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Transparence des DSP : recul à l’Assemblée nationale

25 janvier 2016

par Marc Laimé - eauxglacees.com

L’Assemblée examinait en première lecture à partir du 19 janvier dernier l’un des trois textes en cours d’élaboration qui concernent l’accès public aux données de toute nature. Le gouvernement a malheureusement rejeté plusieurs amendements dont l’adoption aurait permis une plus grande transparence des contrats de DSP.



Le projet de loi présenté par la secrétaire d’Etat en charge du numérique, Axelle Lemaire, concernait notamment, dans son article 10, un enjeu important pour les collectivités, l’ouverture des bases de données et des données des DSP, qui auraient pu être considérées à l’avenir comme des « données d’intérêt général ».

Déjà, le 25 septembre dernier, Jean-Luc Sallaberry, chef du département numérique de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), soulignait dans la Gazette des communes l’importance du débat qui allait s’ouvrir :

« Les données produites dans les systèmes publics des collectivités sont publiques au sens de la loi. Par contre, beaucoup d’activités publiques sont opérées par des opérateurs privés qui produisent des données, par exemple dans le domaine de l’eau, de l’énergie, du numérique, des déchets…

Comme ce sont des services publics, il faut pouvoir les récupérer. Or, que ce soit dans les contrats d’affermage, de concession, de marché de service, on n’a pas toujours pensé à mettre dans les cahiers des charges les données comme étant un bien de retour de la prestation. Ces opérateurs rechignent à les fournir.

L’idée de créer des données d’intérêt général, fait que, par nature, elles seront mises dans cette catégorie, nous l’espérons, par la loi et les décrets, et donc nous pourrons les récupérer. Cela nous permettra d’avoir des relations plus apaisées avec tous ces opérateurs. »

L’avancée aurait été considérable, mais le projet de loi Lemaire présenté à l’Assemblée proposait de limiter cette ouverture des données des DSP par la possibilité d’en exempter le délégataire, sous réserve d’une “décision fondée sur des motifs d’intérêt général que (la personne publique délégante) explicite et qui est rendue publique”.

Dans l’une des versions antérieures du texte d’Axelle Lemaire figurait pourtant une disposition identique à celle d’un amendement déposé par Philippe Gosselin (LR) donnant aux collectivités territoriales la possibilité de récupérer des données privées “nécessaires à la définition et à la mise en œuvre de leurs politiques publiques”. Autrement dit, des « données privées d’intérêt général. »

Contre l’avis du rapporteur du projet de loi à l’Assemblée, plusieurs autres amendements, de droite comme de gauche, proposaient, soit d’encadrer, soit de supprimer purement et simplement cette exemption.

Ainsi Lionel Tardy (LR) proposait-il l’amendement suivant (n° 759) :

« Les cas d’exemption prévus pour le délégataire sont potentiellement infinis. Afin de ne pas réduire la portée de cet article, la possibilité d’exemption doit être revue, précisée et davantage limitée. C’est le sens de cet amendement. »

(Noter que dans le civil Lionel Tardy a été gérant d’une boite d’informatique en Haute Savoie, ce qui éclaire sans doute son positionnement pertinent, à rebours des orientations courantes de son parti...)

Plusieurs députés EELV défendaient un amendement (n° 34) plus radical encore :

« Établir une exception au principe de réutilisation de manière aussi large risque d’aboutir à la généralisation de l’exception. Par ailleurs, ne pas permettre d’exception renforcera la position des administrations face aux demandes des entreprises.

C’est pourquoi cet amendement propose de supprimer la possibilité d’exception. »

Ces amendements ont été rejetés...

Comme d’autres qui voulaient cette fois étendre l’ouverture aux PPP, ou contraindre à ouvrir les données des contrats de partenariats déjà en cours d’ici 2021.

Plusieurs députés (PS) (dont les relations avec les grandes entreprises du secteur sont tout à fait cordiales) se bornaient à faire adopter un amendement illusoire, stipulant qu’il serait possible pour les contrats conclus avant la promulgation de la loi, de récupérer les données à la fin du contrat en vue de préparer son renouvellement…

De la poudre aux yeux puisque ces dispositions existent déjà ! Et que par le biais d’un amendement scélérat introduit dans la loi Grenelle 2, les délégataires ont déjà réussi à ramener à 6 mois avant l’expiration du contrat la date à laquelle l’entreprise doit fournir certaines informations à la collectivité.

Ceci en instrumentalisant purement et simplement, véritable pied de nez, les dispositions, protectrices de la vie privée, de la loi Informatique et Libertés de 1978…

Auparavant ce délai était de 18 mois. Son raccourcissement avait été motivé par le prétexte fallacieux que les données de facturation des usagers d’un service d’eau, par exemple, seraient « périmées » si l’entreprise les fournissait à la collectivité 18 mois avant la fin du contrat…

En réalité ces manœuvres ont pour seul objectif de rendre très difficile un retour en gestion publique à la fin d’un contrat de DSP.

Par ailleurs, et dans le droit fil des manœuvres précdentes, un autre amendement de Corinne Erhel (PS), rapporteure pour avis au nom de la commission des affaires économiques, prévoyant que le choix de l’exemption ne peut venir que du délégant, a été adopté.

Encore heureux !

La question de fond est celle des « biens de retour » que les délégataires s’ingénient par tous les moyens à réduire à la portion congrue.

A cet égard l’accès le plus étendu aux données des DSP constitue bien un enjeu fondamental pour les services publics, délégués ou non, ces toutes prochaines années.

Veolia et Suez l’ont parfaitement compris qui se préparent assidûment, en déployant nombre de nouvelles initiatives, à faire purement et simplement main basse sur TOUTES les données publiques du secteur de l’eau.

Il serait éminemment souhaitable à cet égard que les parlementaires soucieux du bien public s’intéressent de plus près à Majikan, Fluxs, HomeFriend…, et autres « innovations » qui dessinent clairement ce qui nous attend, y compris et surtout à raison des illusions funestes que cultivent, propagent, et pire, mettent ensuite en oeuvre, les adorateurs (aussi béats qu’intéressés) du numérique qui voient des soi-disant "communs" partout, et précisément là où il ne faut surtout pas en mettre...

Marc Laimé - eauxglacees.com