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Pollution du Rhône : 10 questions sur un désastre écologique majeur

23 août 2007

par Marc Laimé - eauxglacees.com

A l’heure du Grenelle de l’environnement, le désastre est sans précédent. De l’Ain à son embouchure en Camargue, le Rhône est massivement contaminé par le PCB. La consommation humaine ou animale de toutes les espèces de poissons y est désormais interdite. Des centaines de milliers de tonnes de sédiments du fleuve ont été contaminés par ces polluants organiques persistants, classés par l’ONU parmi les substances chimiques les plus dangereuses pour l’homme. Les services de l’Etat enquêtent tous azimuts. Dix questions sur l’une des plus graves crises écologiques survenue en France.



1. Pourquoi une pollution connue depuis plus de 20 ans n’a-t-elle pu être endiguée ?

Le désastre n’en finit pas de faire des vagues, et ce n’est qu’un début. Mais l’affaire n’a pas commencé en 2005. On lira avec intérêt un article paru dans Le Courrier de la cellule environnement de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) en février 1990, intitulé :

« Les difficultés de l’évaluation des risques liés à une pollution chronique du milieu aquatique par les polychlorobiphenyles (PCBs). Un cas sur le Haut-Rhône. ».

Extrait : « (…) En 1986, des analyses réalisées à la demande de la Fédération Rhône-Alpes des associations de protection de la nature (Frapna) à partir des moules d’eau douce nous ont permis de préciser l’origine de la pollution. Les concentrations en PCBs étaient 100 fois plus élevées chez les individus capturés en aval du collecteur des effluents de la zone industrielle de la plaine de l’Ain, site sur lequel se trouve une usine de destruction des PCBs.

À la même époque, la capture de poissons par le Conseil supérieur de la pêche (CSP) a également démontré la présence d’une forte contamination chez les individus prélevés en aval du collecteur. Pour les raisons précisées plus haut (exposition des zones de captage d’eau potable, consommation humaine des poissons contaminés) nous avons réalisé un rapport transmis en novembre 1986 à la Direction départementale de l’action sanitaire et sociale (Ddass) du Rhône. Ce rapport a également été communiqué au Ministère de l’Environnement… »

Que s’est-il passé ensuite de 1986 à 2005 ? Comment une pollution avérée par des substances extrêmement dangereuses a-t-elle pu prendre une telle ampleur ?

La question est aujourd’hui d’autant plus légitime qu’on l’a vu avec le rapport de l’Inra précité datant de 1990, cette pollution est connue depuis près de vingt ans.

Elle avait initialement été détectée consécutivement à un problème sanitaire affectant spécifiquement la communauté asiatique.

Le préfet, alerté par les services sanitaires, avait demandé une enquête épidémiologique qui confirma que le problème de santé découlait d’une ingestion de PCB contenu dans du Nuoc Nam fabriqué artisanalement à partir de poissons péchés dans le canal de Miribel.

Noter au passage que le pêcheur concerné ne fut jamais indemnisé…

L’enquête conclut que les rejets provenant de l ‘usine Tredi de Saint-Vulbas étaient anormalement élevés.

Un suivi devait être effectué.

Or, vingt ans plus tard, en 2005, c’est à un pêcheur professionnel, et non aux services de l’Etat, que l’on doit le déclenchement d’une crise écologique sans précédent !

« Fin 2004, on a retrouvé des oiseaux morts en amont de Lyon, sur le Grand Large. Le temps des analyses, les services vétérinaires, par précaution, ont interdit toute consommation de la pêche. Ce n’était qu’un cas de botulisme strictement aviaire, mais plus personne ne voulait de mes poissons. J’ai demandé des analyses complètes pour prouver qu’ils étaient bons. Et là, bingo ! Ils étaient bourrés de PCB ! Je m’étais tiré une balle dans le pied : je ne peux plus pêcher dans le Rhône, je n’ai touché aucune indemnité. Et je ne serai pas la dernière victime » confiait au Nouvel observateur le 23 aout 2007 M. Cédric Giroud, pêcheur professionnel exerçant son activité dans le Grand Large, un bras du Rhône en amont de Lyon.

2. Quelles mesures de surveillance réglementaire ont été appliquées à l’usine Tredi de Saint-Vulbas dans l’Ain, l’une des deux seules homologuées en France pour éliminer les PCB ?

