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Villefranche-sur-Saône (2) : Eau « potable » et risques sanitaires

12 septembre 2007

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Les normes de qualité réglementaires qui permettent de déclarer une eau potable présentent-elles toutes les garanties de sa parfaite innocuité pour la santé ? Le débat est récurrent et reprend une nouvelle vigueur depuis quelques années, à mesure que la dégradation de la qualité des ressources en eau, massivement polluées, suscite un débat dans l’opinion publique. Eaux glacées a reçu ce témoignage d’un usager de Villefranche-sur-Saône qui ne devrait pas manquer de relancer la polémique.



« Une eau potable est une eau dont l’utilisation ne présente pas de danger pour la santé. La consommation d’une eau polluée n’est pas le seul critère. Dans le cas d’une pollution par des solvants, avérée à Villefranche-sur-Saône, le danger vient de tous les usages de l’eau. Dès que l’eau coule librement, les solvants contaminent l’air, surtout si l’eau a été chauffée. Le risque maximum étant représenté par la douche et le bain. En tirant la chasse des WC, l’air des toilettes se contamine, contaminant ensuite l’air des chambres où sont présents les habitants la nuit.

« Dans le cas du Tétrachloréthylène, présent à Villefranche-sur-Saône, des études poussées montrent que 30 % des risques viennent des usages autres que celui des eaux de boisson.

« Fréquemment des personnes nous disent : « La pollution de l’eau ne me concerne pas car je ne bois que de l’eau en bouteille », ou « J’ai installé un traitement d’eau efficace dans la cuisine ».

« Ils ont tort, car compte tenu de la contamination de l’air de l’habitation, leur santé est en danger.

« L’environnement est aussi à prendre en compte : si l’usager consomme des produits maraîchers locaux arrosés avec une eau polluée, des produits alimentaires provenant d’une usine alimentée par une eau polluée, ou est exposé à la pollution de l’air par les pesticides des « sulfateuses », tous les risques s’additionnent.

Potabilité et santé publique

« La définition d’une eau potable par le Code de la santé publique est plus contraignante que la définition commune. L’eau ne doit pas contenir de substances constituant un danger potentiel pour la santé des personnes. C’est-à-dire qu’il n’y a pas besoin de preuve scientifique absolue pour dire qu’une eau est non potable. Un simple danger potentiel suffit.

« De plus, les différents lobbies concernés sont intervenus, notamment à Bruxelles, pour fixer des « limites de qualité », établies selon les intérêts de tel ou tel groupe de pression.

« D’après la loi française (Décret 2001-1220), pour un polluant la norme de l’eau potable est la plus petite valeur entre l’absence de danger potentiel pour la santé et la limite de qualité.

« Le problème des « limites de qualité » est qu’elles ne sont pas toujours basées sur des critères de protection de la santé. Par exemple de nombreux pesticides sont sans aucun danger pour l’homme aux concentrations possibles dans de l’eau, pourtant la limite de qualité est très basse.

« A l’opposé, d’autres lobbies ont réussi à imposer des limites de qualité très hautes, par exemple pour les solvants. Dans ce cas, d’après la loi, seules les normes basées sur l’absence de danger pour la santé sont applicables.

« Ainsi, pour le Tétrachloréthylène, l’absence de danger pour la santé impose une norme de 0,06 mg/l d’après les circulaires officielles du ministère de la Santé. Aux Etats-Unis, l’objectif est même de 0 mg/l (absence totale) de Tétrachloréthylène dans l’eau potable.

L’exemple de Villefranche-sur-Saône

« Toutes les analyses réalisées depuis une vingtaine d’années ont montré une concentration en Tétrachloréthylène supérieure à 0,06 mg/l. En 2006, la concentration moyenne de l’année a été de 4 mg/l (66 fois la norme), des pics à plus de 10 mg/l sont détectés, 50 mg/l dans les puits de captage (puits 6).

« La limite de qualité de 0,5 mg/l pour la totalité des pesticides est dépassée régulièrement. Les pesticides viennent en majorité de la viticulture dans la vallée du Nizerand, et on n’analyse pas toujours les bons produits.

« En ajoutant aux risques potentiels que représentent les 100 polluants toxiques déjà détectés dans, ou en amont, des captages d’eau, ceux de tous les polluants non recherchés (plusieurs centaines peut-être), il est certain que l’eau, réglementairement déclarée potable, présente des dangers potentiels pour la santé.

« Un calcul permet d’arriver à une possible occurrence de cancer pour 1000 habitants, c’est-à-dire qu’il y aura des morts à Villefranche. Pour information, la norme utilisée couramment par le ministère de la Santé est de 1 cancer pour 1 000 000 habitants, soit un risque quasi nul, car environ 60 000 personnes consomment de l’eau polluée à Villefranche-sur-Saône et sa région.

« Nous venons de recevoir notre facture d’eau avec un document intitulé « Qualité des eaux d’alimentation 2006 ».

« Ce papier est une mauvaise photocopie en noir et blanc. Des informations incorrectes sur la provenance de l’eau sont indiquées (nous sommes alimentés à 100 % par les captages de Villefranche-sur-Saône).

