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Nitrates, DERU, DCE, inondations, captages… : le gouvernement veut faire payer les amendes européennes aux collectivités !

8 septembre 2014

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Comme vient de l’illustrer la 5ème condamnation de la France par la Cour de justice des communautés européennes pour non respect des obligations contractées au titre de la directive « nitrates » datant de 1991, l’échec accablant de la politique française de l’eau nous expose à d’inévitables poursuites et condamnations dans les années à venir. Elles se chiffreront au total en centaines de millions d’euros (que Bercy a du reste déjà provisionnés…). Le lobby de l’eau, qui s’oppose avec succès depuis des décennies à toute réforme véritable d’une politique publique sinistrée, vient de surcroît de convaincre le gouvernement de faire payer les amendes colossales dont nous allons écoper… aux collectivités locales ! Et partant aux usagers et contribuables qui, après avoir vu leur environnement dévasté, devront payer le coût de la scandaleuse impéritie de l’Etat face aux lobbies, au premier rang desquels la profession agricole !



Un aboutissement.

Après avoir œuvré sans relâche à démanteler patiemment tous les outils de l’intervention publique qui auraient seuls permis d’éviter le désastre. Après avoir contraint les laboratoires publics départementaux d’analyse et les Satese à la concurrence, couvert le scandale de l’Onema, poursuivi le démantèlement de l’ingénierie publique, confié l’essentiel de la recherche au secteur privé via les « pôles de compétitivité », anéanti la police de l’environnement, mis en œuvre la RGPP puis la MAP, enseveli toute perspective de réforme de la politique de l’eau en 2013, conduit à bien le transfert autoritaire des compétences « GEMAPI » au bloc communal, préparé à l’identique le transfert de la protection des captages aux communes, engagé le démantèlement du droit de l’environnement, ne restait plus qu’à exonérer l’Etat de toute responsabilité - et donc le rendre encore plus irresponsable afin de rendre inéluctable l’abandon de toutes les politiques publiques de l’environnement aux appétits du secteur privé - qu’à contraindre les collectivités à supporter les conséquences financières des condamnations, justifiées, de la France par la Commission européenne !

L’affaire ne date pas d’hier. En 2007 Jean-Louis Borloo découvre, effaré, que la France risque des amendes gigantesques pour avoir, comme à l’accoutumée, traité par le mépris les obligations contractées au titre de la directive Eaux résiduaires urbaines, datant de 1992, et considérablement tardé à mettre aux normes le parc français de stations d’épuration.

Les Préfets, fermement mobilisés, menacent les élus récalcitrants de bloquer les permis de construire sur le territoire des collectivités concernées, aussi longtemps qu’elles n’auront pas réellement engagé les travaux de remise aux normes. Une enveloppe exceptionnelle de 2 milliards et demi d’euros est mobilisée par la Caisse des dépôts et consignations afin de permettre aux collectivités de souscrire des emprunts. Le couperet de la DERU ne s’abat pas comme prévu, même si de nouvelles poursuites vont très probablement être engagées sous peu dans ce même dossier.

C’est dans ce contexte qu’à Bercy et à Roquelaure on envisage sérieusement des "mesures récursoires" à l’encontre des collectivités.

Sept ans plus tard ça recommence, en pire. Les caisses sont vides et l’agenda cataclysmique.

La question des nitrates, avec une cinquième condamnation qui se profile dès le printemps 2014, jusqu’à la sortie tonitruante de Manuel Valls en Gironde le 6 septembre 2014.

L’échec cinglant de la DCE, dont les objectifs ne seront atteints, ni en 2015, ni en 2021, ni en 2027 ! Lors même que depuis bientôt quinze ans le « catéchisme » de la DCE brandi par ses thuriféraires veut à toute force nous convaincre que tout progresse pour le mieux. Tu parles…

Et désormais ce sera la même chose avec les inondations, les captages, que l’on se dépêche de refourguer aux communes qui n’ont bien évidemment rien demandé !

