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Vie et mort du SISPEA

23 septembre 2014

par Marc Laimé - eauxglacees.com

La troisième loi française sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA) du 30 décembre 2006 a créé l’Onema, qui a, notamment reçu mission de créer un « Observatoire national des services publics d’eau et d’assainissement français », magistrale arnaque qui prétendait ainsi « réguler » le fonctionnement d’un secteur totalement dévolu aux féroces appétits de Veolia, Suez et Saur. Six ans après la naissance de cet Observatoire la mystification éclate au grand jour avec la faillite éclatante du SISPEA et du mirage d’une « sunshine regulation » à la française…



En France, on n’a pas de régulateur dans le domaine des services d’eau et d’assainissement, mais on a le SISPEA, l’outil qui alimente « l’Observatoire national des services publics d’eau et d’assainissement », et prétend permettre à tout un chacun d’être renseigné sur le rapport qualité-prix du service qui lui est délivré, aux élus en charge du service de s’approprier la technicité du secteur, à l’État de disposer de la connaissance pour réglementer de façon intelligente, aux experts de pouvoir produire de l’expertise sur des données actualisées, à l’Union Européenne de constater que le secteur est bien maîtrisé en termes de concurrence, malgré une loi Sapin jugée un peu légère…

Le SISPEA, on le voit, est le couteau suisse de la régulation, l’outil multifonctions comme on les aime en France, mis en avant pour toute question sur la transparence de notre système de gestion. Mais ça, c’est sur le papier, et la « sunshine regulation » est à l’image de notre Président démonétisé et des paquets de flotte qu’il se prend sur le museau à chacune de ses sorties : elle ne voit peu le soleil.

La régulation des services d’eau et d’assainissement en France ne fait pas vraiment recette. La « petite loi sur l’eau » de Dominique Voynet avait capoté, entre autres, sur la création d’une « Haute autorité de l’eau », revue en « Haut Conseil » avant son enterrement, et dont la mission était « d’informer les citoyens et les collectivités sur les conditions de gestion du service public, et d’émettre des avis et des recommandations en vue d’en améliorer le fonctionnement. »

Opportunément bloquée, cette loi était reprise par le gouvernement suivant qui, sans abandonner l’idée d’une information sur les services publics, en réduisait considérablement l’ambition. On passait du « Haut Conseil » défini à l’article 34 de la petite loi Voynet, et doté de prérogatives substantielles, à un simple « système d’information sur les services publics de distribution d’eau et d’assainissement (SISPEA) » juste cité au détour de l’article 88 de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA) du 30 décembre 2006.

Plus de Haut Conseil, mais une simple mission d’un nouvel établissement public, l’ONEMA. Simple mission, mais pourtant essentielle pour faire passer la pilule de la redirection d’une partie des redevances collectées par les agences de l’eau vers l’ONEMA pour sauver les gardes pèche ; une goutte de petit cycle de l’eau dans la bassine du grand cycle.

Si ce détournement financier paraît dérisoire à l’heure où les redevances servent à combler les déficits de l’État, cette captation était mal perçue et le SISPEA a un peu permis de rendre acceptable l’ONEMA auprès de parlementaires aussi gestionnaires de services publics.

Ne voulant pas voir revenir de régulateur, les entreprises de l’eau restaient bloquées sur la ligne d’un outil technique simplement chargé « d’informer » en mettant des données à disposition du public.

Cette position anti régulation était défendue juste avant le retournement de tendance qui a vu le marché basculer d’une domination croissante et quasi sans partage de la délégation de service public (DSP) vers un retour des grands services en gestion directe et à la guerre des prix entre délégataires.

Ceux qui luttaient contre un « benchmarking » qui ne serait pas organisée par (et pour) eux se sont retrouvés en position de faiblesse, face à des études menées par des associations telles que l’UFC, et ne purent se défendre des abus manifestes leur étant, à juste titre, reprochés… qu’en demandant à être crus sur parole.

