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L’invasion du Silure

14 juillet 2015

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Un spectre hante les rivières et les fleuves français, celui d’un redoutable prédateur qui s’y développe à un rythme dévastateur, et s’attaque à d’autres espèces, dont l’admirable saumon, devenu, à son corps défendant, depuis une dizaine d’années, le symbole d’une « reconquête de la qualité des eaux » parfaitement imaginaire qu’une armada d’acteurs, complices de la supercherie, s’acharnent à prétendre à portée de mains, alors que nous nous en éloignons plus que jamais.



Quand la France a transcrit en 2004 la Directive-cadre européenne sur l’eau (DCE) du 23 octobre 2000, qui nous engageait à « recouvrer un bon état écologique et chimique de toutes les masses d’eau à l’horizon 2015 », le mantra de la décennie qui est depuis belle lurette passé aux oubliettes, parce que ledit bon état n’est pas atteint en 2015, et ne le sera évidemment pas davantage en 2021 ni en 2027, compte tenu de la régression sans précédent des politiques publiques ces dernières années, faute de s’attaquer réellement à la pollution chimique catastrophique des masses d’eau de surface et souterraines, dont la qualité continue à se dégrader à vitesse grand V, le Lobby de l’eau hexagonal a choisi de mettre en avant la « continuité écologique », et de conférer dans ce cadre aux poissons migrateurs amphihalins un rôle (démesuré) de marqueur de la qualité des eaux…

La saga de la "continuité" avait en fait débuté avec le Grenelle, avant que d’être formalisée en 2009, avec les trames verte et bleue, et des objectifs quantitatifs.

Ce qui a entraîné au nom de la restauration de la « continuité écologique » l’engagement de travaux considérables, des centaines de millions d’euros, afin de détruire les obstacles à ladite continuité (moulins, barrages et autres seuils), qui empêchent lesdits migrateurs de remonter le cours des rivières.

Et bien évidemment des kilotonnes de recherches, séminaires, colloques, rapports...

Fort bien. Sauf que ça a tourné à l’obsession, au délire éradicateur, tant il est plus facile de raser un petit obstacle que de s’attaquer aux pollutions chimiques de l’industrie et de la FNSEA. Et puis ça se voit, et puis ça donne du boulot à l’Onema et aux DREAL…

Bref, s’en est suivi une guerre de tranchées avec nos amis des moulins, dont les arguments ne sont pas totalement insensés…

Ceci sans même évoquer la farce de l’hydroélectricité "durable" pour la croissance verte et autres billevesées bien en cour...

Mais il y a mieux, enfin pire, comme d’habitude.

Revenons à nos migrateurs amphihalins. Une invraisemblable propagande veut nous faire accroire que grâce aux efforts admirables accomplis pour reconquérir la qualité des eaux, des myriades de saumons et de truites s’ébattraient désormais dans tous nos fleuves et rivières.

Nous laisserons de côté la question des PCBs, qui mérite pourtant toujours examen, puisque depuis la révélation du scandale en 2007, aucun progrès réel n’a été enregistré, pour examiner de plus près cette admirable renaissance des saumons et des truites dans nos belles rivières…

Un escroquerie sans nom.

Quand par miracle ils survivent à la pollution, à l’anoxie, aux ravages invraisemblables qui continuent à être perpétrés dans tous les domaines aquatiques, nos amis les saumons sont désormais en butte aux appétits dévastateurs de véritables monstres qui prolifèrent à un rythme stupéfiant, les silures…

Silure

Le 24 avril dernier, quatre pêcheurs ébahis alertent une association de protection du saumon de l’Allier. A Moulins, sous le pont, aux environs de 20h30, ils viennent de voir un silure dériver dans très peu d’eau, avec dans la gueule un saumon d’environ huit livres qu’il n’arrivait pas à avaler. Du jamais vu !

Cette prédation de saumons par le silure est bien connue par les pêcheurs professionnels en eau douce (ceux qui ont survécu à vingt ans de géhenne…), qui ont sonné l’alerte depuis longtemps auprès des DREAL, ONEMA, ministère et autres autorités.