On entend déjà les bonnes âmes : « Mais justement on va RESPONSABILISER les acteurs de terrain et les élus… »

Foutage de gueule intégral : « responsabiliser » des élus et des collectivités de plus en plus exsangues financièrement, privés de tous outils d’intervention publique, abandonnés, méprisés par ceux-là mêmes dont les décisions les placent dans des situations impossibles !

Elles vont faire comment les communes et les EPCI, avec quels moyens et quels financements, pour gérer les captages, consolider les digues, prévenir les inondations, maîtriser tout le grand cycle de l’eau, quand dans le même temps les Agences de l’eau et les services de l’Etat sont de plus en plus soumis à la diète, pressurés, restructurés quatre fois par an, jusqu’à finir par perdre toute capacité d’action ?

Et quand dans le même temps surtout, la FNSEA conduit une politique agricole totalement dévastatrice pour les ressources en eau, et que plus rien ne s’oppose à l’extension sans entraves du domaine de la dévastation !

Un Etat défaillant, impuissant et irresponsable

Un aboutissement.

Le nouvel article L 1611-10 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) figurant à l’article 33 du « Projet de loi portant organisation territoriale de la République » (NOTRe), adopté par le gouvernement le 18 juillet dernier (le volet 2 de l’Acte III, après le MAPAM), permettrait donc à l’Etat de contraindre les collectivités à supporter les conséquences financières des arrêts de la CJUE.

La disposition adoptée par le gouvernement prévoit en effet que :

« Les collectivités territoriales et leurs groupements supportent les conséquences financières des arrêts rendus par la Cour de justice de l’Union européenne à l’encontre de l’Etat [...] pour tout manquement au droit de l’UE qui leur est imputable en tout ou en partie ».

Ainsi, dans l’hypothèse, d’actualité, d’une condamnation de l’Etat français pour non respect de la directive 91/676/CEE (directive « nitrates »), celui-ci pourrait se retourner vers les collectivités locales.

« Si ce texte est voté, l’Etat pourra se défausser sur les collectivités ! s’étrangle le directeur d’une section départementale de l’Association des Maires de France (AMF). Et la France ne serait plus une et indivisible ! »

La même association émet d’ailleurs « quelques doutes sur la constitutionnalité d’une telle norme », comme le relate la Gazette des communes.

L’exposé des motifs du projet de loi présenté par Marylise Lebranchu souligne que « l’article 33 vise à permettre la participation des collectivités territoriales au paiement des amendes […] lorsque ce manquement est constaté dans le cadre de l’exercice d’une compétence décentralisée » et précise que « les instances juridictionnelles de l’Union européenne ne reconnaissent comme interlocuteurs que les États membres, indépendamment de leur organisation interne ».

Un dispositif comparable existe déjà dans d’autres Etats européens, notamment en Autriche, en Belgique et en Allemagne, poursuit la Gazette des communes.

En France,« les principales affaires en manquement concernant les collectivités territoriales et qui ont donné lieu à une condamnation de l’Etat ont trait au droit de l’environnement ; et notamment à la gestion de l’eau et des déchets, voire à la protection d’espèces menacées » expose l’étude d’impact de la loi.

Et de prendre pour principaux exemples les conseils régionaux de Bretagne, Pays de la Loire et Poitou-Charentes pour non respect des directives sur l’eau (75/440/CEE, 80/778/CEE et 98/83/CE) avant de recenser d’autres collectivités, dont la responsabilité pourrait être recherchée pour d’autres motifs :

 le département de la Vendée à propos des marchés publics ;

 les ports de Dunkerque, Le Havre, Marseille, Nantes/Saint-Nazaire, Rouen, La Rochelle, Port-La-Nouvelle, Calais, Bastia, Concarneau, Boulogne, Sète, Nice/Villefranche et Marina Antibes à propos de la collecte des déchets des navires ;

 la commune de Saint-Laurent-du-Maroni (Guyane), sur les déchets,
plusieurs cas de décharges illégales ou incontrôlés et de rejets des eaux résiduaires ;

 l’insuffisante protection du grand hamster d’Alsace ; ainsi que 6 autres affaires en précontentieux donnant actuellement lieu à des échanges avec la Commission européenne.

L’Etat, juge et partie ?