L’usine Trédi, devenue Trédi-Séché en 2002, située dans l’Ain, au bord du Rhône à Saint-Vulbas, non loin de la centrale nucléaire de Bugey, est une « Installation classée pour la protection de l’environnement » (ICPE). Elle est spécialisée dans le traitement des déchets chimiques, dont les PCB. Un arrêté préfectoral du 30 mars 1995 y a autorisé l’incinération et la décontamination des PCB.

Noter d’emblée qu’avant d’être reprise en 2002 par le groupe Séché environnement, l’usine a été gérée de 1975 à 2002 par la puissance publique, en lien étroit avec les industriels du "couloir de la chimie", circonstance qui ne manquera pas de soulever des questionnements quant il s’agira d’établir les responsabilités des différents acteurs concernés durant toute cette période...

Elle rejette dans le Rhône des effluents en principe neutralisés et désintoxiqués, au terme du process de traitement des transformateurs contenant du PCB.

En 2007 l’entreprise serait toujours titulaire d’une autorisation préfectorale de rejet, fixant des normes maximales de rejet de PCB dans le Rhône, aujourd’hui limités à 3 grammes par jour.

Quelles étaient les conclusions des études d’impact qui devaient obligatoirement être conduites avant toute autorisation de rejet accordée par l’autorité préfectorale ?

Quelles ont été depuis 1995 les normes de rejet maximales autorisées successivement par l’autorité préfectorale, dans une période où ont été éliminées des quantités considérables de PCB, provenant notamment de transformateurs électriques ?

La Drire Rhône-Alpes, qui intervient réglementairement auprès de toutes les ICPE, s’est-elle limitée à prescrire de l’auto-surveillance effectuée par l’industriel ?

D’éventuels dépassements ont-ils été constatés ? Quelles suites y ont été apportées ?

3. Pourquoi les résultats des contrôles que réalisent en permanence un grand nombre de services de l’Etat ne sont-ils pas rendus publics ?

Depuis le printemps 2007, à mesure que la crise s’étendait, le Préfet coordonnateur de bassin a successivement annoncé le lancement d’enquêtes et d’expertises confiées au Cemagref, dont un rapport d’étape a déjà été rendu public le 21 juin 2007, à la Drire, à la Diren et à l’Affssa

Or, au quotidien un très grand nombre d’intervenants analysent en permanence la qualité des eaux du Rhône, dans le cadre d’un programme de surveillance qui, dans sa configuration 2007, a fait l’objet d’un premier Arrêté du Préfet coordonnateur de bassin le 22 novembre 2006 :

 Les Ddass qui effectuent des analyses (obligatoires) de la qualité de l’eau potable ;

 Les entreprises privées et les collectivités, distributrices d’eau, qui font de même ;

 Le Conseil supérieur de la pêche réalise régulièrement des analyses de la qualité de l’eau des rivières ;

 Les Satese (Services départementaux d’assistance technique aux exploitants de stations d’épuration) effectuent des expertises du fonctionnement des stations d’épuration ;

 Les Missions interservices de l’eau (MISE) présentes dans chaque département, collectent l’ensemble de ces données, qui sont ensuite transmises à l’Agence de l’eau ;

 Plusieurs laboratoires publics ou privés sont associés à ces analyses ;

 Ponctuellement, un grand nombre d’instituts de recherche sont également intervenus dans les 20 dernières années pour réaliser des expertises de la qualité des eaux du Rhône.

Au total la MISE de l’Ain dispose donc déjà de toutes les données réglementaires afférentes au fonctionnement de l’usine de Saint-Vulbas.

Données qui devraient alimenter le « Portail de surveillance de l’eau » mis sur pied par l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse.

Puis venir enrichir le Registre français des émissions polluantes.

Sans même évoquer d’autres bases de données spécialisées, dont le nombre ne cesse de croitre à mesure que l’exigence de rapportage de données augmente, en lien avec la mise en œuvre de la Directive-cadre européenne sur l’eau.

On pourrait en outre s’interroger sur les liens de partenariat industriel noués entre le Cemagref et le groupe Séché-Tredi.

C’est le Cemagref qui a réalisé l’étude de synthèse 2005-2006 récemment rendue publique évoquée ci-dessus.