« Mais il y a une nouveauté, la première information des usagers sur la présence de solvants chlorés dans l’eau distribuée.

« Il est vrai qu’en 2006 nous avons effectué de multiples démarches pour cela, dont une lettre recommandée au Maire et à la Préfecture. Alors que l’eau est contaminée depuis 20 ans au moins par des solvants chlorés, en 2007 pour la première fois on informe tous les usagers du Syndicat Intercommunal des Eaux de l’Ouest de Villefranche.

« C’est un progrès, mais le document mentionne que les solvants chlorés « sont restés conformes aux limites de qualité ». Faux, car de nombreux solvants détectés n’ont aucune limite de qualité. Et pour le Tétrachloréthylène, cela est sans intérêt car la norme est bien en dessous de la limite de qualité.

« La principale chose qui intéresse les usagers est de savoir si l’eau est potable ou pas. Et cela, la DDASS ne l’écrit pas. Dans le paragraphe « Pour votre santé », il est écrit que l’eau « est conforme aux normes pour toutes les substances recherchées ».

« ll y a confusion entre normes et limites de qualité. Mais le plus grave c’est que la conformité est limitée aux produits « recherchés » (les années précédentes, le mot « recherchés » n’était pas écrit).

« On fait beaucoup d’analyses, mais surtout pour montrer que l’eau est potable (bactériologie derrière 3 traitements de désinfection, c’est sûr qu’avec cette méthode, l’eau est toujours conforme).

« Le 27 juillet dernier, nous avons analysé le rejet illégal d’un industriel de la rue Grange Morin dans le Nizerand, donc dans notre eau « potable ».

« Ce rejet est pollué par des solvants chlorés toxiques, non recherchés par le contrôle sanitaire dans les captages.

« Un viticulteur du Beaujolais vient d’être condamné par le tribunal de Villefranche pour avoir tué 70 poissons en lavant une sulfateuse. Les pesticides envoyés sur les vignes sont donc très toxiques. Cependant le contrôle sanitaire n’analyse pas le pesticide qui a tué les poissons.

« On peut estimer à une centaine le nombre de nouveaux polluants présents dans l’eau si les analyses étaient faites correctement. C’est-à-dire en enquêtant sur les polluants utilisés par l’agriculture et l’industrie en amont, et en recherchant l’ensemble des produits toxiques, y compris les produits de dégradation souvent plus toxiques et plus stables. Actuellement on analyse principalement des produits anciens sur des listes fixes.

« En conclusion, le document de la DDASS est de peu d’intérêt. Le principal, savoir si l’eau est potable ou non, n’est pas indiqué.

« Le problème est que, sur la base du document de la DDASS, les municipalités disent aux usagers que l’eau est potable. Les seuls responsables de la qualité de l’eau sont les maires (certains ne l’ont pas compris car quand on les interroge ils disent que le responsable est le Président du Syndicat des Eaux, Veolia ou la DDASS…). Les maires ont une obligation de résultats sur la qualité de l’eau, c’est-à-dire qu’ils doivent fournir une eau potable aux usagers. De nombreuses lois, dont la Constitution Française, le disent.

« Nos responsables sont au courant des problèmes.

« En 2006, une lettre a été adressée par la Préfecture à la CAVIL, responsable des captages. Il y est écrit : « Aux dires des experts, la consommation de l’eau distribuée par la CAVIL ne présente donc pas de risque pour la santé, dès lors que des mesures sont prises pour que cette situation ne perdure pas inconsidérément ».

« Cette phrase signifie « si la pollution perdure inconsidérément, il y a un risque pour la santé ». Or la pollution existe déjà depuis 20 ans : il y a donc un risque pour la santé.

« L’Etat et les collectivités savent donc que l’eau est non potable à Villefranche. Et pourtant, aucune information aux populations, le dossier est même actuellement enterré. Il n’est même plus à l’ordre du jour du prochain comité des usagers.

Quels sont les dangers de tous ces polluants pour la santé ?

 Risque de cancers.

 Problèmes liés à la reproduction : stérilité, malformation.

 Maladies dégénératives de la vieillesse : des études récentes montrent le lien entre les maladies de la vieillesse et l’exposition aux polluants.

« Les personnes à risque sont les enfants nés depuis 20 ans à Villefranche. Le risque est important pour les enfants exposés dès leur conception à la pollution de l’eau.

« Toutes ces maladies ne peuvent se développer que 30 ans environ après la contamination, donc pas de panique. L’utilisation de l’eau à Villefranche-sur-Saône et sa région ne présente aucun danger dans immédiat et à moyen terme pour la santé, mais après ?

Que faire pour se protéger ?

« La seule solution efficace est de déménager…

« Bien sûr, il ne faut pas donner à boire l’eau du robinet aux enfants et aux bébés. Les maires de l’ensemble des communes concernées devraient donner de l’eau en bouteille dans les écoles quand les parents le demandent.

« Il faut se mobiliser pour que les seuls qui puissent résoudre le problème, les élus, agissent dans le bon sens. Pour l’instant ils n’en prennent pas le chemin.

