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Arrêt commune d’Olivet : Bercy tente de repréciser les règles du jeu

27 août 2014

par Marc Laimé - eauxglacees.com

La Direction générale des finances publiques a adressé le 22 juillet dernier une circulaire aux directeurs départementaux des finances publiques (DDFiP) dans laquelle elle leur propose une méthodologie afin qu’ils puissent rendre dans les meilleures conditions leur avis sur la validité des DSP qui dépasseront une durée de vingt ans le 2 février 2015, et pourraient dès lors être considérées, ou non, « caduques » à cette date, au titre du fameux arrêt du Conseil d’état.



Le déjà très riche feuilleton « Arrêt commune d’Olivet » s’enrichit d’un nouvel épisode qui témoigne, et de l’embarras de Bercy, et de l’inquiétude des opérateurs après l’affaire de Troyes, et surtout des conséquences de leur lobbying outrancier, qui, après avoir dans une première phase conduit Bercy à publier une circulaire qui leur était scandaleusement favorable, voit celui-ci rétropédaler, craignant, à juste titre de voir sa responsabilité engagée, après avoir enjoint en décembre 2010 Préfets et DDFiP de se transformer en petits télégraphistes des grands groupes privés.

A l’occasion cette nouvelle instruction éclaire aussi d’un jour cru les pratiques douteuses des mêmes groupes en matière d’amortissement, en proposant aux DDFiP, tant une méthodologie d’analyse, qu’une notice explicative, des plus éclairante, et enfin des modèles-types de courrier.

Autant d’éléments nouveaux qui pourraient paradoxalement lever de nouveaux risques de contentieux sur les dizaines d’avis déjà rendus jusqu’à présent par les DDFiP, sur la foi de la première circulaire de Bercy de 2010…

Rappel des faits

Afin d’accroître la transparence des procédures de passation des délégations de service public, la loi Sapin de 1993 avait prévu que ces contrats devaient être limités dans la durée. La loi dite « Barnier » de 1995 avait complété ces dispositions en prévoyant, sauf exceptions, une durée maximale de 20 ans pour les délégations dans le domaine de l’eau potable, de l’assainissement et des déchets.

Par un arrêt du 8 avril 2009, portant sur un contentieux opposant la Compagnie générale des eaux (aujourd’hui Veolia) à la commune d’Olivet, le Conseil d’Etat a jugé que les dispositions de la loi Sapin s’appliquaient également aux contrats signés avant son entrée en vigueur. Mais que cette application n’entraînait pas pour autant la nullité des contrats d’une durée supérieure à 20 ans conclus avant cette entrée en vigueur, ni une obligation de renégociation afin d’en réduire la durée.

Elle a pour effet, précisait la Haute juridiction, d’empêcher que ces contrats puissent être régulièrement exécutés au delà de cette durée… sauf examen préalable par le trésorier-payeur général, à l’initiative de l’autorité délégante, des justificatifs de dépassement de cette durée.

La circulaire de 2010

C’est dans ce contexte qu’en décembre 2010 une première circulaire de la Direction des finances publiques (outrageusement orientée par Veolia, Suez, Saur et la FPEE) enjoignait préfets et DDFiP de se montrer proactifs, en recommandant aux collectivités concernées (plus de 350 en France en matière d’eau et d’assainissement) de prendre l’attache de leur délégataire, afin que celui-ci leur fournisse les éléments financiers qui permettraient, ou non, d’établir que les éventuels investissements opérés par l’entreprise délégataire, seraient, ou non, amortis le 2 février 2015, avant la fin du contrat de DSP initialement prévue.

Et c’est ici que le bât blesse. A plusieurs dizaines de reprises, puisque cette circulaire de 2010 ne proposait aucune véritable méthodologie aux DDFiP, ceux-ci ont avalisé les yeux fermés les affirmations fantaisistes, voire outrageusement mensongères, des entreprises, jurant la main sur le cœur que leurs investissements (lesquels ?), ne seraient bien évidemment pas amortis au 2 février 2015, ce qui, soit ouvrait droit à indemnisation (évidemment faramineuse), soit, occurrence la plus fréquente, conduisait le DDFiP à valider, au vu des éléments fournis, la prolongation exceptionnelle du contrat, au-delà du 2 février 2015, jusqu’à sa date de fin initiale… On a dès lors vu se multiplier des bricolages des plus douteux, et notamment la passation d’amendements au contrat initial qui visaient à habiller le tour de passe-passe, comme au Grand Dijon ou à Troyes.