Or l’un de ses laboratoires lyonnais est spécialisé dans l’étude des Contaminations et effets biologiques sur l’environnement et la santé, en association avec un grand nombre d’organismes de recherche : BELY (Cemagref), LSE (ENTPE), CARRTEL (INRA Thonon), LACMIBIO, TCM et Laboratoire de Toxicologie (ENVL), LRMN (UCBL, CNRS, ESCPE) et LPICM (UCBL, CNRS).

Ce groupement a mis au point le « Plateau CEBES », qui utilise des « outils sensibles et précoces (biomarqueurs biochimiques, physiologiques ou histologiques) pour la mise en évidence de la présence ou de l’impact de contaminants dans l’environnement.

Or, comme en témoigne la fiche de présentation du « Plateau Cebes », le premier partenaire industriel de l’opération mentionné n’est autre… que le Groupe Séché-Tredi, propriétaire de l’usine de Saint-Vulbas dans l’Ain…

Certes aux côtés de Sita, Veolia, Bayer, Bracco, Novartis, Record, EDF, comme du Medd, de l’Ademe, de l’Appa, de Coparly, de l’Agence de l’eau Méditerranée Corse ou de l’Ineris…

Dans le contexte de la catastrophique pollution du Rhône par les PCB, pareils partenariats ne laissent pas d’interroger…

Le Plateau CEBES

4. Une surveillance particulière des PCB a-t-elle été mise en place sur le Rhône ?

Dans le cadre des politiques européennes sur la protection des eaux, l’une des premières actions phares pour la connaissance des substances présentes dans les milieux aquatiques a été conduite en 2005.

Il s’agissait d’un inventaire exceptionnel réalisé par les Agences de l’eau, sous la coordination de la Direction de l’eau du MEDD.

Un comité de suivi a été mis en place par le MEDD. Son rôle était de faciliter l’opération au sein des agences de l’eau, de répondre aux questions techniques soulevées et de proposer un format de rendu des résultats.

Un site d’échanges via le Système d’information sur l’eau (SIEAU) a également été ouvert aux participants du comité de suivi.

L’exercice, mené « dans la plus grande concertation », basé sur les prescriptions techniques nationales, incluait la recherche de 194 substances ou familles. 

Les substances concernées étaient l’ensemble des 157 substances citées dans le décret n°2005.378 relatif à certaines substances dangereuses déversées dans le milieu aquatique pris en application du II, 1°de l’article L211-2 du code de l’environnement.

Et les substances prioritaires au titre de la directive cadre sur l’eau (DCE ; dir.2000/60/CE) qui ne faisaient pas partie de cette liste des 157. 


Ces analyses ont porté sur les matrices Eaux et Sédiments. Ces substances ont été recherchées au niveau national sur 221 stations de mesures regroupant des cours d’eau, des plans d’eau, des eaux de transition et des eaux littorales.

Les objectifs visés par cet inventaire étaient :

 de sélectionner en priorité les substances pertinentes pour la surveillance des milieux aquatiques en application de l’arrêté du 30 juin 2005 relatif au "Programme national de prévention et de réduction de la pollution des eaux par certaines substances dangereuses déversées dans le milieu aquatique (PNAR). 


 de juger de la contamination des milieux vis-à-vis des normes de qualité. 


 de définir des priorités d’actions, selon les bassins ou sous-bassins, pour réduire les apports dans le cadre de la mise en œuvre du PNAR. 


Une première synthèse réalisée par l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) a permis de répondre à la problématique des substances pertinentes à surveiller en France.

Une base de données nationale spécifique à cet inventaire exceptionnel 2005, est disponible à l’Ineris, sous l’intitulé : « Action nationale de recherche et de réduction des rejets de substances dangereuses dans les eaux. »

Cette base de données est en cours de transcription au format Sandre. Elle est à la disposition des différents membres du comité de suivi.

Or la consultation du Fichier de l’Ineris titré « Substances recherchées bassin RMC » témoigne qu’aucune recherche de PCB n’a été effectuée dans ce contexte dans le Rhône…

Les substances recherchées dans le bassin RMC

Il est vrai que le même Ineris, et le Medd, étaient fort préoccupés dans la période par de passionnants sujets, comme celui de « la Perception des risques par les experts et le public », qui a donné lieu à l’étude « Perplex » (on le serait à moins…), publiée par les mêmes en février 2007, qui visait à apporter des réponses à une passionnante question : « Les risques, élevés ou négligeables, acceptables ou intolérables, tout le monde ne les perçoit pas de la même manière comme le montrent de nombreuses enquêtes conduites auprès du grand public. Cependant, que peut-on dire de la perception des risques par les experts ? »

Euh, pour les PCB dans le Rhône, peuvent mieux faire… A moins que ce ne soient les autorités de tutelle qui planquent soigneusement les études de risques PCB sous le boisseau ?