Face à des attaques remettant en cause le business model de ces sociétés, le besoin de régulation extérieure était devenu indispensable. Et on voit désormais la FP2E soutenir fermement un observatoire qu’au départ elle refusait de voir qualifier de tel...

Cet obstacle levé, la « sunshine regulation » portée officiellement par la Direction de l’eau et de la biodiversité du ministère de l’Ecologie aurait du pouvoir être conduite sans entrave. Mais c’est là que le bât blesse. Comme durant le mois d’août dernier, le « sunshine » est rare et la régulation demeure introuvable.

Ce merveilleux outil tourne à vide dans l’indifférence générale en dépit des déclarations d’amour, de plus en plus rares, que ses concepteurs lui portent.

Malgré des outils supposés servir de produit d’appel sur la gestion des services pour le « grand public » (et dont un coup d’œil au nombre de téléchargements et aux avis suffit pour se rendre compte du succès), plus personne ne se souvient que l’observatoire existe.

Les dernières enquêtes sur le prix de l’eau ont été publiées sans faire référence à l’Observatoire, et pas un communiqué du ministère ou de l’ONEMA n’est venu rappeler son rôle. Le CNE lui aussi fait silence…

La nature ayant horreur du vide, les agences de l’eau ont recommencé à publier des enquêtes sur le prix de l’eau, en déconnexion quasi totale avec l’Observatoire national.

Le CIEau, financé par les entreprises de l’eau, avait annoncé la semaine passée le lancement d’un site « Ma ville, mon eau et moi » sur le blog de sa directrice, info retirée à ce jour.

Conseils généraux et régionaux continuent à alimenter des observatoires locaux sans lien avec le site national. La Fondation France Liberté et l’INC demeurent, via leur partenariat, parmi les derniers à chercher à promouvoir le grand cadavre à la renverse de l’Observatoire, en dépit de la fin de non recevoir qui leur avait été opposée pour un partenariat plus étroit.

Il faut dire qu’il y a peu de données à mettre en lumière. D’après celles mises en ligne sur le site de l’observatoire, la part de la population couverte, au lieu d’augmenter par effet d’entraînement, tend à décroître, aussi bien en termes de population couverte que de nombre de services renseignant la base de données :

Eau potable (1) et Assainissement collectif (2)

Population couverte (Millions) Nombre de services

(1) AEP (2) Assainissement

2008 30 (46%) 1 575 (11%) 17 948 (6%)

2009 52 (80%) 4 514 (32%) 39 3 261 (19%)

2010 44 (68%) 4 167 (30%) 31 3 461 (20%)

2011 45 (69%) 4 192 (30%) 33 3 863 (23%)

2012 38 (59%) 3 599 (26%) 26 3 511 (21%)

2013 9,4 (14%) 1 324 (9%) 6 1 022 (6%)

Ce constat brut, mérite d’être décrypté. On peut mettre de côté les années 2008, année de lancement du dispositif, et 2013, le cycle de production des données par les collectivités n’étant pas encore achevé.

De 2009 à 2012, c’est une érosion certaine de la participation, dont on peut craindre qu’elle ne fasse que s’accélérer. Ce qui est notable, c’est que la baisse de population couverte ne se traduit pas par une baisse proportionnelle du nombre de services couverts. Autrement dit, ce sont de gros services qui ne renseignent plus.

Cette désaffection, alors même qu’il s’agit des services qui ont a priori le moins de difficultés pour se saisir de l’outil, traduit un manque d’intérêt pour l’Observatoire : il n’y a pas assez de contreparties à la saisie.

Par ailleurs, le très bon résultat de 2009 est un trompe l’œil. Il a été obtenu pour présenter un bon bilan au forum mondial de l’eau à Marseille, lors duquel l’observatoire était mis en avant, en mettant à contribution les DDT qui ont massivement alimenté la base à partir des données qu’elles collectaient dans le cadre de leurs missions d’ingénierie publique.

