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Coupures d’eau : le prix d’une imposture

30 juillet 2015

par Marc Laimé - eauxglacees.com

“L’interdiction” des coupures d’eau suscite en réalité une aggravation sans précédent de la situation des foyers précaires, auxquels les opérateurs continuent sans vergogne à infliger coupures d’eau et lentillage, soi disant “interdits”, sans compter le déploiement en cours de nouveaux moyens de coercition jamais utilisés jusqu’à présent.



Contrairement à nos prévisions (optimistes pour le coup...), l’amendement Brottes qui légalisait le "lentillage", a finalement été retiré par son auteur lors de l’examen en lecture définitive de la loi NOTRe à l’Assemblée nationale le 22 juillet dernier :

« VOTE DU TEXTE ADOPTE par l’AN en nouvelle lecture

22 juillet 2015

http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2014-2015-extra/20151024.asp

(…)

La parole est à M. François Brottes, président de la commission spéciale, pour soutenir l’amendement no 145.

 M. François Brottes, président de la commission spéciale. Le débat auquel a trait cet amendement est fait de plusieurs épisodes. Il s’agit de la question des coupures d’eau qui ont été interdites par le Conseil constitutionnel, au motif que l’on ne se fait pas justice soi-même.

J’avais proposé, avant que le Conseil constitutionnel ne statue dans une question prioritaire de constitutionnalité, de moduler la sanction pour ceux qui seraient de mauvaise foi. Le Sénat, avec le soutien du Gouvernement, a considéré qu’il ne fallait pas apporter une telle précision.

Il me semble désormais que, puisque la décision du Conseil constitutionnel a permis de stabiliser le texte, toute complication risquerait d’entraîner une nouvelle saisine et de déstabiliser de nouveau le dispositif. J’assume donc de retirer la proposition que j’avais faite à l’occasion de la nouvelle lecture. »

Après le vote définitif de la loi par l’Assemblée, le président de la commission spéciale en charge de l’examen du projet de loi, François Brottes (PS, Isère), a confié sa "fierté" d’avoir participé à l’élaboration d’un texte "100 % pragmatique et donc 100% utile", qui "entrera dans l’histoire des grandes lois de la Ve République". "L’audace, la ténacité" mais aussi "le sens du concret" de la ministre ont été salués par François Brottes qui a été proposé le 23 juillet, après accord du gouvernement, à la présidence du directoire du gestionnaire public du réseau de transport d’électricité (RTE).

Triomphe de la rebellitude bien pensante

Les efforts du quarteron de « rebelles » qui soignent leur réputation (et surtout leurs subventions, sans même évoquer les aventures électorales...), en s’affichant en Saint Vincent de Paul sont donc pleinement couronnés de succès. Les coupures d’eau et le lentillage sont interdits, et par le Conseil constitutionnel, et par le premier Ministre, et par le législateur. Y a de la Légion d’honneur dans l’air.

Sauf que tout cela est totalement pipeau, chacun le sait mais ne dit mot, et c’est toute la crapulerie de l’opération dont le succès ne repose que sur la crédulité des gogos qui l’applaudissent.

Des rebelles aux abonnés absents

Car pendant ce temps là, par exemple dans les Pyrénées orientales, Veolia continue sans vergogne à couper l’eau à des abonnés.

Le 16 juillet, deux copropriétaires d’un immeuble de Perpignan saisissent la Fondation France Libertés. Suite au retard de paiement de la dernière facture d’eau de mai 2015, VEOLIA a coupé l’eau dans l’immeuble. Six locataires sont à cette date sans eau depuis deux jours. Il semble qu’un changement de syndic soit à l’origine du retard de règlement de la facture.

Le 27 juillet, le Directeur de la Coordination Eau Ile de France est saisi d’une coupure d’eau effectuée la veille chez une mère au foyer vivant seule avec deux enfants actuellement malades, bénéficiaire du RSA. Elle a demandé à VEOLIA d’attendre le 29 juillet afin que son dossier soit étudié par les services sociaux référents (en congés). Refus de VEOLIA de prendre la situation en considération pour une facture en souffrance de 197 €.

Déjà, le 18 juin, le journal local l’Indépendant relatait le "lentillage" appliqué par Veolia à un immeuble de Perpignan abritant vingt réfugiés déboutés du droit d’asile, dont sept enfants, après une fuite ayant occasionné une facture de 10 000 euros...

L’Indépendant, 18 juin 2015

Ah, c’est pas de chance, sans doute pour se reposer de leurs efforts démesurés, les rebelles de France Libertés et de la Coordination Eau Ile de France sont en vacances…

Les promesses mille fois répétées devant les medias de « sauver les pauvres » valent donc bien ce qu’elles valent : du vent.

Et ce n’est qu’un début, le pire est à venir.

Veolia crée une start-up de recouvrement

Le 17 juin 2015, lors d’un séminaire de managers réunissant 1100 collaborateurs, M. Alain Franchi, responsable des activités Eau de Veolia en France, confirme que l’entreprise va bien créer « la capsule SHUSS (qui) serait baptisée commercialement Payboost (… ), « un service déjà choisi par Veolia, pour ses 7 millions d’abonnés, soit 17 millions de factures et 26 millions d’actes d’encaissements par an ».

Payboost est une offre de « back office opérationnel ». Cette société propose aux clients (hors Veolia…) un service de facturation et un service d’encaissement. En matière de facturation, Payboost devrait contribuer à la réduction des coûts et à l’accélération de la procédure. En matière d’encaissement, elle permettra la réduction des impayés sur les prélèvements et la mise en place d’une gamme complète de moyens de paiement.

