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Raymond Leduc : une autre vision de l’agriculture

12 mars 2015

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Ancien secrétaire national et porte-parole de la Confédération Paysanne, Raymond Leduc, agriculteur installé en Essonne, nous avait reçu chez lui en 2004. Après Sivens et les exactions des milices du syndicat agricole majoritaire, son témoignage atteste que le pire n’est pas toujours sur, qu’une partie du monde paysan a depuis toujours opté pour la République, et qu’une autre agriculture est possible.



Raymond Le Duc se souvenait qu’au début du mois de mai 68, adolescent, il avait accompagné son père, qui exploitait alors la ferme dont il est lui-même ensuite devenu propriétaire, à un congrès organisé en Auvergne par un grand fabricant de semences. Ne pouvant faire une halte à Clermont-Ferrand sur la route du retour, le chauffeur du car qui transportait la délégation d’agriculteurs les ramène chez eux d’une seule traite. Ils y découvrent un spectacle sidérant. Aidée par les ouvriers agricoles qui travaillaient sur l’exploitation, sa mère s’évertuait à rendre présentables un stock de 60 tonnes de pommes de terre qui avaient commencé à germer. Des norias de Parisiens se précipitaient aux portes de toutes les fermes de la région pour y constituer des stocks de provisions, alors que l’économie française s’arrêtait peu à peu. A peine vingt ans après la fin de la Seconde guerre mondiale, le spectre du rationnement hantait encore les esprits.

Cette scène est aussi restée gravée dans sa mémoire car l’un de leurs voisins, agriculteur lui aussi, vint se gausser de ses parents à l’occasion, ranimant un antagonisme plongeant ses racines dans l’entre-deux guerres. Raymond, après son père, est farouchement républicain, de gauche, depuis toujours. Le père de ce voisin acrimonieux avait, lui, appartenu au mouvement paysan d’extrême-droite, les Chemises Vertes, créé par Henri Dorgères dans les années 30, qui échoua à créer ensuite un véritable mouvement fasciste d’origine paysanne, comme le décrivit l’historien américain Robert Paxton, dans une remarquable biographie, parue en 1996. Dans les années 2000, ce même voisin, héritier de son père Chemises Vertes, était devenu l’un des plus actifs agents électoraux de Serge Dassault dans le département de l’Essonne…

Ses journées ne se ressemblent pas. Agriculteur respectueux de l’environnement, il est aussi responsable syndicaliste à la Confédération Paysanne. Un engagement auquel il a consacré beaucoup de temps et d’énergie ces dernières années, qui l’a conduit à beaucoup se déplacer en France et à l’étranger. Mais il reste viscéralement attaché à la ferme de 146 hectares dont il a repris l’exploitation après son père.

A l’origine, dans les années 60, la moitié des terres étaient plantées en luzerne, des animaux y étaient élevés. Ses parents employaient 4 salariés à plein temps et jusqu’à une vingtaine de saisonniers. Son parcours illustre en creux toutes les dérives d’un modèle agricole dont il a peu à peu pris conscience combien il pouvait être dévastateur.

Alors qu’en principe les sols de la région ne s’y prêtent pas, il choisira, contre les idées dominantes, de cultiver du blé et du colza en "culture sèche". Il privilégie des variétés peu gourmandes en eau, qui n’exigent que très peu d’engrais, et qu’il plante en hiver afin d’obtenir un bon enracinement et une résistance à la sécheresse.

Revers de la médaille, ces variétés peu gourmandes en eau auront des rendements normaux, inférieurs de 15 à 20% à celles qui sont massivement privilégiées aujourd’hui, mais consomment des quantités d’eau et d’engrais considérables. Ce refus de l’industrialisation de l’agriculture a un coût, celui qu’acceptent de payer certains de ses collègues qui produisent des betteraves comme on l’a toujours fait, en économisant l’eau, et obtiennent des rendements de 65 à 70 tonnes à l’hectare, alors que d’autres, en irriguant massivement, obtiendront de 85 à 90 tonnes à l’hectare.

