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Le coup de sang des industriels de l’ANC, par Claude Réveillaut (*)

18 décembre 2015

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Le syndicat des Industries et des entreprises Françaises de l’Assainissement Autonome (IFAA), a engagé un bras de fer avec une agence de l’eau qu’il « somme » de revenir sur les critères d’attribution des aides financières qu’elle a définis.



Invoquant la liberté de choix pour les usagers (dont nous verrons plus bas ce qu’elle recouvre), et le respect de la réglementation (que nous commenterons aussi), l’IFAA sonne la charge tous azimuts, contre l’agence de l’eau Loire Bretagne, la sommant de revoir son « cahier des charges » qu’elle juge discriminant et contraire à la réglementation.

En cause, une hiérarchisation des filières de traitement dans les critères d’attribution de ses aides ; à savoir, la priorité accordée par l’Agence aux filières dites « traditionnelles » avec traitement par le sol, par rapport aux installations agréées de type micro stations.

Le communiqué de l’IFAA

(…) Aujourd’hui, ce sont les critères d’attribution des aides qui interrogent. En effet, l’agence de l’eau Loire-Bretagne a mis en place une hiérarchisation des filières de traitement dans ses critères d’attribution, ce que ne prévoit pas la réglementation en vigueur.

Ainsi, le bureau d’études n’a plus la possibilité de conseiller son client en fonction de contraintes liées à sa parcelle, son habitation et surtout de ses exigences mais rédige un rapport d’études afin que son client puisse bénéficier des aides de l’agence de l’eau.

Le particulier se retrouve également dépossédé de ses prérogatives, puisqu’il ne choisit plus la filière de traitement la plus adaptée à ce qu’il peut faire ou ce qu’il veut faire, mais il choisit la filière lui permettant d’obtenir l’aide de l’agence de l’eau.

De plus, cette hiérarchisation des solutions d’ANC est reprise par certains Conseils départementaux et certains Services publics d’assainissement non collectif (SPANC), créant ainsi une véritable doctrine technique locale allant à l’encontre de la réglementation en vigueur. Le propriétaire, responsable de l’installation sur son fond, doit rester maître de son choix.

Les Industries et Entreprises Françaises de l’Assainissement Non Collectif demandent à l’agence de l’eau Loire-Bretagne de revoir son cahier des charges afin que les critères d’obtention des aides à la réhabilitation de l’ANC respectent la réglementation en vigueur concernant l’égalité des solutions de traitement et la liberté du propriétaire de choisir sa filière d’ANC, les critères d’aide au choix étant liés à la parcelle, à l’habitation et aux exigences du propriétaire ».

Des relais dans presse

Interrogé par le magazine « L’eau, l’industrie, les nuisances » Hubert Willig, président de l’IFAA, délivre son avis « Les agences définissent leur politique, c’est leur droit. Qu’elles définissent des critères techniques pour orienter la réhabilitation pourquoi pas. Mais sur les installations neuves, la problématique est différente. Attention à ne pas contribuer à faire émerger des règlementations locales qui percolent et finalement se substituent à la réglementation nationale ».

Le quotidien « La Nouvelle République » du 11 décembre, alerte, quant à lui, sur les effets de la « catastrophe » annoncée sur l’emploi dans le secteur industriel des filières d’assainissement agréées ; menace sur « un millier d’emplois à travers la France » pour la seule entreprise irlandaise Tricel (l’un des leaders européens des microstations d’ANC), selon François Le Lan, patron de Tricel Poitiers qui « ne nie pas que certains systèmes agréés puissent poser problème, notamment lorsqu’ils sont bas de gamme ou mal entretenus » tout en affirmant « qu’il en va de même pour les fosses septiques traditionnelles ».

De son côté, le maire de Colombiers (commune voisine du site de Tricel Poitiers), cité dans le quotidien, se fend d’un courrier à la ministre de l’écologie dans lequel il écrit « Il nous semble que le fait d’imposer une filière de traitement au détriment d’une autre soit totalement (sic) illicite, dans la mesure où les filières agréées par votre ministère ont montré leur efficacité en terme de rejet…Cette intransigeance du cahier des charges de l’AELB (agence de l’eau Loire-Bretagne) démontre une discrimination entre citoyens dans le versement de l’argent public ».

Notre commentaire sur cette campagne de dénigrement

L’IFAA qui regroupait anciennement les seuls industriels de l’ANC, a vu son poids renforcé, au sein du ministère de l’écologie et dans son bras de fer contre les grands groupes de l’eau, pour la maîtrise du marché de l’ANC, depuis qu’elle a récemment englobé l’ensemble des métiers de l’ANC : bureaux d’étude, installateurs et sociétés de services.

M Hubert Willig, qui, outre son poste de président de l’IFAA, est directeur général et directeur commercial de Sotralentz-Habitat (une entreprise de conception, développement et production d’appareils et de micro stations d’assainissement non collectif), reconnaît, et c’est heureux, aux agences de l’eau, « le droit » de définir leur politique sur leur territoire.

Pour rappel, les six agences de l’eau étant des instances dotées de Comités de bassin (censément être, des « parlements de l’eau », avec les prérogatives qui s’y rattachent) et de conseils d’administration, usent pleinement de ce « droit »…c’est même pour cela qu’elles ont été créées !

De même, M Willig admet (avec néanmoins quelque réticence) que les agences puissent édicter des « critères techniques pour orienter les réhabilitations ». Nous ajouterons que cette possibilité leur est offerte, au même titre (cela mérite d’être souligné), que les collectivités locales qui, en la matière ne se privent pas d’édicter des « prescriptions techniques », imposant par exemple aux usagers, des études de sol à la parcelle qui, au fil du temps, se sont muées en obligations sur le territoire national.

