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Au Nord, d’autres naufragés

19 avril 2015

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Une lectrice d’Eaux glacées, habitant un petit village du Nord de la France, nous a adressé un témoignage qui glace le sang. Depuis plusieurs dizaines d’années les lobbies de l’eau et de l’agriculture, tout-puissants, intouchables, violent impunément la loi. Résultat, un désastre environnemental, mais surtout une hécatombe, avec des cancers foudroyants qui déciment son entourage.



« Depuis des années, nous connaissions des problèmes de refoulement des
eaux usées dans notre habitat, sans en comprendre la cause. Aujourd’hui,
nous avons l’explication…

Nous sommes un quartier (vingt-cinq maisons), passé de zone NB à UC, dont les parcelles sont situées sur une nappe phréatique sub-affleurante, avec un PPRN (Plan de protection des risques naturels (1), aléa inondation, depuis 2001. Il n’y a pas eu d’enquête publique, pourtant la mairie distribue des documents pour tous les nouveaux acquéreurs.

Nous avons fait construire fin 1998, et ne l’avons appris que le 3 février 2015…

Une installation d’ ANC (assainissement non collectif) avec fosse "toutes eaux", plateau d’épandage et rejet des eaux usées retraitées dans un cours d’eau ne peut fonctionner quand il est implanté dans une nappe phréatique, et quand il y a des cuvettes argileuses, selon le guide du SPANC, version "Collectivités", et non pas usagers...

Aujourd’hui, Noreade, régie du SIAN-SIDEN, dont le 1er Vice-Président est
un très gros exploitant agricole des Flandres, nous somme de nous mettre
aux normes, de faire un étude de sol à 500 euros (pure arnaque pour vérifier quoi : le niveau de l’eau ?), et nous impose une micro-station à 20 000 euros !

Je dois me réjouir, j’aurai droit à une subvention de l’Agence de l’eau quand je sais que d’autres riverains n’ont pas eu cette chance…

Bien sur, il faudra une pompe de relevage car compte tenu de la variabilité des solutions en ANC, impossible de se dispenser de cette solution la plus chère (normale en zone inondable !), et bien sur énergivore…

Comment nous mettre aux normes, alors que mes nombreuses copines de l’autre côté des berges du cours d’eau, dont la station d’épuration des urines des vaches se rejette dans ce cours d’eau, ne sont pas contrôlées, car ce n’est pas une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) et elle n’est donc pas tenue de se mettre aux normes…

Aujourd’hui, le cours d’eau et les fossés bouchés (non entretenus, non connectés entre eux...), sont le réceptacle des eaux usées non retraitées depuis au moins vingt ans. Nous sommes infestés par les mouches, les rats et rats musqués.

Il est clair que le Règlement sanitaire départemental est enfreint sur de nombreux articles. Le cours d’eau a été déclassé en fossé pour arranger les agriculteurs du coin : passage en terre défoncé, non réglementaire, avec un petit drain sous terre obstrué et criblé par les déjections du bétail, couloir de
circulation avec des coulées de boue dans le cours d’eau, un second
agriculteur qui cultive jusque dans le cours d’eau...

Nous avons même une servitude d’urbanisme pour curer ce cours d’eau. Le syndicat de rivière ne l’a pratiquement pas entretenu depuis 1998, et pour cause : il n’y a pas de passage du côté de l’exploitation agricole entre le couloir de circulation du bétail et la station d’épuration, ni de notre côté pour
une grue immense malgré les quatre mètres de passage.

Le tank envoyé en délégation par le syndicat de rivière sans déclaration d’intérêt général (DIG), et sans notre accord (trois courriers envoyés en AR pour demander un constat préalable après avoir essuyé des menaces du syndicat de rivière), n’a fait qu’effacer les méfaits des agriculteurs
que nous avions dénoncés dans un courrier en AR : le drain du plateau
d’épandage qui sort dans le cours d’eau a été noyé et immergé...

Comme dirait mon fils de huit ans, à Radinghem en Weppes, "c’est du lourd" : un agriculteur pris en flagrant délit (mais non verbalisé), par l’ONEMA (Office national de l’eau et des milieux aquatiques), - présent avec la DDT-M (Direction départementale des territoires et de la mer) pour une visite de terrain - , à pulvérisé tout près d’un cours d’eau BCAE ("Bonnes conditions agricoles environnementales"), avec bandes enherbées en aval (eaux de drainage en fait car il n’y a pas d’eau sur la carte de l’IGN (Institut géographique national), à cet endroit- là, contrairement à notre cours d’eau déclassé en fossé et il ne suit pas le sens du courant !), qui répond après avoir au préalable tenté de joindre la gendarmerie alors que le groupe ONEMA/DDT-M ne faisait que l’observer, qu’il « n’était pas au courant… »

Au courant, il l’est pour toucher les primes de la PAC (Politique agricole commune), et pour les zones humides !