Ces missions ayant pris fin, le fusil à un coup a cessé de fonctionner et l’effet d’entraînement escompté n’a pas eu lieu. Il faut dire que la valorisation de ces données s’est fait attendre, le rapport sur l’exercice 2009 étant publié en février 2012, celui sur l’exercice 2010 en juin 2014.

L’Observatoire qui devait fournir des données avec une fréquence plus soutenue et un délai plus court que celles produites jusque là par l’IFEN s’avère être un échec cinglant.

L’enquête de l’IFEN sur l’exercice 2008 avait été publiée en décembre 2010 et avait porté sur l’intégralité des communes de plus de 10 000 habitants. Des données collectées sur une base statistique, plus nombreuses et sorties plus rapidement. La comparaison est cruelle.

Si le soleil ne brille pas sur le SISPEA, qu’en est-il de la régulation ? De ce qui précède, on se doute que tout n’est pas rose avec des données incomplètes et des synthèses épisodiques. La situation est en fait désastreuse.

Cheville ouvrière du projet de SISPEA, les DDAF, puis DDEA et enfin DDT devaient animer, assister et surtout assurer le contrôle des données. Avoir des données est une chose, des données de qualité et exploitables en est une autre. Avec la fin de l’ingénierie publique, le rôle des DDT perdait de sa portée, n’ayant plus de données à injecter en direct.

Mais en ce qui concerne le contrôle (des données), la situation est de plus en plus critique. Les experts des DDAF sont souvent partis sur d’autres missions ou en collectivités. Ils ont été remplacés par des personnels peu rompus aux subtilités du fonctionnement des services d’eau et d’assainissement, donc moins à même de repérer des données douteuses.

De plus, avec les coupes claires dans les personnels des services déconcentrés, la mission sert souvent de variable d’ajustement en interne aux DDT. Il faut dire qu’il s’agit d’une mission du ministère de l’Ecologie exercée par des effectifs du ministère de l’Agriculture. Ce manque de personnel est connu et ne fait que s’aggraver, posant un problème sérieux de fiabilité des données saisies, surtout pour des services participant à la collecte pour la première fois.

Un rapide tour d’horizon sur la toile, via Google, montre que seuls 41 départements font référence à l’Observatoire sur le site de la préfecture, et que parmi ces derniers 14 ont mis à jour la page en 2014.

Et les évolutions en terme de personnels ne risquent pas d’inverser la tendance… Le ministère de l’Ecologie fait pourtant toujours référence à la circulaire qui demandait qu’un effectif minimum soit consacré à la mission, mais ce texte n’a jamais été respecté.

Le Comité national de l’eau peut bien réclamer encore et toujours le renforcement de l’observatoire, dans les faits c’est le contraire qui se produit. La prochaine étape dans la fin de la régulation serait, en suivant le mouvement de fond actuel, de transférer aux collectivités les missions exercées, officiellement si ce n’est effectivement, par les DDT. Le coup de grâce à la « sunshine regulation » à la française…

Tout n’est pourtant pas écrit d’avance, à condition de s’en donner les moyens. La mise en place d’un tel outil ne peut se faire qu’avec une rationalisation des services. Couvrir plus de 35 000 services est illusoire, et comme aucune cible en termes de types de services n’était fixée, c’est l’ensemble du dispositif qui a failli.

Traiter moins de services pour les traiter mieux, avec des données effectivement contrôlées, avec des données exploitées rapidement, avec une véritable animation qui permettrait un retour sur investissement aux collectivités, ce que permet par exemple le benchmarking organisé par la FNCCR.

Il faudrait en fait une vraie politique de l’eau, présente dans le rapport du PS sur la question, et des moyens humains pour sortir du simple outil technique tournant à vide. Tout ce qui manque en fait, le portage politique n’existant plus, les compétences au sein de l’État non plus.

Ironiquement, ce qui demeure aujourd’hui correspond tout à fait aux attentes de la FP2E au moment du lancement de l’Observatoire : un outil technique en déshérence qui ne fait pas parler de lui.

Bye bye régulation, bonjour l’entropie.

Marc Laimé - eauxglacees.com