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Gestion de l’eau : de la malfaçon législative au chaos

6 février 2015

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Alors que 2015 devait être l’année phare de la reconquête de la qualité des milieux aquatiques, la gouvernance de l’eau en France prend plus que jamais l’allure d’un bateau ivre. Les mises en garde du rapport du Conseil d’Etat (2010) puis du rapport Levraut (2013) n’y ont rien fait. La gestion du « grand cycle de l’eau » court à vau l’eau vers un chaos que plus rien ne semble pouvoir entraver. Le projet de réforme territoriale incarné par les lois MAPTAM et NOTR(e) en témoigne chaque jour davantage.



Pour la reconquête on attendra bien au delà de 2027...

Le 27 janvier, à l’issue de l’examen en première lecture au Sénat de la loi NOTR(e) qui doit définir les nouvelles compétences de chaque niveau de collectivité, les maires soufflaient, après que les sénateurs aient adopté un amendement qui repoussait au 1er janvier 2018 l’entrée en vigueur de la GEMAPI.

L’instauration de cette nouvelle compétence, qui, outre la « prévention des inondations » et la « gestion des milieux aquatiques » transférerait aux communes et aux EPCI dans dix ans la gestion d’une partie des 50 000 kilomètres de digues aujourd’hui sous la responsabilité de l’Etat, avait été décidée dans le cadre de la loi Maptam, adoptée le 26 janvier 2014. Une innovation mal acceptée par bien des maires, qui estiment, à raison, n’avoir ni les moyens financiers ni les moyens techniques d’exercer cette compétence.

A peine élu président de l’AMF, François Baroin, député-maire (UMP) de l’Aube demandait solennellement au Premier ministre que le dossier soit entièrement « remis à plat », la prévention des inondations relevant selon lui des missions régaliennes de l’Etat.

L’amendement adopté par le Sénat visait à étendre quelque peu le champ d’application de la future taxe de 40 € maximum par habitant qui serait instaurée avec la Gemapi. Présenté par René Vandierendonck (PS, Nord) et Jean-Jacques Hyest (UMP, Seine-et-Marne) au nom de la commission des lois, il prévoyait de mettre en cohérence le Code général des impôts et le Code de l’environnement. Dans la formulation initiale cette taxe « l’aquataxe », avait pour objet de financer « exclusivement » le financement des opérations issues de l’exercice de la nouvelle compétence. L’amendement remplaçait le mot « exclusivement » par « prioritairement ». Le même amendement repoussait la mise en œuvre de la compétence Gemapi au 1er janvier 2018, pour donner le temps aux communes et intercommunalités de s’y préparer, et surtout pour permettre de revoir ce texte, critiqué de toute part comme nous l’avons maintes fois relaté...

Les sénateurs avaient aussi voté deux amendements identiques défendus par Pierre-Yves Collombat (RDSE, Var) et Jean Germain (PS, Indre-et-Loire) visant à faciliter l’exercice de la compétence Gemapi. Il s’agissait de permettre la transformation de syndicats de droit commun, en charge de l’entretien des rivières ou de l’aménagement d’un bassin, en établissement public d’aménagement et de gestion de l’eau (Epage) ou en établissement public territorial de bassin (EPTB). Ce qui "permettrait d’unifier le dispositif de prévention du risque inondation et éviterait que coexistent plusieurs structures de natures différentes sur le plan juridique", expliquait Pierre-Yves Collombat.

Le gouvernement sait parfaitement qu’il s’est fourvoyé depuis le début dans cette calamiteuse affaire, conseillé par de mauvais génies. Mais n’entend pas se dédire et en a fait une question de principe.

Dès lors un amendement gouvernemental a immédiatement été adopté le 4 janvier par la Commission des lois de l’Assemblée nationale, qui a évidemment supprimé les dispositions adoptées au Sénat...

Le gouvernement estime ainsi que l’extension du champ de « l’aquataxe » (facultative et que personne dès lors n’adoptera, et surtout pas dans les régions menacées par des inondations récurrentes… ) serait « préjudiciable à l’exercice de cette compétence », alors que son intérêt est au contraire d’être « ciblée sur le financement des investissements nécessaires à la prévention des inondations et des risques de submersion ».

Quant au report au 1er janvier 2018 proposé par les sénateurs, il est jugé « inopportun », au regard des travaux « déjà engagés » pour la réorganisation et le renforcement des digues. Et, selon le gouvernement, « un tel report pourrait se révéler particulièrement dommageable si de nouveaux événements météorologiques importants venaient mettre en cause la responsabilité des maires ».

On voit bien que l’affaire dégénère puisque faute de pouvoir justifier des dispositions indéfendables, le seul argument qui demeure est celui du bâton, qui va redoubler l’exaspération des élus du bloc communal déjà fortement remontés.

A ce stade, rappelons en outre que la dizaine de grands EPTB « Canal historique », constitués sous forme d’entente interdépartementale se retrouvent plus que jamais dans la nasse, puisqu’ils sont censés élaborer de nouveaux statuts, puis s’auto-dissoudre, avant que de renaître avant le 1er janvier prochain, cette fois sous forme de syndicats mixtes, mais sans savoir quelles seront leurs missions demain, et sans savoir comment elles seront financées, puisque le même projet de loi NOTR(e) supprime la compétence générale des départements qui finançaient jusqu’à présent l’essentiel de leurs activités, départements eux aussi en fort mauvaise posture, puisqu’ils ne savent pas au s’ils seront encore là demain ! (Ce qui ne va aucunement empêcher l’élection de nouveaux conseillers généraux en mars !).

