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Le dossier des pesticides aux Antilles

17 septembre 2007

par Marc Laimé - eauxglacees.com

A la veille de la présentation à l’Assemblée nationale le mardi 18 septembre 2007 par le docteur Dominique Belpomme d’un rapport dans lequel ce cancérologue, protagoniste de l’Appel de Paris, estime que la Martinique et la Guadeloupe ont été empoisonnées par des pesticides menant à un désastre sanitaire, une situation que les autorités françaises semblent enfin enclines à reconnaître trente ans après la première alerte, Eaux glacées et l’association S-Eau-S rappellent la chronologie de cette catastrophe environnementale et humaine et l’interminable litanie des rapports et enquêtes qui se sont succédés depuis trente ans…



Les ravages provoqués par l’utilisation du Chlordecone aux Antilles françaises sortent enfin de l’ombre.

Une nouvelle étude scientifique orchestrée par le professeur Dominique Belpomme, cancérologue de renom, relance en effet le débat, notamment politique, sur la pollution par le Chlordécone, qualifié « d’arbre qui cache la forêt ». Car selon l’étude, ce sont plus de cent pesticides de types différents qui auraient été déversés en Guadeloupe durant les dix dernières années…

C’est sur la base des observations de la mission parlementaire de juin 2005 (voir ci-après), jugée lacunaire si ce n’est erronée, que le professeur Belpomme a conduit une enquête du 30 avril au 5 mai 2007 auprès de la population, du Conseil de l’Ordre des médecins, de l’Union des médecins libéraux de la Martinique, des élus, de plusieurs agriculteurs et chefs d’industries et de certains responsables administratifs de l’île.

Ses conclusions, parues en juin dernier, réunies dans un « Rapport d’expertise et audit externe concernant la pollution par les pesticides en Martinique » en décrivent les conséquences agrobiologiques, alimentaires et sanitaires.

Il en ressort "une extrême gravité de la pollution par les pesticides en Martinique". La gravité de la situation est liée à la fois à la pollution de l’eau, à la détérioration du littoral, à la baisse de fertilité, à la très forte augmentation d’incidence des cancers de la prostate et du sein, tant en Guadeloupe qu’en Martinique, enfin à la baisse des taux de natalité et de fécondité.

L’étude du professeur Belpomme, qui souligne la nécessité d’études complémentaires, suggère également la mise en œuvre d’un nouveau plan de sauvegarde en cinq points.

Lire le rapport Belpomme

En plein "Grenelle" la conférence de presse organisée à l’Assemblée est-elle susceptible de changer la donne ?

L’expérience incline à la circonspection dans cette affaire de pollution, certes gravissime, mais qui défraie la chronique depuis ... trente ans !

Car, aussi incroyable cela puisse-t-il paraître, de 1977 à 2003, les premiers rapports circonstanciés transmis aux autorités de tutelle ne susciteront aucune réaction officielle.

Chronique d’un désastre annoncé

 1977 : le rapport Snégaroff (INRA)

 1979-1980 : le rapport Kermarec

 1993 : Etude dans l’estuaire du Grand Carbet (Unesco)

 1998 : Rapport Balland-Mestres-Faget, mission d’inspection diligentée par les ministères de l’Environnement et de l’Agriculture

 2001 : Rapport Bonan-Prime (IGAS-IGE), remis le 5 juillet 2001 à Mme Dominique Voynet, ministre de l’Environnement, et à Mme Dominique Gillot, secrétaire d’Etat à la Santé.

 Novembre 2002 : Plan d’action du Groupe régional phytosanitaire de Martinique (Grephy)

 Mars 2003 : Rapport établi par Eric Godard, ingénieur du génie sanitaire à la Direction de la Santé et du Développement social de la Martinique. Forum international environnement santé.

Voir l’analyse de ces rapports dans l’enquête publiée le 10 août 2005 par Gérard Borvon, responsable des Verts en Bretagne, animateur de l’association S-Eau-S :

« Une pollution grave de l’eau et des sols dans les Antilles. DOM-TOM : les oubliés des lois sur l’eau. »

- 2003 : le Comité national de l’eau évoque la question du Chlordecone en Guadeloupe.

La présentation effectuée par le représentant de la Diren Guadeloupe et un conseiller général guadeloupéen ne suscite commentaire particulier.