5. Quel tonnage de PCB doit-il encore être éliminé ?

L’utilisation des PCB dans les applications ouvertes telles que les encres d’imprimerie et les adhésifs a été interdite en Europe dès 1979.

La vente et l’acquisition de PCB ou d’appareils contenant des PCB, ainsi que la mise sur le marché de tels appareils neufs sont interdites en France depuis un décret du 2 février 1987.

Un décret du 18 janvier 2001 a ensuite transcrit en droit français la directive 96/59/CE du 16 septembre 1996 concernant l’élimination des PCB et des PCT, et prévoyait la réalisation d’un plan d’élimination des PCB, à partir d’inventaires constitués sur la base des déclarations des détenteurs d’appareils contenant des PCB.

Le plan national de décontamination et d’élimination des appareils contenant des PCB et des PCT a été approuvé par un arrêté du 26 février 2003.

L’échéance pour cette élimination est fixée au 31 décembre 2010.

Pour la réalisation du plan, le ministre chargé de l’environnement est assisté par une commission nationale créée par un arrêté du 23 octobre 2001.

Sur la base des données fournies par chaque département, l’Agence pour le développement et la maîtrise de l’énergie (Ademe) à réalisé un inventaire national des appareils contenant des PCB.

Le nombre d’appareils contenant plus de 5 litres de PCB inventoriés en France par l’Ademe s’établissait au 30 juin 2002 à 545 610, L’ensemble de ces appareils représentant un poids de 33 462 tonnes de PCB à éliminer…

Dont la majorité sont utilisés pour la production, le transport, mais surtout pour la distribution d’énergie électrique sur tout le territoire.

En 2001, 7800 tonnes de PCB avaient été incinérées et 14400 tonnes décontaminées, selon les données de l’Ademe.

Reste que pour France Nature Environnement, qui consacrait un dossier aux PCB dans sa lettre d’information Industrie-Déchets de février 2007 (n° 30) :

« Depuis le début ce dossier a mal démarré, déjà au niveau de l’inventaire des appareils contaminés, fait uniquement sur le principe du volontariat, tout le monde s’est accordé à dire qu’il est largement incomplet (545 610 appareils répertoriés en 2004, dont plus de 450 000 pour EDF). Depuis, par manque de moyens humains et financiers le MEDD et l’Ademe n’ont pu suivre, ni mettre à jour cet inventaire... La France n’a donc aucune visibilité (mise à part des chiffrages de quantités éliminées uniquement en France par les éliminateurs de déchets dangereux) sur l’élimination de ces déchets.

L’Ademe prévoyait une mise à jour et donc un suivi de l’inventaire pour 2007, pour le moment rien n’est moins sûr que cela puisse ce faire !

Dès 2004, notre crainte a été de voir des pollutions diffuses de PCB dans l’environnement dues à des éliminations non maîtrisées de ces déchets, avec le risque de voir leur abandon sur des friches industrielles, ou des dépôts sauvages, ou lors de simple élimination par ferraillage. »

Or, dans le cadre du « Plan national » d’élimination et de décontamination des appareils contenant du PCB, défini par l’arrêté du 26 février 2003, seules deux usines en France sont homologuées pour éliminer les quantités considérables de PCB concernées, l’usine Tredi de Saint-Vulbas, dans l’Ain, rachetée en 2002 par le groupe Séché, spécialiste du traitement des déchets. Et une seconde usine appartenant au groupe Arkema, implantée à Saint-Auban dans les Alpes de Haute-Provence.

Selon EDF, l’élimination des transformateurs contenant du PCB à plus de 500 ppm doit être réalisée d’ici 2010 dans le cadre des obligations réglementaires.

Le rapport « Développement durable » d’EDF 2005 indiquait que :

« Les gros et très gros transformateurs sont identifiés et traités en priorité et le sont aujourd’hui à plus de 57%.

« EDF Gaz de France Distribution gère par ailleurs un parc de 450 000 transformateurs à huile clos (HTA/BT) dont une partie, antérieure à l’interdiction des PCB en 1987, pourrait être polluée.

