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Etat d’urgence et désobéissance civile

20 décembre 2015

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Le gouvernement doit présenter au Conseil des ministres le 23 décembre un projet de réforme de la Constitution, qui pourrait emporter une prolongation indéfinie de "l’Etat d’urgence". En 2002 le philosophe Giorgio Agamben publiait dans le quotidien Le Monde une réflexion inspirée par le Patriot Act qui venait d’être instauré aux Etats-unis. Treize ans plus tard ce texte est toujours d’une brûlante actualité



Les gouvernements successifs de François Hollande ont témoigné depuis 2012, sous réserve d’inventaire, d’une malfaçon législative, voire constitutionnelle, probablement sans précédent depuis 1958.

Il ne peut dès lors être exclu, par hypothèse, que les décisions d’instaurer l’état d’urgence, conformément aux textes, d’abord pour douze jours, puis trois mois, sans même parler d’une éventuelle prorogation à ce terme, aient fait litière d’un examen approfondi de leur licéité.

A l’identique, et sans doute plus grave encore, pour la notification à l’Europe que la France allait déroger aux protections afférentes à la Convention européenne des droits de l’homme.

Le philosophe italien Giorgio Agamben avait publié, après la promulgation du Patriot Act aux Etats Unis, dans le quotidien Le Monde daté du 12 décembre 2002, une réflexion sur l’état d’urgence.

Il y rappelait la généalogie de la célèbre querelle ayant opposé Carl Schmitt et Walter Benjamin, qui a profondément marqué l’histoire et la philosophie du droit au XXème siècle.

Cette réflexion revêt une brûlante actualité.

En caricaturant, Carl Schmitt soutenait que l’imposition de mesures dérogeant au régime constitutionnel par l’état nazi n’annulaient pas l’ensemble des dispositions législatives préexistantes.

A contrario, Walter Benjamin en tirait la conclusion que le cadre normatif antérieur se retrouvait aboli de fait, ouvrant à la voie à une espérance révolutionnaire.

Cette querelle qui a alimenté depuis lors d’innombrables exégèses, semble pouvoir soutenir une initiative que pourraient prendre les professionnels du droit en France.

Il s’agirait d’examiner, en droit, si les récentes décisions du gouvernement, instauration de l’état d’urgence et quasi suspension des garanties de la Convention européenne des droits de l’homme, « maintiennent » ou non l’ensemble du corpus normatif qui leur préexistait.

Si d’aventure des incertitudes sérieuses se faisaient jour sur ces deux points et leurs conséquences pratiques, il deviendrait possible :

 d’identifier et de mettre en œuvre tous les recours pouvant être diligentés, au niveau national comme européen, pour mettre un terme à cette anomalie ;

 d’élaborer un argumentaire pédagogique aux fins que les analyses juridiques précitées puissent utilement servir de fondement à un appel à la désobéissance civile générale (dans tous les actes de la vie publique), pouvant être relayé par de larges secteurs de l’opinion.

Avant même que les recours précités aient pu faire l’objet de jugements, il est probable que le trouble généré incite le gouvernement à renoncer à son projet de proroger l’état d’urgence.

Voir ci-après l’article de Giorgio Agamben précité.

Etat d’urgence Le Monde Giorgio Agamben, 12 décembre 2002

Voir aussi cet essai publié au Seuil : http://www.seuil.com/livre-9782020611145.htm

- Décision, exception, Constitution, autour de Carl Schmitt

- De l’état de droit à l’état de sécurité

Giorgio Agamben, Le Monde, 23 décembre 2015

Marc Laimé - eauxglacees.com