Pour ce faire, Payboost a conclu un partenariat avec Olkypay, start-up au statut d’établissement de paiement sous agrément, conformément à la directive européenne de 2007 sur les services de paiement.

La différenciation apportée par Payboost consiste tout d’abord dans un système d’encaissement intelligent, grâce à la représentation du paiement et au fractionnement automatique.

Elle permet au client opérateur de capturer davantage de paiements. En outre, ce service offre le remplacement du TIP par le TIP SEPA. Pour les consommateurs finaux, ce dispositif permet de réduire le stress des relances, d’éviter les pénalités bancaires et de proposer des solutions de paiement adaptées à chaque client.

Payboost simplifie également le paiement en espèces, et aide à identifier les situations de précarité plus en amont. Les clients de Payboost sont les opérateurs de services de proximité facturant en masse, exposés à une croissance des impayés et rencontrant des difficultés à recouvrer. C’est le cas, en particulier, des collectivités et des bailleurs sociaux. À ce
jour, une centaine de prospects ont été identifiés. »

D’après Alain Franchi, aujourd’hui, pour VEOLIA, le coût total annuel des impayés avoisine les 35 millions d’euros. À terme, il pourrait atteindre 70 millions d’euros. Pour apprécier le coût réel de ce service, il faut prendre en compte la réduction des impayés. Compte tenu de l’évolution de la réglementation, le volume d’impayés pourrait être multiplié par deux, augmentant par là même les coûts internes et les coûts bancaires.

Aujourd’hui, en matière de facturation-recouvrement, le prix de revient national, hors société dédiée, est de 9 euros pour le back office de Veolia, qui va donc investir dans une plateforme intelligente pour prévenir la croissance des impayés, qui risque de s’accélérer. Avec l’investissement réalisé, le prix de vente atteindra 10,30 euros environ. Cependant, Veolia bénéficiera de tarifs plus avantageux.

Une question à laquelle Veolia ne répond évidemment pas : comment l’entreprise va-t-elle « identifier plus en amont les situations de précarité », et en conséquence « réduire le montant des impayés » ?

Bien évidemment, en s’inspirant des pratiques de « recouvrement sauvage » qui se développent déjà à l’initiative de nombreux services en France depuis « l’interdiction des coupures d’eau » et la croisade de nos « rebelles » subventionnés.

Le nouveau Far-West

Qu’est-ce qui se passe concrètement aujourd’hui en France, sur le terrain, à l’initiative de services de plus en plus nombreux, publics comme privés, après la fameuse « interdiction des coupures d’eau » ?

L’assomption de la loi de la jungle.

Vingt pour cent des impayés environ sont généralement recouvrés sans problème particulier après un retard de paiement.

Plus de cinquante pour cent des impayés trouvent leur origine dans une réelle situation de précarité. Les services des collectivités concernés peuvent dès lors saisir leur CCAS pour une prise en charge partielle de la dette par le fonds eau du FSL départemental. A condition qu’il existe, et sous réserve de la passation d’une convention, entre la collectivité et le FSL. Dans ce cas de figure la collectivité devra toutefois passer en perte 50% de l’impayé… Idem pour les "chèques Eau", popularisés notamment par le SEDIF en Ile-de-France.

Restent environ 30% de « mauvais payeurs » récalcitrants. A ce jour (outre les coupures que Veolia continue à pratiquer sans vergogne, Suez étant plus soucieux de son image et donc moins va-t-en guerre), et quoiqu’il demeure officiellement interdit, le lentillage leur est de plus en plus massivement appliqué, avec des résultats concluants en habitat individuel : le lentillé paie vite…

En habitat collectif, bien évidemment, le lentillage tient de la punition collective : plus on grimpe dans les étages, et plus la pression diminue, et dès lors, plus de douche, de chauffe eau, ni de machine à laver, lors même qu’il est rigoureusement impossible de cibler les "vrais fautifs"...

Qu’importe. Les services qui recourent au lentillage vont donc continuer à s’asseoir sur son "interdiction", aussi longtemps qu’aucune jurisprudence n’en condamnera le principe…

Enfin, beaucoup plus grave, plusieurs services ont déjà recours à des sociétés de recouvrement, officines à la réputation détestable (parfaitement justifiée), qui se sont fait une spécialité du harcèlement aux bornes de la légalité de débiteurs défaillants, le plus souvent des pauvres surendettés : courriers menaçants, harcèlement téléphonique, menaces de saisie… Le tout sans aucun fondement si un jugement condamnant le débiteur n’a pas été rendu par la justice.

En fait, contrairement aux voeux pieux d’Henri Smets, maître à penser de nos rebelles subventionnés, opérateurs et services, publics comme privés, n’ont aucunement l’intention de saisir la justice pour faire condamner les débiteurs défaillants : trop cher et trop lent, avant que d’obtenir une condamnation, puis un commandement d’huissier...

Dès lors toute cette affaire aura surtout servi à faire entériner par le gouvernement une offensive sans précédent contre les pauvres...

L’Uberisation du Trésor Public

Nous en sommes là, et les choses vont désormais très vite s’aggraver, quand vont se dévoiler toutes les potentialités de l’article 40 de la loi 2014-1545 du 20 décembre 2014 "relative à la simplification de la vie des entreprises et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit et des procédures administratives."

Il s’agit à terme de la disparition du Trésor public tel que nous l’avons toujours connu, de la fin de la distinction entre ordonnateur des dépenses et comptable public, avec des conséquences encore incalculables.

Comme ne va pas tarder à le démontrer PAYBOOST la nouvelle start-up de Veolia, spécialisée dans la facturation-recouvrement...

Le prix d’une imposture.

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Marc Laimé - eauxglacees.com