En cas de condamnation par la CJUE, le projet de loi Lebranchu prévoit que « les autorités compétentes de l’Etat proposent une répartition des sommes dues entre les collectivités territoriales ou leurs groupements déduction faite, le cas échéant, de la part incombant à l’Etat » ; en cas de désaccord entre l’Etat et les collectivité, une commission composée de membres du Conseil d’Etat et de magistrats de la Cour des comptes statuerait.

A cet égard, l’Association des maires de France estime que « la procédure devrait être contradictoire » et alerte « sur le risque de multiplication des contentieux contre une procédure dans laquelle l’Etat est juge et partie ».

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu le 4 septembre 2014 un nouvel arrêt condamnant la France pour le non respect de la directive 91/676/CEE, dite « directive nitrates », sans pour autant prononcer d’amende dans l’immédiat, puisque l’Union doit auparavant examiner le « plan national d’action » que lui a adressé la France en catastrophe au printemps dernier… Un « plan de la dernière chance » dont on peut légitimement douter, au va de nos précédents calamiteux, qu’il convainque Bruxelles.

Plusieurs associations environnementales, telles que France Nature Environnement (FNE) ou Eau et rivières de Bretagne (ERB, à laquelle adhèrent une centaine de collectivités bretonnes) craignent l’imminence d’une condamnation de la France à « des amendes astronomiques ».

« Depuis la mise en place de la directive « nitrates » en 1991, cinq programmes d’action ont vu le jour. Pourtant, on assiste aujourd’hui encore à une augmentation des taux de nitrates présents dans les eaux souterraines et superficielles d’une grande partie du territoire national » regrette FNE.

« S’il devait y avoir des amendes, pour nous c’est au ministère de l’Agriculture et à la FNSEA de les payer puisqu’ils sont les cogestionnaires de la politique agricole qui a nitraté nos rivières » rétorque ainsi fort justement ERB, interrogé par la Gazette des communes…

La tentation de la régionalisation

L’affaire se corse, de surcroît, avec le souhait réitéré de la Bretagne, région sinistrée s’il en est, que l’on songe aux algues vertes, de « régionaliser » sa politique de l’eau. Un projet longtemps caressé par Antoine Guellec, dont Thierry Burlot, vice-président PS de la région, a repris le flambeau…

Pierrick Massiot, président (PS) du conseil régional de Bretagne, soutient ainsi, interrogé par la Gazette des communes, que « de 2000 à 2012, le taux moyen en nitrates est passé, sur notre territoire, de 50 à 30 milligrammes par litres. Nous sommes aujourd’hui la première région de France en termes de reconquête de la qualité des eaux. La prise de conscience des agriculteurs est indiscutable. La condamnation de la France montre les limites d’un pilotage national des politiques et appelle, probablement, à une meilleure régionalisation, territorialisation de l’action publique, comme nous ne cessons de le dire ! »

Thierry Burlot pour sa part, vice-président de la région Bretagne chargé de l’environnement et du « plan breton pour l’eau », ne conteste pas la philosophie du projet de loi. « L’Etat a ses responsabilités et nous avons les nôtres, déclare-t-il. Le plan breton pour l’eau est un outil de prise de responsabilité et d’engagement des collectivités, mais on n’a pas à payer pour les contentieux passés. Si la qualité de l’eau se dégradait, on pourrait dire que nous sommes responsables. »

Il estime qu’un tiers des cours d’eau de l’Agence de l’eau Loire Bretagne sont actuellement conformes à la directive cadre sur l’eau (2000/60/CE) ; en tant que président de la commission planification de l’AELB, il envisage un objectif de conformité de 61 % d’ici 2021.

« C’est compliqué, observe-t-il, les techniciens nous disent qu’on y parviendra pas mais en tant que président de la commission de planification de l’agence, je dois être ambitieux et réaliste car demain, on aura des comptes à rendre. L’Etat veut que nous allions vite sur la révision des Sdage car cela fait partie de la réponse à la Commission européenne. »

Au vu des premiers échanges intervenus à l’issue de l’installation du nouveau comité de bassin, remporté, comme à l’AESN, par un élu UDI, c’est pas gagné…

A suivre.

Marc Laimé - eauxglacees.com