Sur le bassin de la Loire, les pêcheurs professionnels ont souhaité lancer des études du régime alimentaire du silure, et de sa place dans le réseau trophique ligérien pour apprécier notamment son impact sur les flux de poissons migrateurs entre l’estuaire et l’amont du bassin. L’objectif était de cibler les tailles de silures à réguler pour maximiser les effectifs de reproducteurs des migrateurs arrivant en amont des cours d’eau.

Le montage du dossier a été très compliqué et retardé, en partie en raison de l’opposition violente de groupes de pêcheurs à la ligne fanatiques de poissons trophées, qui sont allés jusqu’à écrire "Vivement que ces saletés de migrateurs disparaissent", et qui menacent même de mort les professionnels qu’ils accusent de détruire "leurs" poissons trophées, comme un certain nombre de guides professionnels de pêche, qui exercent une activité commerciale de pêche uniquement avec une carte de pêche à la ligne, trouvez l’erreur !

Ici on touche du doigt la question taboue. Le lobby des pêcheurs amateurs s’est transformé au fil du temps en bras armé des institutions, exerce pour leur compte des missions régaliennes, et bénéficie dès lors d’un traitement de faveur du MEDDE et de l’ONEMA, ce qui génère… des cartes de pêche et des financements, permet de siéger dans toutes les instances officielles, et d’y défendre les positions… officielles, dans une parfaite opacité, surtout vis-à-vis de leurs mandants : les pêcheurs à la ligne. Leur nombre ne cesse de décroître, comme le nombre des espèces piscicoles. La pêche à la ligne devient un simulacre de plus en plus artificialisé. Alevins de pisciculture et « No kill »

Les Fédérations départementales de pêche sont très "molles" face aux positions des extrémistes, fanatiques des « poissons-trophées ».

Ces fanatiques sont très agités et remuants, et la Fédération nationale de la pêche française (FNPF), en comité pêche du Comité national de l’eau (encore lui…), par la voix de M. Claude Roustan, son inamovible président, s’est même déclarée fermement opposée à toute idée de régulation du silure, compte tenu des intérêts commerciaux que représentent cette espèce (vente de cartes de pêche, matériel coûteux...).

A la demande du MEDDE, un groupe de travail national animé par l’ONEMA a été mis en place. Après deux ou trois réunions en 3 ans la situation demeure bloquée. De plus, la FNPF tient absolument à faire autoriser la pêche du silure de nuit... Le Comité National de la Pêche Professionnelle en Eau Douce (CONAPPED) y étant opposé, une nouvelle réunion de négociation devait être organisée par le MEDDE en mai dernier.

Un premier travail scientifique de l’Université de Tours sur la croissance du silure et son régime alimentaire, avec des collaborations de l’Université de Constance (Allemagne, pour les isotopes de protéines), de Liège (Belgique, pour la détermination des proies), du Muséum National d’Histoire Naturelle (pour la détermination de l’âge à partir des structures osseuses : vertèbres, rayons de nageoire, otolithes), du Muséum d’Histoire Naturelle d’Orléans (détermination d’autres proies) a été engagé. Les échantillons de silure ont été fournis par les professionnels de Nantes jusqu’à Gien. Son financement a été assuré dans le cadre du Plan Loire Grandeur Nature, et la qualité des organismes scientifiques partenaires aurait pu laisser espérer une reconnaissance des résultats…

Alosa 2012-2013, l’étude de l’Université de Tours

Au vu des dégâts déjà enregistrés sur la prédation des migrateurs, et notamment du saumon et de l’alose, il serait impératif que des mesures de gestion puissent être mises en œuvre pour assurer une cohérence avec la restauration des poissons migrateurs.

On peut toujours rêver. La légion de catéchumènes qui intriguent férocement pour disputer à leurs congénères un quelconque strapontin au nom de la « biodiversité » et dans la perspective de la création de l’Agence éponyme ont bien évidemment d’autres chats à fouetter… sur Twitter.

Marc Laimé - eauxglacees.com