Ses journées à la ferme se déclinent au rythme des contraintes ancestrales. Arroser oui, mais modérément. Pas plus de 300 litres d’eau par hectare et par an pour traiter les cultures. Une eau qui vient du puits ou du robinet.

Il est convaincu que les maladies des céréales sont dues à la rotation de plus en plus rapide des cultures. Il existe encore de nombreuses variétés de blé. Celles qui ont un rendement "normal" sont plus riches en protéines. Alors que les variétés à haut rendement, que l’on privilégie désormais, sont plus fragiles, davantage affectées par les maladies, et consomment énormément d’eau.

C’est un véritable cercle vicieux. Plus on irrigue, plus les sols sont lessivés, et vont ensuite exiger toujours plus d’eau et d’engrais. Les racines deviennent fainéantes, leur chevelu se développe par le haut, il faut les arroser toujours plus.

Au fil des saisons et des tâches qui s’égrènent au long des jours, il dresse aussi un constat navré. Promouvoir une agriculture respectueuse de l’environnement à un coût. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le chiffre d’affaires de son exploitation se divise par trois. Un tiers pour la vente du colza et du blé. Un tiers pour les primes reçues au titre de la PAC. Ces deux premiers tiers, compte tenu des investissements et des charges, ne dégagent que l’équivalent d’un SMIC sur l’année.

C’est seulement parcequ’il a aménagé un camping sur sa ferme qu’il peut vivre. Il y accueille toute l’année une cinquantaine de terrassiers, soudeurs, poseurs de lignes, qui travaillent pendant plusieurs mois sur des grands chantiers de la région parisienne... Refusant que la technologie continue à prendre le pas sur l’homme, il soutient aujourd’hui son fils qui veut se lancer dans le maraîchage bio sur deux hectares et demi de la ferme. Engagement et transmission. Illustration de son combat. Retrouver le rôle social de la terre, de l’agriculture. Sa mission. Contribuer à changer la société en réhabilitant la paysannerie, le vivant.

Rappel :

 Les cultures irriguées, qui représentent près de 10% de la production agricole française, consomment une centaine de m3 d’eau à l’hectare.

 La Politique agricole commune, révisée en 2000, accordait des aides de 457 euros à l’hectare pour la culture de maïs, très gourmande en eau, en engrais et en pesticides, contre une prime de 76 euros pour le maintien d’une prairie. Les irrigants avaient même droit à une "surprime" pour les aider à investir dans du matériel d’arrosage.

 Les prélèvements d’eau destinée à l’irrigation ont augmenté de 41% entre 1988 et 1995. 25% des captages d’eau potable délivrent aujourd’hui une eau dont la teneur moyenne en nitrates dépasse les 40 milligrammes par litre. Or le taux maximal admissible pour la consommation humaine est fixé à 50 mg/l en France, et à 25 mg/l par une directive européenne.

Pourquoi ?

On compte aujourd’hui en Bretagne 3 millions de bovins, 17 millions de porcs et 100 millions de volailles, majoritairement élevés "hors-sol" dans des élevages industriels. Ils produisent chaque jour 200 000 m3 de déjections. Soit 215 000 tonnes d’azote par an. Dont plus de 100 000 tonnes se retrouvent dans l’eau. La pollution ainsi produite est équivalente à celle que rejetteraient 60 millions de personnes, alors que la Bretagne compte 3 millions d’habitants.

Lire aussi le témoignage de Raymond Leduc qui a permis l’installation de deux jeunes maraîchers, dont son fils, sur trois hectares de sa ferme dans l’Essonne, dans le cadre d’un projet de relocalisation du maraîchage initié par la Confédération paysanne et l’association des ses amis, dans le dossier publié en juillet-août 2005 par Campagnes Solidaires, page VII.

Campagnes Solidaires juillet-août 2005

Marc Laimé - eauxglacees.com