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Marseille : le temps de la justice

15 juillet 2015

par Marc Laimé - eauxglacees.com

La mise en scène dans l’espace public de l’affrontement public-privé est constamment brouillée, non seulement par la guerre de communication qu’y conduisent avec une puissance de feu redoutable les tenants de la gestion privée, trop souvent relayés par des medias approximatifs, que par le temps long de la justice, qui finit par occulter des révélations et des combats décisifs. Comme à Marseille, où la conquête du Conseil général par l’adjointe au maire (UMP) Mme Martine Vassal, ne doit pas occulter la mise à nu de tout un système, opérée par plusieurs actions judiciaires.



Ainsi plusieurs élus écologistes marseillais avaient-ils déposé en décembre 2013 un recours contre la signature d’un nouveau contrat de DSP, qui attribuait pour 15 ans la production et la distribution de l’eau potable à l’échelle de la Métropole… à la Société des eaux de Marseille (SEM), ancienne filiale commune de Veolia et Suez, aujourd’hui filiale de Veolia, et véritable état dans l’état, qui règne sur l’eau (et mille autres choses dans tout le sud-est, et à l’étranger, on l’oublie toujours...), à Marseille… depuis 1942.

Le recours contestait la qualification de « bien de reprise » attribuée dans le nouveau contrat à un parc de compteurs, prétendument propriété de la SEM, et dès lors qualifié comme tel, lors même qu’une analyse financière approfondie réalisée par le groupe d’élus établissait qu’il s’agissait sans équivoque de « biens de retour », c’est-à-dire des biens qui font partie du patrimoine de la collectivité, entendre que c’est elle, ou plutôt ses usagers, qui les ont financés, et qu’ils doivent dès lors « faire retour » gratuitement à la collectivité à la fin du contrat.

Au cas d’espèce la différence représente une facture de 2,7 millions d’euros que MPM, dans le nouveau contrat, devait payer à la SEM pour lui racheter des compteurs qui, en fait, lui appartenaient déjà, comme l’a démontré sans équivoque le mémoire des élus écologistes.

Ces compteurs, indispensables à l’exécution du service public de l’eau sont considérés dès l’origine comme la propriété de la collectivité, en tant que biens de retour. Mais il arrive très souvent que le délégataire affirme qu’il a procédé à leur renouvellement en cours d’exécution du contrat, ce qui peut se produire, en toute légalité, et pose dès lors la question de savoir si cet investissement a, ou non, été amorti avant son terme. Si ce n’est pas le cas le délégataire peut à bon droit demander à être indemnisé de la part non amortie de cet investissement à la fin du contrat, avant de restituer le parc de compteurs à la collectivité.

Ici nous sommes dans un cas très particulier, le contrat qui s’achevait avait débuté en 1962, avant d’être sérieusement modifié par voie d’avenant, au plus grand profit de la SEM, en 1990. Autant dire qu’en 2013, à la fin du contrat, le parc de compteurs avait en fait été amorti un nombre incalculable de fois…

Mais il y a mieux, enfin pire. Tant pour ce qui concerne le « protocole de fin de contrat » (qui doit notamment régler les questions financières entre les deux parties, est-ce que l’une doit quelque chose à l’autre ?), que le nouveau contrat finalement attribué à la SEM en octobre 2013 par la CUM, la SEM n’avait pas fourni le moindre inventaire des biens de la DSP, ce qui interdit ipso facto tout calcul de l’amortissement desdits biens !

On se demande dès lors comment des élus ont pu attribuer un nouveau contrat de DSP à la SEM dans ces conditions ?

En fait, ni la SEM pour la DSP de l’eau, ni la SERAM pour la DSP de l’assainissement, n’ont produit, ni l’inventaire des biens de la DSP, ni la garantie bancaire exigée par la procédure, ce qui laisse à penser que nous sommes en présence d’une entente, d’un appel d’offres fictif, chacune des deux sociétés étant si assurées de retrouver leur délégation qu’elles ne se sont pas même donné la peine de réaliser lesdits inventaires…

Et ce n’est pas tout, loin s’en faut. Comme avec le grand classique en matière de surfacturation incontrôlable des « frais de siège ». L’entreprise soutient qu’elle mobilise tous ses savoir-faire (d’excellence) à tous ses niveaux d’organisation hiérarchique, jusqu’à son siège parisien, pour en faire bénéficier, ici le contrat marseillais.

En la matière l’estimation initiale de MPM était au départ de 0,5 % des produits d’exploitation. A la fin de la négociation, les délégataires obtenaient respectivement 2 % pour la SEM et 3 à 3,3 % pour la SERAM…

Il est vrai qu’à Marseille cette inflation s’explique, avec l’exemple d’une subvention de « mécénat » de 3M€ au Musée d’Histoire de Marseille, imputée au budget de la SEM dans ses frais de siège…

Transgression évidente du fameux principe érigé en ritournelle « l’eau paie l’eau » qui peut s’apparenter à un abus de bien social. L’usager paie en effet l’action de mécénat via sa facture d’eau, ce qui est parfaitement illégal, mais ne bénéficie évidemment pas de la réduction d’impôts accordée aux particuliers et aux entreprises mécènes...

Comme il n’y a pas de petit profits, la SEM et la SERAM ont aussi tiré sur la corde des « frais de tuilage », appellation absconse censée représenter les surcoûts liés à la transition entre l’ancien et le nouveau délégataire dans le cadre du nouveau contrat de DSP. Comme ici les mêmes entreprises se succèdent à elles mêmes, ces « frais de tuilage » n’ont pas de raison d’être.
Il ne s’agit pas de sommes négligeables :

 SEM : 6,8 M€ pour se succéder à elle même ;

 SERAM ouest : 3500 X15 = 52500 €

 SERAM est : 3000 X 15 = 45 000 €

 SERAM centre : non communiqué

Au-delà du recours introduit par des élus écologistes marseillais, on rappellera aussi qu’au titre du contrôle de légalité, le Préfet des Bouches-du-Rhône avait, immédiatement après la signature du nouveau contrat, saisi la Chambre régionale des comptes, qui publiait quatre mois plus tard des rapports accablants, dont le contenu et les observations auraient du conduire, à eux seuls, à une annulation des nouveaux contrats.

Après d’intenses pressions le parquet de Marseille se dessaisissait de la bombe au profit du nouveau Parquet national financier, qui instruit depuis lors ce dossier explosif.

Autant de faits qu’il est bon de rappeler quand la propagande multiforme des tenants, innombrables, de la gestion privée monte à nouveau en puissance à l’approche de 2017, avec d’invraisemblables calembredaines, comme la "Charte de Lisbonne" ou les "guidelines de l’OCDE", dont on va nous rebattre les oreilles dans les mois qui viennent.

Marc Laimé - eauxglacees.com