Nous serions en accord avec sa mise en garde de voir « émerger des règlementations locales qui percolent et finalement se substituent à la réglementation nationale », si le syndicat que préside M Willig faisait montre d’une crédibilité minimale en dénonçant avec la même énergie, bon nombre de SPANC qui, au gré des collectivités, fonctionnent, ou plutôt, dysfonctionnent en se souciant comme d’une guigne, de la réglementation nationale !

Pour mémoire et sans, hélas, prétendre à l’exhaustivité parmi les joyeusetés qui nous remontent du terrain : des Spanc qui fonctionnent sans plan de zonage, sans révision de leur règlement de service (quand ils existent !), sans communication de ce règlement aux usagers ; qui instaurent le paiement annuel de la redevance d’ANC avant service rendu, fixent le montant de la redevance sur les volumes d’eau consommés, imposent systématiquement des études de sol, instaurent le contrôle des installations intérieures, prévoient des contrôles annuels ou des coupures d’eau en guise de pénalités, pratiquent une périodicité de contrôle périodique abusive et des montants de redevances prohibitifs ; quand d’autres, sous la poussée des commerciaux, promeuvent (ou bloquent) le choix de certaines filières.

Deux autres déclarations, censées plaider la cause des micro stations agréées, ont attiré notre attention, car, à bien y regarder, elles ne manquent pas de sel.

Celle du patron de Tricel Poitiers qui « ne nie pas que certains systèmes agréés puissent poser problème, notamment lorsqu’ils sont bas de gamme ou mal entretenus » et celle, en écho, de l’édile voisin de cette société qui écrit à Ségolène Royal « les filières agréées par votre ministère ont montré leur efficacité en terme de rejet ».

Alors, « efficacité » ou « problèmes » constatés sur les dispositifs garantis par les ministères ?

C’est là qu’est l’os dans le potage…

Cet extrait de la thèse en doctorat de géographie, de Jérôme Rollin (*), faisant référence à une étude de l’IRSTEA (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture qui est un établissement public) énonce ce qu’en fait, tout le « petit monde » de l’ANC (ministères compris) sait déjà, de longue date :

« Pour l’Irstea, certains dispositifs récemment mis sur le marché après une procédure d’agrément menée par les ministères en charge de la Santé et de l’Écologie, ne fonctionnent pas correctement. Par ailleurs, les agences de l’eau sont tout à fait autorisées à attribuer leurs aides comme elles l’entendent. Elles peuvent donc introduire le critère technique. La collaboration du champ technique et du levier financier amène alors les acteurs à se défaire des logiques nationales. Par ce processus, la décision financière peut aller à l’encontre de l’autorisation ministérielle de mise sur le marché : « À l’agence de l’eau, on a quand même la légitimité de dire que nos études montrent que ça ne marche pas et que, par conséquent, nous décidons de ne pas financer. » Face à ces ministères qui ne souhaitent pas retirer des agréments qu’ils ont eux-mêmes attribués, l’objectif des agences est de provoquer une auto-régulation du marché : « On espère que, de fait, notre point de vue va se propager et que, d’office, le marché va se réguler tout seul parce que les gens vont se dire que tel dispositif ne fonctionne pas. Donc de fait, certains dispositifs vont mourir dans l’œuf." »

Certains dispositifs, pourtant dûment agréés par les ministères et accessoirement déjà installés chez des particuliers (avec des aides financières publiques), ne fonctionnent donc pas, sans que les ministères ne bougent un cil !

Ces victimes collatérales de la calamiteuse et inique politique de l’ANC française, peuvent toujours se consoler en pensant qu’ils servent de cobayes à certains « suivis in situ », conduits avec toute la rigueur qu’on imagine par des… industriels.

Sauf erreur, l’IFAA s’est montré muet comme une fosse, sur le sujet ; dans l’attente, sans doute, que le marché se régule tout seul (par la grâce des mânes d’Adam Smith !)

Que l’IFAA invoque la défense de « la liberté de choix » pour les usagers et « le respect de la réglementation » (censément mis à mal par la seule agence de l’eau Loire Bretagne), tient de l’outrance, du cynisme ou plutôt de la galéjade !

S’il a des arguments à faire valoir contre l’AELB, « coupable » (à ses seuls yeux) de pragmatisme et de saine gestion de l’argent des citoyens, qu’il renonce à se prétendre le défenseur des « prérogatives », de « la liberté » ou « des exigences » des usagers (qui en matière d’ANC, n’en peuvent faire valoir aucune, comme en témoignent les centaines de témoignages de propriétaires assujettis à des SPANC) et qu’il se limite à défendre, au nom de la concurrence libre et non faussée, les intérêts de ses adhérents historiques : les industriels qui fabriquent et commercialisent des micro stations… sauf à avoir quelque réticence à apparaître pour ce qu’il est : un groupe de pression qui agit pour ses seuls intérêts ; un lobby, en quelque sorte.

Reste à savoir si le ministère qui nous a, hélas, accoutumés à le voir satisfaire toutes les demandes de ce syndicat, saura, pour cette fois, lui résister.

Nous suivrons avec intérêt et ne manquerons pas de rendre compte ici, des suites de ce nouvel épisode de la grande saga française de l’ANC.

(*) Voir l’intégralité de la thèse sur https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00986712v1/document

(*) Claude Réveillaut est présidente de la Confédération Confi-ANC-e, qui regroupe une douzaine d’associations d’usagers de l’ANC dans toute la France.

http://reseauconfiance.org/

Marc Laimé - eauxglacees.com