« Une étude, dont le principe a été accepté par le ministère de l’Environnement, menée avec EDF R&D, a permis d’obtenir début 2005 une bonne connaissance des appareils à risque et de constituer un inventaire des transformateurs situés en zone sensible.

« Ces derniers seront prioritairement traités en 2006.

« Les actions engagées en 2005 (expérimentation de méthodes de prélèvement avec maintien de l’exploitation, poursuite de l’analyse statistique des types d’appareils utilisés, mesures de dépollution des transformateurs prioritaires) doivent déboucher en 2006 sur un plan d’action 2007-2010 par unité. »

Si l’on considère que les deux seules usines homologuées en France pour le traitement des PCB traitent également des PCB provenant d’autres installations que les transformateurs d’EDF, voire accueillent des PCB en provenance d’autres pays européens, quels tonnages de PCB vont-ils continuer à être décontaminés puis incinérés par l’usine Séché-Tredi de Saint-Vulbas dans l’Ain, et celle d’Arkema, à Saint-Auban dans les Alpes de Haute-Provence au cours des prochaines années ?

6. L’usine Arkema de Saint-Auban dans les Alpes de Haute-Provence rejette-t-elle également des PCB dans la Durance, affluent du Rhône ?

Construite pendant la première guerre mondiale pour produire du chlore à la demande de la défense nationale, l’usine de Saint-Auban a vécu de nombreuses reconversions. Démarrée par la société des produits chimiques d’Alais et de la Camargue, l’ usine a successivement intégré, notamment, les sociétés Péchiney, Péchiney Saint-Gobain, Rhône Poulenc, Elf Atochem (1992), Atofina en avril 2000 et enfin Arkema, né en octobre 2004 de la réorganisation de la branche chimie de Total.

Plus de 40 % du personnel, 713 personnes au 31 décembre 2005, travaille sur le site en continu par équipe en 3x8. Arkema évalue le nombre d’emplois induits à 1000, plus de 10 millions d’euros de taxe professionnelle ont été versés en 2005, et les dépenses en matière d’hygiène, de sécurité et d’environnement ont représenté 20 millions d’euros d’investissement de 2000 à 2005.

Le site est en cours de « réorganisation et de consolidation » autour de ses points forts, avec un investissement de 53 millions d’euros de 2005 à 2007 et l’arrêt de ses activités déficitaires.

Localisé entre Digne et Sisteron
, proche de la Durance, le site de Saint-Auban offre la particularité d’être l’unique producteur de solvant chloré T111 en Europe et le seul site Arkema producteur de PVC de spécialités.

L’usine est également homologuée pour le traitement de résidus chlorés externes par incinération.

Les produits Arkema fabriqués à Saint-Auban dérivent de la chimie du chlore et de l’éthylène. Premier producteur français de PVC (polychlorure de vinyle), Arkema produit à Saint-Auban environ 125 000 tonnes/an de polymères à base de PVC, largement présents dans notre univers quotidien : canalisations d’eau, profilés de fenêtres, revêtements de sols et murs, cartes de crédit, disques vinyles, produits à usage médical (poches à sang, gants...).

Un centre de recherche appliqué basé sur le site, le Laboratoire d’application plastique (LAP), « contribue à l’adaptation des produits aux demandes des clients et au développement de nouveaux marchés. »

L’atelier VRC (Valorisation des résidus chlorés) traite les résidus chlorés par brûlage. D’une capacité de 45 000 tonnes/an, cet atelier permet le recyclage et la valorisation de résidus chlorés liquides et gazeux sous forme d’acide chlorhydrique (1 000 t/an) d’HCl anhydre et 8 000 t/an d’HCl solution). Ce produit est ensuite vendu comme intermédiaire chimique pour la pharmacie ou la chimie fine.

Dans le contexte de la crise ouverte par la pollution massive du Rhône par les PCB, il serait intéressant de connaître la nature et le montant des rejets de PCB dans la Durance, affluent du Rhône, découlant du traitement et de l’incinération des équipements en possédant qui transitent par l’usine Arkema de Saint-Auban…

Rejets nécessairement autorisés là aussi par l’autorité préfectorale, puisqu’il s’agit d’une installation classée.