En conclusion, nous avons la malchance d’habiter une commune rurale de 1400 habitants, siège du plus gros syndicat mixte de rivière, avec neuf bassins qui couvrent l’Artois-Picardie.

Son président est un agriculteur, fils de sénateur, qui a créé le syndicat, 1er adjoint au maire depuis vingt ans au moins, en charge des finances de la commune et des affaires rurales, ancien président de la FDSEA (Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles), gérant depuis trente-six ans d’une société qui loue et vend des terrains, vice-président du comité syndical du plus grand bassin hydraulique de la Lys sur les neuf que compte le syndicat de rivière, auquel la commune est rattachée.

J’aimerais dire à Monsieur Vallini, en charge de la réforme territoriale, qu’un agriculteur ne peut être président d’un syndicat de rivière. On ne peut être juge et partie comme le confirme l’ensemble du personnel du syndicat des Trois Rivières, dans le département de l’Ardèche qui a accepté de me prêter main forte à la recherche de la vérité.

Et puis, à part pour les agriculteurs très aidés financièrement, vivre sur une nappe phréatique sub-affleurante sans le savoir, à six mètres d’un champ de 3000 m2 où l’on pratique une culture intensive, à trente mètres des étables d’une ferme, a des conséquences sur le plan de la santé et de l’habitat : bois des velux moisis, taux d’humidité supérieur à la moyenne, avec condensation, maladies respiratoires, maux de tête surtout quand on ne peut aérer tant il y a de mouches qui criblent de déjections l’intérieur et l’extérieur de l’habitat, sans compter les piqures…

Voici notre vie aujourd’hui avec mes quatre enfants, et par extension celle de mes voisins, dont certains ne sont plus là pour témoigner : Olivier, neuf ans, décédé d’une leucémie, Christine « ma voisine de servitude », décédée à quarante deux ans d’un cancer, Jacques, décédé à cinquante neuf ans d’un cancer foudroyant, Gabriel, vingt cinq ans, décédé d’une leucémie…

Pourtant l’eau n’est-elle pas « le patrimoine commun de l’humanité » et la qualité de l’eau, soi-disant « un enjeu majeur de santé publique » ?

C’est plutôt l’enjeu majeur des agriculteurs qui font leur carte des cours
d’eau de drainages agricoles.

Et le gouvernement me fait bien rire (jaune) avec sa consultation publique sur l’eau : L’avenir de l’eau se décide aujourd’hui et avec vous !, dont personne a entendu parler.

Et puis, comment le citoyen lambda peut-il comprendre les enjeux, aurait-il
un quelconque pouvoir de décision, peut-il se sentir concerné par les questions comme : « Pour prévenir et limiter les effets négatifs des inondations, faut-il permettre aux cours d’eau de suivre et de retrouver leur lit naturel et de s’épandre… »

Je peux répondre à cette question, mais il m’a fallu dix-sept ans pour comprendre.

Combien de morts encore pour nous faire entendre ?"

NOTES :

(1) Les zonages d’un PPRN :

Zone rouge : zone d’écoulement principal où les hauteurs d’eau et les courants peuvent être très importants.

On distingue 3 types de zones rouges :

• zone rouge "R" : pour les zones naturelles et dont la hauteur d’eau en crue centennale est supérieure à 0.5 m.

• zone rouge "RU1" : pour les secteurs urbanisés susceptibles d’être recouverts par une lame d’eau supérieure à 1.50 m en crue centennale ou par une lame d’eau comprise entre 0.50 et 1.50 m mais situés dans une zone d’écoulement préférentiel des eaux débordées.

• zone rouge "RU2" : pour les secteurs urbanisés susceptibles d’être recouverts par une lame d’eau comprise entre 0.50 et 1.50 en crue centennale et situés hors des zones d’écoulement préférentiel des eaux débordées.

Zone bleue : zone d’expansion des crues où les hauteurs d’eau en crue centennale sont inférieures à 0.50 m.

On distingue 3 types de zones bleues :

• zone bleue "Bn" : pour les secteurs naturels, très faiblement bâtis et qui constituent un champ de dispersion de l’énergie des crues qu’il convient de préserver.

• zone bleue "Bu" : pour les secteurs déjà fortement urbanisés.

• zone bleue "Bp" : pour le secteur en limite d’agglomération seulement inondé par les eaux de ruissellement.

Marc Laimé - eauxglacees.com