Retour au format normal


Portrait (1) : Alexis Maheut

12 novembre 2006

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Alexis Maheut, pêcheur en mer, est président du Comité régional des pêches de Haute-Normandie. Il se bat depuis des années pour préserver l’éco-système unique de la baie de Seine, menaçé par le gigantesque projet d’aménagement de « Port 2000 », qui vise à faire du Havre un leader européen du transport maritime par conteneurs.



Il n’embarque plus à 3 ou 4 heures du matin comme il l’a fait plus de 20 ans, quand il était marin-pêcheur, puis patron. Mais il arrive toujours très tôt le matin à la coopérative dont il est directeur-général, construite de ses mains avec les marins-pêcheurs dont il est devenu le vibrant défenseur, dans toutes les instances concernées par l’avenir de la profession. Bien sur il faut faire fonctionner la coopérative, qui commercialise, du pull aux bottes et aux cirés, en passant par les instruments de navigation, tous les équipements requis dès qu’on embarque en mer. Fournisseurs, comptabilité, livraisons...

Mais sa passion est ailleurs. Les journées ne sont jamais assez longues pour lui permettre de défendre avec une fougue que les institutions ont appris à redouter un métier menacé par les ravages de l’industrie, du progrès technique, avec leur lot de pollutions. Président du Comité régional des pêches de Haute-Normandie, qu’il représente au Comité national des pêches, Alexis Maheut poursuit depuis des années une véritable croisade. Interpelle experts, élus, politiques, à la mairie, la région, la Chambre de commerce et d’industrie, l’Agence de l’eau Seine-Normandie, dans les ministères, jusqu’à Bruxelles, et d’abord au Port autonome du Havre qui prépare depuis des années avec "Port 2000", un gigantesque projet d’aménagement.

Il vise à doter la Manche d’un port dédié au trafic des conteneurs qui rivaliserait à partir de 2010 avec Anvers et Rotterdam. L’impact du projet sur la baie de Seine sera considérable. Or, entre Barfleur et le Cap d’Antifer 400 bateaux de pêche de moins de 16 mètres sont en activité et procurent du travail à 1200 marins pêcheurs. On estime que chaque marin pêcheur fait travailler 3 personnes à terre.

Durant plus de 20 ans, à partir des années 70, l’usine chimique Thann et Mulhouse rejetait dans la baie de Seine 1200 tonnes d’acide sulfurique toutes les 24 heures. Ces rejets entrainèrent l’interdiction de vendre des crevettes grises à Caen : elles étaient devenues roses. Aujourd’hui l’usine rejette toujours 600 tonnes d’acide sulfurique dans la baie toutes les 24 heures.

Une dizaine d’autres usines installées sur des affluents de la Seine utilisent, entre autres métaux lourds, du cadmium importé du Brésil. Rejeté dans l’océan, le cadmium met 30 ans pour disparaître. La présence de ce métal lourd dans un grand nombre de populations marines a entraîné l’interdiction de la vente des bulôts.

Or, les 300 hectares de vasières situés de part et d’autre du pont de Normandie constituent un lieu de reproduction privilégié pour les poissons, et l’écosystême le plus original de la réserve naturelle de l’estuaire de la Seine. Elles exercent aussi des fonctions capitales d’épuration des eaux. Mais depuis les débuts de l’industrialisation, 80% des vasières de l’estuaire de la Seine ont déjà disparu. Le Port autonome du Havre a engagé depuis plusieurs années la construction de "Port 2000", un gigantesque projet qui doit être achevé en 2010, et va bouleverser tout l’écosystême de la baie. Il vise notamment à faciliter le trafic des conteneurs sur la Seine, qui a progressé de 80% en 2003. Marins pêcheurs et écologistes redoutent que son impact ne réduise de 75% les capacités de la pêche en mer dans l’estuaire.

L’enquête d’utilité publique, au fil d’une soixantaine de réunions, a fait émerger de nombreuses inquiétudes. La baie est la plus importante nurserie de bars et de soles de la Manche Ouest, de Dunkerque à Brest. C’est là que se reproduisent, sur des vasières, les variétés qui font vivre des centaines d’équipages. Or le chenal va être réduit de 4 à 1 kilomètre, les courants vont augmenter et les vasières risquent d’être asséchées.

Plus grave, près de 6 mètres de sédiments vont être extraits. Or c’est là que sont concentrées depuis un siècle toutes les pollutions industrielles charriées par la Seine jusqu’à la Manche : le cadmium, le mercure, le zinc, le plomb... En modifiant radicalement l’hydraulique du fleuve, en bouleversant les vasières qui sont des pièges et des filtres à polluants, on va même peut-être faire émerger de nouveaux polluants, jusqu’ici retenus par les sédiments, et dont personne ne se sentira responsable...

Alexis Maheut dénonce une autre absurdité. Alors que les directives communautaires "Natura 2000" et "Habitat" protègent les grenouilles, les crapauds ou les fleurs exceptionnelles, les bars ou les crevettes grises ne sont toujours pas protégés, en mer ou dans les fleuves ! Et de dénoncer dans la foulée la pollution déjà avérée des noix de coquilles Saint-Jacques. Elles sont pourtant pêchées à 30 milles de la côte, mais la concentration de cadmium dans leur poche noire dépasse de 3 fois les taux admissibles.

Un espoir ? Qu’à l’exemple du Canada qui s’est doté de règlements protégeant le saumon et le cabillaud, et qui applique sévèrement le principe pollueur-payeur, la France se dote enfin, avec la nouvelle loi sur l’eau en préparation, d’une législation à la hauteur des enjeux.

Marc Laimé - eauxglacees.com