Le doute reste permis car La Lettre TI-Environnement n° 22, datée des mois de janvier et février 2007, rapportait que l’entreprise Aprochim, du groupe Chimirem, installée en Mayenne, avait rapporté au dernier salon Pollutec le 1er prix des « Trophées des Technologies Economes et Propres 2006 (TEP) pour son installation de décontamination d’équipements (transformateurs, condensateurs,...) souillés par des PCB.

« Sans démonter les équipements, le procédé porte les PCB en phase gazeuse et le vide poussé, lancé industriellement en 2006, autorise une dépression “très largement inférieure au millibar, une composante fondamentale du process”, précisait M. Alain-Henri Keravec, directeur exécutif de la société Aprochim.

« Avantages : plus de traitement au perchloroéthylène et de charbon actif (pour la filtration des composés organiques volatils ou COV), tous deux coûteux.

« Les quatre enceintes de 30 m3 chacune permettent de traiter 60 tonnes par jour d’équipements.

« Après aspiration puis condensation, les PCB sont transformés, après incinération chez Arkema, en acide chlorhydrique.

« Quant au matériel traité, il est “revalorisé, pour un transformateur, à 95 %”.

« La société va tester cette technologie “sur d’autres types de déchets aux tonnages qui devraient contraindre à opérer sur site”.

« Alors que seule l’installation de Mayenne (unique au monde) existe à l’heure actuelle, le groupe prévoit d’autres installations de taille adaptée aux gisements identifiés. »

Intéressant.

Il existerait semble-t-il de nouveaux process de traitement des PCB.

A vérifier.

Dans l’affirmative, et hors toute immixtion dans des rivalités commerciales que l’on devine aigües entre les deux seuls sites officiellement homologués en France pour l’élimination des PCB, on ne comprendrait pas que l’Etat se satisfasse de voir continuer à être mis en œuvre des process qui portent des atteintes gravissimes à l’environnement.

7. La pollution par le PCB s’étend-elle au-delà de l’eau du Rhône ?

D’autres questions peuvent être formulées.

Recherche-t-on des traces de PCB dans les nappes alluviales du fleuve, les champs captants pour l’approvisionnement en eau potable ?

Qu’en est-il de la qualité des eaux soutirées dans les nappes en bordure du fleuve ?

Quelle est la qualité réelle de l’eau du robinet ?

La qualité de l’air et de l’eau concerne également l’agriculture et l’élevage : viande, lait, fromage, aspersion des cultures, etc.

Dans une région déjà affectée par la catastrophe de la contamination de toute une vallée par l’incinérateur de Gilly-sur-Isère, les pouvoirs publics, à l’heure du Grenelle de l’Environnement, engageront-ils une étude épidémiologique de grande ampleur ?

8. Pourquoi la pêche elle-même n’est-elle pas totalement interdite ?

La contamination des écosystèmes aquatiques aux PCB entraîne aussi des conséquences économiques graves pour le secteur de la pêche professionnelle.

Pour M. Philippe Boisneau, président de la Coordination nationale des pêcheurs professionnels en eau douce (Cnapped) et M. Didier Bertin, président de l’Association interdépartementale des pêcheurs professionnels de la Saône et du Haut-Rhône : « Les pêcheurs sont dans l’obligation d’honorer leurs nombreuses charges (loyer à l’Etat, charges sociales…) sans pouvoir percevoir de recettes puisque, de fait, la vente des poissons leur est interdite. Il ne faut pas minimiser l’impact et les conséquences économiques de cette pollution. »

La pêche en soit n’étant pas interdite, les pêcheurs de loisirs peuvent, eux, continuer leur hobby sous respect du principe « no kill », qui consiste à rejeter le poisson à l’eau après l’avoir pêché.

Toutefois nombre d’entre eux se plaignent, dans tous les départements concernés, de ne pas avoir été suffisamment informés. L’enjeu est d’importance puisque près de 400 000 pêcheurs amateurs sont concernés sur le Rhône...

Plusieurs associations, à l’instar de WWF-France, qui s’alarmait à son tour de la contamination du Rhône par les PCB dans un communiqué rendu public le 22 aout 2007, s’apprêtent par ailleurs à apporter leur soutien aux professionnels de la pêche en eau douce et à interpeller l’Etat pour qu’une indemnisation pour perte de revenus substantiels leur soit accordée.