Et encore n’évoquons-nous que pour la beauté du geste les EPTB « Canal historique » situés pour partie sur le territoire d’une future Métropole, elle-même censée exercer la compétence GEMAPI qui leur a été conférée par la loi MAPTAM !

Résultat, les Grands Lacs de Seine, en région parisienne, fer de lance autoproclamés de la croisade contre le retour de la crue de 1910, dont l’inévitable occurrence fera des milliards de dégâts, ce qui permet de financer des dizaines de colloques depuis des années, sont dans l’incapacité de faire voter l’un des cinq scénarios d’exercice futur de leur compétence quand la Métropole du Grand Paris aura vu le jour…

On comprend dès lors que l’AMF, avec plusieurs autres associations d’élus, se soit attelée à la rédaction d’une proposition de loi permettant un réexamen complet de cette compétence, avec le souhait « que l’État revienne au premier rang de la responsabilité dans ce domaine ».

Initialement prévue dans la semaine du 7 janvier, une rencontre qui avait du être annulée à raison de l’actualité, aura lieu le 7 mars prochain, lors de laquelle François Baroin et André Laignel tenteront de convaincre Manuel Valls de revenir à la raison avant les prochaines étapes de l’examen du texte en séance publique et en commission mixte paritaire.

Comme si ça ne suffisait pas, le ministère de l’Ecologie a rendu publique le 23 janvier une instruction détaillant un dispositif visant à conditionner le versement du solde des subventions au titre du fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM) au respect, par les maires, de leurs obligations d’information préventive et de réalisation des plans communaux de sauvegarde (PCS). Autrement dit le financement des Papi sera conditionné à la réalisation des PCS…

Une disposition que plus d’une commune sur deux ne respecte pas aujourd’hui ! Là le problème c’est que le Fonds Barnier est à sec après les inondations et submersions à répétition de ces dernières années, qui vont de toute évidence se multiplier dans les prochaines années…

Le tout sans oublier l’article 33 du projet de loi NOTR(e), très injustement passé inaperçu, qui prévoit qu’à l’avenir ce seront les communes qui se verraient imputer, par "mesure récursoire" ; la charge financière des condamnations pour non respect des directives européennes qui viendraient à être infligées à la France par la CJUE, et on prendra toute la mesure de la politique (très) punitive conduite par le ministère de l’écologie (ce qu’il en reste) et le gouvernement...

Ajouter, signe qui ne trompe pas, les notaires commencent à s’affoler, comme en témoigne le contenu de la gentille sauterie que le Mouvement du Jeune Notariat organise… à Venise pour son 46ème anniversaire, du 11 au 15 novembre prochain.

« C’est un domaine dont on ne se préoccupait pas trop auparavant, son président, Me Nicolas Nicolaïdes, notaire à Grenoble. Au cours de ces dernières années, nous sommes de plus en plus concernés. Les catastrophes naturelles telles que la tempête Xynthia ont posé la question des maisons construites en zones inondables. L’existence de source, de ruisseau, les puits avec la notion de forage et les autorisations nécessaires liées, touchent notre profession sans compter les problèmes inhérents au traitement des eaux usées (est-ce qu’une habitation est raccordée à une fosse septique ou à un réseau d’assainissement ? L’installation est-elle conforme à la loi ? Toute la maison est-elle bien raccordée de manière uniforme à un réseau quel qu’il soit ?etc.)
Il y a quelque temps, lors du projet de construction d’une résidence de tourisme en Savoie située dans une zone de revitalisation rurale, nous avons rencontré un problème d’alimentation en eau. Celle-ci provenait d’une source de montagne naturellement polluée à l’arsenic. Lors du dépôt de permis de construire, la mairie a indiqué qu’il n’était pas possible d’alimenter la résidence de cette manière. Il a donc fallu tenir compte de cette problématique et trouver des solutions. Nous ne pouvons pas faire tout et n’importe quoi. »

Enfin, la Commission des lois de l’Assemblée nationale a aussi adopté le 5 février deux amendements quasi identiques prévoyant, qu’à sa demande, la région peut se voir attribuer, par décret, "tout ou partie des missions d’animation et de concertation dans le domaine de la gestion et de la protection de la ressource en eau et des milieux aquatiques visées au 12° du I de l’article L. 211-7 du code de l’environnement" :

http://www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/2529/CION_LOIS/CL433.asp

http://www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/2529/CION_LOIS/CL670.asp

Ici Marilyse Lebranchu, et le gouvernement, ont donné satisfaction au lobby breton (PS et EELV), qui soutient depuis des lustres une large dévolution de compétences à la Région, et semble cette fois en passe d’aboutir, ce qui inquiète Eau et rivières de Bretagne...

Mais si cette disposition persiste, avec les 12 compétences intégrales, et non plus les 6 compétences "fléchées" GEMAPI, et si demain x super-régions s’engouffrent dans la brèche, d’autant plus qu’elles auront aussi hérité de la manne des fonds FEADER, on va où ?

Tout droit vers la balkanisation et la fin du fameux « modèle » inventé en 1964.

Les Agences ont bien mesuré le danger. Mais l’anomie semble l’avoir déjà emporté.

(*) Philippe Marc a parfaitement décrit l’impasse actuelle dans une Note d’analyse préparée pour une prochaine intervention à Montpellier.

(**) Claude Miqueu va avoir fort à faire pour inventer une introuvable "sortie par le haut" dans le rapport qu’il doit présenter au CNE en avril prochain...

Marc Laimé - eauxglacees.com