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Inondations : une responsabilité collective, par Sylvain Rotillon

10 octobre 2015

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Sylvain Rotillon, fonctionnaire et spécialiste de la gestion de l’eau et des risques, nous a confié la version longue de sa Tribune parue dans Le Monde, en réaction aux inondations qui ont affecté les Alpes-Maritimes le week-end dernier.



Dans la catastrophe du week-end dernier, après avoir un temps mis sur la sellette les prévisionnistes, forcément coupables de ne pas connaître l’avenir avec précision, les vraies questions ont rapidement émergé : celles sur l’urbanisation insensée, sur l’imperméabilisation des sols à outrance.

Eric Ciotti a évoqué dans le Figaro le fait qu’ « il y a eu des erreurs commises il y a 50 ans quand l’État délivrait les permis de construire », ce qui n’est pas faux, mais a oublié de souligner que la tendance ne s’est pas inversée quand les maires ont récupéré cette compétence. D’autres l’ont fait pour lui, rendant les élus locaux responsables de cette dérive.

Et il suffit de regarder les photos aériennes historiques sur le site Géoportail pour constater qu’elle est bien réelle, qu’elle n’a pas pris fin avec les lois de décentralisation.

Il ne faudrait pas oublier de citer les promoteurs, aménageurs, forcément coupables car leur objectif est bien de gagner le plus d’argent possible, au prix de vies humaines dans certains cas.

Si ces responsabilités existent, il ne faudrait pas en faire une généralité. La responsabilité, ce n’est pas uniquement les autres, nul ne peut totalement s’en défausser.

Les études statistiques du ministère en charge de l’environnement montrent que l’artificialisation des sols est liée pour plus de la moitié à l’habitat dont la surface occupée a augmenté cinq fois plus vite que la population.

Les séparations au sein des ménages font que le besoin en logements augmente plus vite que la population, les standards de confort actuels font que la taille des logements croît sans cesse, le rêve collectif est celui du pavillon plutôt que de l’habitat collectif, les pratiques de loisir favorisent la terrasse pour le barbecue plutôt que le potager… ce sont avant tout ces motivations qui génèrent cette surconsommation d’espace.

Les élus, dans leur immense majorité, ne font que répondre à cette demande en accordant des permis. En dehors de quelques cas médiatisés, ou pas, de malversations, c’est cette somme de « petites » demandes individuelles qui finit par générer un énorme gaspillage.

Pour un élu qui ambitionne de se faire réélire, il n’est pas toujours facile de refuser un permis à un administré. La sanction par les urnes est plus redoutable que celle par la catastrophe qui statistiquement a moins de chance de se produire.

Les élus, consciemment ou non, font ce pari.

Alors que les bassins versants s’imperméabilisent, les zones inondables n’échappent pas à la soif de foncier. Pourtant, bien que l’inondation soit un risque non seulement connu, mais prévisible et certain, il faut se battre pour faire accepter qu’on ne construit pas en zone inondable comme on le fait ailleurs.

Les règles pour mieux construire existent dans les plans de prévention des risques d’inondation (PPRi), mais elles sont très difficiles à faire accepter socialement. Pourtant on sait que les mesures de prévention sont bien moins coûteuses que les réparations, pour s’en tenir aux seuls biens matériels.

Nicolas Bauduceau du Centre européen de prévention des inondations (CEPRI) estime ainsi dans la Gazette des Communes, que les dégâts du week-end dernier pourraient avoisiner les 500 millions d’euros, quand le montant national consacré à la prévention au niveau des logements et à la culture du risque n’est que de 30 millions par an.

Ce décalage peut s’expliquer par une sorte de pari implicite.

Le surcoût nécessaire pour concevoir des bâtiments résilients est très difficile à accepter car il est mis en balance avec d’autres éléments, réglementaires ou de confort.

C’est une question d’arbitrage : si on doit renoncer à un agrément quotidien apporté par quelques mètres carrés supplémentaires pour se prémunir d’une inondation qu’on espère ne jamais voir, on ne le fait pas. Cet arbitrage a déjà eu lieu pour des contraintes aux retombées plus immédiates pour le ménage comme l’isolation.

Ce pari malheureusement, presque tout le monde le tente.

Et cette somme de choix individuels se traduit par une aggravation collective qui paradoxalement pour le parieur rend le pari de plus en plus risqué. C’est jouer à la roulette russe en rajoutant des balles dans le barillet à chaque tour.

Une contrainte majeure est que la prévention via la construction est à assumer individuellement alors que la réparation se fait de façon collective, via la solidarité nationale.

Ce pari, suicidaire collectivement, ne tient que parce qu’il est collectivement accepté. L’état de catastrophe naturelle est déclaré immédiatement, ça ne fait pas débat. On ne fera pas le tri entre ceux qui ont fait le pari et les autres, tout le monde sera aidé.

Rejeter la faute sur l’État, les élus, les aménageurs n’est ainsi qu’une façon facile de se dédouaner de notre responsabilité collective. C’est notre mode de vie, nos représentations sociales qui au bout du compte conduisent à ces impasses, à ces drames.

L’imperméabilisation, les constructions inadaptées en zone inondable, ce n’est pas une malédiction imposée par quelques uns, c’est aussi un choix collectif. Jusqu’à quand ?

Marc Laimé - eauxglacees.com