Car de fait, dans son édition du 17 aout 2007, l’édition Isère Nord du quotidien régional Le Dauphiné Libéré stigmatisait à son tour un « Tchernobyl à la française », en titrant sur "les pêcheurs professionnels dans la tourmente" :

« (…) Dénoncée par les fédérations de pêche du Rhône et de l’Isère, qui ont porté plainte contre X, cette situation a aujourd’hui des conséquences dramatiques sur les pêcheurs professionnels en eau douce.

« Ils sont en effet une trentaine à exercer sur le Rhône entre le Haut-Rhône et le delta du fleuve. Il est interdit de consommer, mais pas de pêcher. Or, en l’absence de toute interdiction de pêcher, on ne peut réaliser aucune recette, on n’a pas le droit de se déclarer en faillite et on doit toujours payer nos charges. L’État ne fait absolument rien », dénonce M. Didier Bretin, le président du syndicat des pêcheurs professionnels du Haut-Rhône et de la Saône.

« On est face à un véritable scandale. L’État refuse soit de savoir ce qui se passe réellement, soit de divulguer ce qu’il sait, alors que le Rhône est devenu un Tchernobyl à la française », poursuit M. Bretin.

« On sait d’où vient la pollution et pour avoir une idée précise des dégâts qu’elle occasionne, il suffirait de réaliser des prélèvements en amont et en aval de l’usine incriminée, avance t-il.

« Pour M. Didier Bretin, on laisse mourir les pêcheurs professionnels du Rhône. De son côté, M. Philippe Boisneau, le président national des pêcheurs professionnels en eau douce va encore plus loin.

« On dépend du ministère de l’Agriculture en ce qui concerne la qualité sanitaire des poissons et de celui du Développement durable, car on est censé veiller sur la qualité des eaux. Or, en liquidant les pêcheurs professionnels en eau douce, on liquide les veilleurs du fleuve au profit des pollueurs.

M. Philippe Boisneau dénonce aussi l’attitude de ministère des Finances.

« En plus, Bercy ne veut pas nous entendre et nous fait payer plein pot, malgré le fait qu’on n’ait plus aucune recette depuis des mois. On est les victimes et les payeurs ! On est face au "black out" d’une administration intransigeante et intégriste », fulmine t-il.


"Toutefois pour les pêcheurs professionnels, l’administration pourrait changer de cap dès que d’autres pêcheurs, ceux de la Méditerranée, entreront dans la danse car, c’est une évidence, la pollution aux PCB ne s’arrêtera pas au delta du Rhône mais va toucher la Grande bleue.

« Avec nos collègues d’en bas, ça risque de se passer autrement », prophétise M. Philippe Boisneau.

9. La Méditerranée va-t-elle être touchée ?

M. Jean-Louis Borloo a proclamé cet été, en grand arroi, que le Parc naturel de Camargue était « sauvé »…

Qu’en sera-t-il demain s’il s’avère lui aussi pollué par les PCB du Rhône ? En fait il semble bien que ce soit le cas. Des chercheurs l’ont déjà établi, mais peinent à obtenir les financements nécessaires à de nouvelles investigations...

Or en Camargue, seule zone humide qui échappe au tourisme de masse entre Gênes et Barcelone, le déclin des marais salants, l’accroissement du tourisme de masse, d’importants projets d’urbanisation et la construction d’un incinérateur à Fos-sur-Mer menacent l’équilibre naturel et inquiètent déjà fortement une partie de la population…

Au-delà la pêche cotière en Méditerranée, dans le delta du Rhône, sera-t-elle affectée dans un proche avenir ?

10. Pourra-t-on dépolluer le Rhône ?

A l’orée des années 2000 la Norvège, dont les revenus issus de la mer, pêche et aquaculture, constituent l’une des principales industries, a pris conscience que ses côtes et se fjords étaient massivement pollués par le PCB, rançon d’un siècle d’industrialisation intensive.

Les saumons d’élevage ont été contaminés, à la fois par la pollution de la mer, et par le PCB stocké dans les farines de poisson utilisées pour leur alimentation.

En 2004 les zones concernées couvraient 800 km2. Dans plusieurs régions l’Agence de protection alimentaire émettait des avis invitant la population à limiter sa consommation de poisson.

La Norvège a donc décidé de nettoyer les fonds marins tout au long de ses côtes. Un programme dont le coût avait été estimé en 2000 à 25 milliards de couronnes, environ 3 milliards d’euros.