« Dans notre communauté de communes, la seule action des maires a été de porter plainte pour diffamation après la parution d’un article dans le Progrès, en payant un avocat aux frais de la collectivité. Objectif atteint, la presse ne parle plus du tout des problèmes de l’eau.

« Dans l’immédiat, solution est simple et peu coûteuse (quelques centaines d’euros), il s’agit de rejeter l’eau du puits 6, le plus pollué, dans la Saône, au lieu de l’envoyer dans le réseau d’eau « potable ». Cette solution est appliquée avec succès en France et dans le monde sur de nombreux captages. Le délai de mise en œuvre est de quelques jours. Une demande par lettre recommandée a été faite en 2006, sans aucune suite !

« Il faut trouver les pollueurs, leur imposer d’arrêter de polluer et ensuite dépolluer les nappes phréatiques. Depuis 20 ans que la pollution est connue, aucune action efficace n’a été engagée pour trouver l’origine de la pollution. Résultat, en juillet 2007, un industriel rue Grange Morin, continue de rejeter des solvants toxiques dans le Nizerand, c’est à dire dans notre eau potable.

« C’est illégal, cela doit cesser. Il faut stopper les pollutions à venir.

De mal en pis

« Au retour des vacances, les (mauvaises) nouvelles s’enchaînent.

« L’analyse d’eau du rejet industriel illégal dans la rivière Nizerand, donc dans notre eau « potable », montre la présence de solvants chlorés toxiques (Chloroéthane, Chlorométhane …). La toxicité de ces deux produits fait qu’ils ne sont normalement plus utilisés actuellement, sauf par un industriel de la rue Grange Morin à Villefranche. Et bien sûr, ces produits ne sont pas analysés dans l’eau « potable ». Comme pour les pesticides où l’on n’analyse pas ceux qui sont employés dans les vignes, c’est pratique, si on ne recherche pas les bons produits, on ne risque pas de les trouver, mais 60 000 personnes sont tout de même empoisonnées.

« Deux solvants de plus dans, ou en amont, des captages de Villefranche-sur-Saône : on atteint le triste record de 28 solvants chlorés différents et 58 pesticides différents déjà détectés. Et inlassablement, nos responsables continuent de dire que tout va bien !

« Veolia vient de prendre le contrôle de notre assainissement (CCBNM). C’est immoral car Veolia exploite déjà les captages d’eau potable de Villefranche-sur-Saône situés en aval du rejet du futur réseau d’assainissement.

« C’est-à-dire que la même entreprise privée va gagner de l’argent en concentrant les eaux usées provenant de 5 vallées différentes, en exploitant une station d’épuration, et en traitant l’eau polluée par la station d’épuration pour la rendre potable. Pour information, c’est bien sûr Veolia qui a eu le marché de la construction de la station d’épuration. La solution est bien sûr de ne pas polluer, car il n’y aurait pas besoin de dépolluer, mais dans ce cas les profits de certains seraient moindes...

« L’information est parvenue en août avec notre facture d’eau : alors que la CCBNM a confié l’assainissement le 1er avril 2007 à Veolia, et que les élus ont décidé et voté bien avant cela. Le bulletin d’information de la CCBNM de mai 2007 a caché la nouvelle aux habitants. Les élus, que nous rencontrons souvent, ne nous ont rien dit. Tout a été fait dans le secret, sans aucune information des habitants. Que défendent ceux qui font cela, l’intérêt des habitants de la CCBNM ou des intérêts privés ?

« Veolia est une entreprise hautement qualifiée pour exploiter un réseau d’assainissement. Il n’y rien d’anormal à ce qu’elle obtienne un marché. Mais ici elle exploite déjà des captages d’eau potable. Il est immoral de lui donner les marchés de construction et d’exploitation d’une station d’épuration qui va polluer inutilement ces captages.

« Il s’agit d’un projet absurde de pollution délibérée d’un captage. Aux Etats Unis, les responsables de tels actes prennent des dizaines d’années de prison, et doivent verser des sommes colossales aux victimes.

« En France, c’est légal, et la DDASS du Rhône soutient devant un juge du tribunal administratif que le projet d’assainissement était une bonne chose pour le captage...

« La CCBNM construit actuellement une maison de la petite enfance. C’est bien, mais plusieurs personnes sont venues nous trouver pour nous dire que le site de construction leur paraissait dangereux. En effet, la construction est à quelques mètres du lit d’un ruisseau, dans un endroit où la vallée est rétrécie. En cas de précipitations exceptionnelles et d’embâcle, le site de la crèche sera entièrement inondé, avec un torrent au débit de plus de 10 m3/s. Comment a-t-on pu autoriser cette construction sensible sur un tel site ?
En fait, comme le projet d’assainissement qui va polluer notre eau « potable », tout est fait dans la précipitation, pour que les projets soient terminés avant les élections. Peut-on polluer une nappe phréatique utile pour nos enfants, mettre leur vie en danger, simplement pour dire qu’on a « bien » travaillé ?"

Marc Laimé - eauxglacees.com