La circulaire du 7 décembre 2010

Or le tribunal administratif de Chalons en Champagne, saisi par trois élus de Troyes, est venu mettre à bas ce bel édifice, en annulant une délibération de la collectivité dirigée par François Baroin, qui validait une construction juridique douteuse formalisée par avenant, ce qui revenait à « by-passer » l’Arrêt Commune d’Olivet sur la base d’informations fantaisistes fournies, ici au cas d’espèce par Veolia. Qui a de surcroît si admirablement manœuvré que François Baroin, excédé, a décidé de revenir en régie !

Calcul d’amortissements et secret commercial

Du coup la nouvelle instruction du 22 juillet dernier (voir ci-après), éclaire d’un jour singulier l’asymétrie d’information entre entreprise délégataire, collectivité délégante, et, nouveauté, puissance publique, ici les DDFiP. Bercy, légitimement inquiet, veut tenir la main des DDFiP pour éviter de nouveaux et très prévisibles revers.

On notera d’emblée, ce faisant, que Bercy, contraint et forcé, éclaire d’un jour cru le périmètre complexe du calcul des amortissements, dont on mesure immédiatement qu’il est absolument hors de portée d’une collectivité locale. Et par la disparition programmée de l’ingénierie publique, et par l’emprise qu’exercent les grands groupes sur la quasi totalité des bureaux d’études spécialisés, et par l’invocation du « secret industriel et commercial » protégeant certaines informations détenues par les délégataires, ce qui conduira à restreindre la communication des avis des DDFiP, comme le précise la nouvelle Instruction…

On soulignera aussi, malignement, que Bercy avertit les DDFiP par cette nouvelle instruction qu’ils ne pourront pas émettre d’avis s’ils n’obtiennent pas communication d’une liste impressionnante de documents. On imagine la suite…

Rappelons enfin que l’avis des DDFiP n’engage pas la collectivité. Gageons toutefois que les nouveaux avis, rendus grâce à la méthodologie proposée par Bercy, sont supposés s’imposer avec davantage de force aux collectivités, ce qui est bien évidemment le but de l’opération, histoire de venir au secours de la FPEE, prise au piège de son lobbying outrancier.

Reste que ce faisant le luxe de précaution auquel sont désormais enjoints les DDFiP pourrait ouvrir un nouveau front. Les dizaines d’avis rendus depuis 2010 par les mêmes DDFiP, et qui se sont bornés à valider, sans contre expertise aucune, les affirmations fantaisistes des délégataires apparaissent du coup rétrospectivement pour ce qu’ils sont : un coup de force exercé au détriment des collectivités et de leurs usagers…

Incertitudes

Les DDFiP peuvent donc désormais être saisis par une collectivité en vue d’indiquer si la convention peut aller jusqu’à son terme, ou si elle est devenue caduque.

"Compte tenu des nombreuses demandes et au regard de la nécessité de garantir un traitement homogène des analyses", la Direction générale des finances publiques fournit via cette nouvelle instruction une véritable méthodologie à l’attention des DDFiP.

L’instruction comprend une notice explicative de l’avis que doit rendre le DDFiP, accompagnée de trois modèles-types : courrier à adresser à l’ordonnateur, rapport d’analyse et avis du DDFiP.

Elle précise que, "au regard des éléments susceptibles d’être couverts par le secret des affaires", le modèle type de rapport d’analyse ne devra être communiqué qu’aux seuls membres du conseil municipal et aux seules personnes chargées du contrôle des actes des collectivités.

"Ces avis, bien qu’obligatoires, ne sont pas conformes", rappelle par ailleurs l’instruction. C’est-à-dire que la collectivité peut ne pas suivre l’avis du DDFiP. "Il relève de sa seule responsabilité de prendre une délibération constatant le maintien ou, au contraire, la caducité d’un contrat", précise le ministère des Finances.

L’affaire interpelle sur un autre plan. Comment peut-on continuer à qualifier de « délégation de service PUBLIC » un dispositif contractuel qui permet à l’entreprise délégataire de soustraire au contrôle de l’autorité délégante, et des usagers de ce même service public, des éléments, financiers et fiscaux, relevant du « secret industriel et commercial » ?

Dès lors, paraphrasant Pie XI, et sa célèbre charge contre le communisme « bolchevique et athée », (Divini redemptoris), il nous apparaît, sans équivoque aucune, qu’au travers l’arrêt Commune d’Olivet, la DSP se révèle bel et bien « intrinsèquement perverse »

L’instruction du 22 juillet 2014

Marc Laimé - eauxglacees.com