Quatre projets pilotes furent sélectionnés.

Dans l’un, à Kristiansand, l’entreprise canadienne Falcon Bridge avait implanté une usine de traitement du nickel près du fjord.

Après d’intenses recherches, le principe retenu a été celui de transporter par pipeline les sédiments pollués dans un bassin de rétention construit à cet effet et isolé. Comme aucun draguage n’a été effectué, les particules polluées ne se sont pas dispersées.

Dans un second site, à Trondheim, dans la zone portuaire, les sédiments pollués ont été dragués, puis stabilisés en les mélangeant avec du ciment. Une zone a ainsi été gagnée sur la mer, qui deviendra constructible.

L’organisation écologiste norvégienne Bellona s’est montrée plus critique sur la méthode utilisée à Sandefjord. Dans un fjord intérieur, 45 000 m3 de sédiments pollués ont été dragués, soit une épaisseur d’un demi-mètre sur 9 à 10 hectares infestés de PCB et de mercure. Ces sédiments ont été pompés par un pipeline vers une autre partie un peu plus profonde du fjord, distante de quelques centaines de mètres, avant que le tout soit recouvert d’une bâche textile et de pierres. Mais la zone est traversée par de nombreux ferries qui ont continué à naviguer durant les opérations en créant des turbulences. Du coup les petites particules les plus polluées ont été dispersées à leur éjection du pipeline, et se sont à nouveau déposées sur le fond, tout autant, sinon plus pollués qu’auparavant…

On mesure donc l’ampleur du défi.

Le Grenelle de l’environnement en entendra-t-il seulement parler ?

Mais on aurait tort de s’inquiéter !

Le séminaire de lancement de l’Aquaref s’est déroulé le 31 mai 2007 au laboratoire national d’essais !

Nous voilà dotés d’un « Laboratoire national de référence de l’eau et des milieux aquatiques »

Comme « les nouvelles directives européennes, en particulier la Directive cadre sur l’Eau du Conseil et du Parlement européen du 23 octobre 2000 (DCE) imposent notamment la mise en place d’une surveillance fiable des milieux aquatiques, il est primordial d’organiser en France la mise en œuvre de ces opérations en s’appuyant sur un laboratoire de référence qui puisse assister les pouvoirs publics et les intervenants techniques dans la définition et la mise en œuvre des programmes de surveillance dans les domaines de la chimie et de l’hydrobiologie."

Cinq établissements publics, intervenant dans le domaine de l’eau et des milieux aquatiques se sont donc « regroupés en consortium », à l’initiative du Ministère de l’Ecologie, du Développement et de l’Aménagement Durables, afin de coordonner leurs activités de soutien aux autorités publiques, pour :

 appuyer la mise en œuvre des politiques publiques, notamment la directive cadre sur l’eau,

 développer et optimiser des méthodes analytiques,

 améliorer la qualité des données du système d’information sur l’eau,

 et travailler sur les problèmes émergents. »

Et comme un bonheur n’arrive jamais seul le Journal officiel a publié le 15 aout 2007 un Arrêté du 25 juillet 2007 portant création par la direction de l’eau d’un traitement automatisé d’informations nominatives dénommé « Création assistance suivi et contrôle des autorisations et déclarations dans le domaine de l’eau (Cascade). »

On respire…

Lire :

Le Rhône pollué par les PCB : un Tchernobyl français ?

Carnets d’eau – Le Monde Diplomatique, 14 août 2007.

Pollution du Rhône : 10 questions sur un désastre écologique majeur.

Les eaux glacées du calcul égoïste, 23 août 2007.

« Le Rhône interdit : il est pollué jusqu’à la Méditerranée »

Le Nouvel observateur, 23 août 2007.

Le « couloir de la chimie » sur la sellette

Les eaux glacées du calcul égoïste, 28 août 2007.

Pollution au PCB : après le Rhône en France, la Suisse découvre à son tour l’ampleur de la contamination.

Carnets d’eau – Le Monde Diplomatique, 30 août 2007.

Le pyralène, poison des poissons du Rhône

Rue 89, 1er septembre 2007.

Pollution du Rhône : la video qui accuse

Les eaux glacées du calcul égoïste, 20 septembre 2007.

Pollution du Rhône : questions sans réponses

Les eaux glacées du calcul égoïste, 26 septembre 2007.

Marc Laimé - eauxglacees.com