Extraits :

« 2.2. Pollutions d’origine agricole »

2.2.1. Pesticides

Les campagnes de mesures réalisées en décembre 1999 et au début de l’année 2000 ont révélé une contamination très importante par les pesticides de certains points de prélèvements situés dans la partie sud de la Basse-Terre. Une dizaine de molécules ont été trouvées et trois d’entre-elles dépassent nettement les normes de potabilisation. Il s’agit du chlordécone, de la dieldrine, et du HCH. Ces trois molécules entrent dans la composition d’insecticides. Elles appartiennent à la famille des organochlorés et sont très rémanentes. Elles sont interdites à la vente depuis respectivement 1993, 1972 et 1987. Ces résultats et la présence de chlordécone dans les sédiments de la Rivière du Grand-Carbet en 1993 révèlent une large contamination des ressources en eau en Guadeloupe. Les cultures les plus consommatrices de produits phytosanitaires sont la banane et le maraîchage. Il est cependant difficile d’identifier avec précision les causes des pollutions par les pesticides car les pratiques des agriculteurs sont mal connues pour diverses raisons :

 en ce qui concerne la banane, une partie des produits vendus par les SICA bananières est utilisée pour d’autres cultures ;

 les maraîchers sont très peu suivis techniquement ;

 il semble qu’une partie des produits utilisés ne passe pas par les filières officielles.

Par ailleurs, la culture de la banane en Grande-Terre présente un risque de pollution par les pesticides du fait de la vulnérabilité de la nappe. Enfin, la recherche des pesticides est compliquée par la nécessité d’envoyer les prélèvements en métropole pour qu’ils soient analysés.

2.2.2. Engrais

Les risques de pollution liés à l’utilisation des engrais résultent d’une augmentation des nitrates dans l’eau. Comme indiqué au paragraphe 2.1.2, une augmentation des concentrations en nitrates dans les eaux de forage de Grande-Terre a été constatée. Les campagnes de suivi des concentrations en nitrates en rivières et en nappes, qui constituent un préliminaire à l’éventuelle définition de zones vulnérables au sens de la directive nitrates, sont en cours de réalisation en 2001.

2.3. Pollution domestique

En matière d’eau domestique, l’objectif prioritaire a toujours été la fourniture d’une eau de qualité à l’ensemble des habitants de la Guadeloupe. L’assainissement ne venait qu’au second plan. Cette hiérarchie est la cause des médiocres résultats en matière de traitement des eaux domestiques d’une part et du peu de données disponibles dans ce domaine d’autre part. Les zones sensibles et les périmètres d’agglomérations au sens du décret 94-469 du 3 juin 1994 sont en cours de détermination. La réalisation d’un schéma directeur d’assainissement a été fixée comme préalable pour toute aide en matière d’assainissement. Au 1er septembre 2002, les schémas directeurs d’assainissement sont :

 terminés pour 20 communes,

 en cours de réalisation pour 3 communes,

 programmés pour 7 communes. »

-Voir le SDAGE de la Guadeloupe, adopté par le Comité de bassin le 19 juin 2003, et approuvé par le Préfet le 25 juillet 2003.

Le 25 novembre 2003 Libération publie une enquête de Corinne Bensimon, titrée « Paraquat, la mort au bout de la sulfateuse », soulignant que la France avait œuvré contre l’interdiction en Europe de ce pesticide très toxique.

A dater de 2005 les missions d’enquête et rapports se multiplient :

- Avril 2005 : Le rapport IGAS-IGE-IGF-CODERCI.

- 30 juin 2005 : Le rapport d’information parlementaire présenté par M. Joël Beaugendre.

- Août 2005 : le rapport sur le Chlordecone de l’AFSSA

En mai et juin 2007 un bras de fer judiciaire oppose l’Etat aux associations qui dénoncent l’ampleur du désastre :

- 13 mai 2007 : « Antilles, silence, on empoisonne », par l’association S-Eau-S.

- 5 juin 2007 : « Antilles polluées par le Chlordecone : qui veut faire taire Harry Durimel ? », par l’association S-Eau-S

- 6 juin 2007 : « Le Chlordecone va-t-il tuer des milliers de Guadeloupéens et de Martiniquais ? », par Les eaux glacées du calcul égoïste.

