrés dans le périmètre « A », je n’ai plus le droit de sortir mes génisses car c’est zéro pâturage, zéro azote et pesticides.

Et la municipalité n’est pas intéressée par l’achat des bâtiments bien évidemment car il y aura obligation de désamiantage, sachant que le coût de désamiantage est, je crois, de 30 euros le mètre carré…

Le deuxième bâtiment où logent mes 80 vaches est donc en « B ».

On propose donc une indemnité suivant la vétusté, et on nous propose une indemnité de reconstruction, mais seulement pour la partie sous animaux, sauf qu’il n’y a pas de sol pour le faire ! Et tout est comme celà !

Compte tenu de mon statut personnel - je suis salariée aux 39 heures et associée minoritaire et donc à ce titre je n’ai pas le droit aux Assedic - , je n’aurais donc de la société que la valeur de mon compte associé si je perds mon travail.

Soit environ 20 000 euros.

J’ai 55 ans et je dois travailler jusqu à 64 ans et demi…"

Marc Laimé - eauxglacees.com