Il aura fallu attendre les ravages du cyclone Dean pour voir l’Etat, confronté au "crash" de l’industrie bananière, non pas admettre l’ampleur de la contamination, mais se préoccuper vivement de l’indemnisation des planteurs, comme le relatait Libération le 30 aout 2007, titrant : "Epandage d’indemnités pour éliminer les polémiques"

On est donc fondé à s’interroger sur les mesures concrètes qui pourraient désormais répondre à l’ampleur de la catastrophe…

Et on peut éprouver quelques doutes, si l’on en croit les termes d’une dépêche de l’agence Reuters diffusée le lundi 17 septembre 2007, selon laquelle Mme Roselyne Bachelot, ministre de la Santé « invitait à la prudence sur les pesticides aux Antilles »

« La ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, a estimé lundi que les conclusions d’un rapport qui dénonce le "désastre sanitaire" causé aux Antilles par l’utilisation massive de pesticides devaient être "confirmées par des études scientifiques de haute qualité".

"Pour l’instant, le Pr (Dominique) Belpomme pose des questions, il n’apporte pas de réponse formelle", déclarait-elle ce même jour au journal de 13 heures de France 2, en précisant toutefois "partager ses inquiétudes".

Jugeant l’affaire "très sérieuse", elle a souligné par la suite, sur Europe 1, que "même si les résultats des études (épidémiologiques menées sur place) n’ont pas été rendus, le principe de précaution doit prévaloir".

D’où la recommandation faite aux habitants de ces îles de limiter leur consommation d’eau de source et de produits de leurs jardins. »

Encore combien "d’études scientifiques de qualité", Madame la ministre ?

Shocking

A force on s’attend à tout, mais là on en demeure pantois…

Cette fois les "spin-doctors" passent les bornes.

Le mardi 18 septembre 2007, avant la tenue de la conférence de presse du Docteur Belpomme, un communiqué de presse de l’Institut national de veille sanitaire (INVS) « calme le jeu », mentionne deux nouvelles études publiées en 2005 et 2006, mais surtout avance un argument qui n’avait pas jusqu’à présent été porté au débat :

« (…) A ce jour, aucun lien n’a été démontré entre l’exposition aux pesticides aux Antilles et les observations sanitaires qui y ont été effectuées : la plus grande fréquence absolue du cancer de la prostate aux Antilles par rapport à la métropole peut être expliquée par l’origine ethnique de la population (facteur de risque bien documenté aux Etats-Unis). La diminution du nombre d’enfants par femme est également non spécifique et relève de bien d’autres causes que d’un impact sanitaire sur la biologie de la reproduction. »

Les Antillais apprécieront...

Mais si l’on en croit l’article publié par Afrik.com le mardi 18 septembre , et les réactions de ses lecteurs, les palinodies des autorités passent mal…

Malheureusement cet argument "génétique" sera de nouveau évoqué le 21 mars 2007 par des chercheurs de l’unité Inserm/Université de Rennes 1 dans une déclaration au journal" Ouest-France, dérive contre laquelle s’insurge Gérard Borvon, dans un texte publié le même jour : Chlordecone aux Antilles : le retour à l’Omerta.

Dans l’attente de nouveaux développements on peut donc consulter deux nouvelles études publiées en 2005 et 2006 : « Pesticides organochlorés et santé publique aux Antilles françaises » parue dans le Bulletin d’Alertes et de surveillance Antilles Guyane (Basag) n° 8, de juin 2005.

Et « Pesticides organochlorés aux Antilles. Premiers résultats de l’évaluation des risques sanitaires liés aux aliments. », parue dans le Bulletin d’Alertes et de surveillance Antilles Guyane (Basag) n° 5, de juillet 2006.

Pour faire bonne mesure les autorités renvoyaient également à deux études menées par l’Inserm U 625, les services de gynécologie-obstetrique, pédiatrie et urologie du CHU de Poinre-à-Pitre et le CIMT Guadeloupe, et dont une présentation orale a été effectuée à Fort-de-France le 26 février 2007.

Lire :

« Exposition des populations antillaises au Chlordecone et risques pour la santé »

Rebondissement en décembre 2007

Le site Rue 89 annoncera le 6 décembre 2007 que M. Patrick Lozès, président du Cran, démissionne de la mission qui lui avait été confiée fin octobre 2007 par M. Jean-Louis Borloo en Martinique. Il accuse le ministère de l’Environnement d’avoir fait pression sur lui pour étouffer un "scandale écologique majeur", celui de la pollution par le chlordecone…

A suivre.

Lire :

"Chronique d’un empoisonnement annoncé", Louis Boutrin et Raphaël Confiant, L’Harmattan, mars 2007.

A SONG :

 Die Einheitsfront – Le Front des travailleurs

Marc Laimé - eauxglacees.com