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GEMAPI, COSEI et « génie écologique » : les majors de l’eau font main basse sur la gestion des milieux aquatiques

6 juin 2014

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Les majors françaises de l’eau accélèrent leur offensive pour faire main basse sur la gestion du « grand cycle de l’eau ». Dévoyant leur fonction, une dizaine de hauts fonctionnaires leur déroulent le tapis rouge dans l’indifférence générale.



On va mieux comprendre, si besoin était, notre vigilance atterrée relative à la fameuse GEMAPI, cette nouvelle compétence qui a déjà fait beaucoup couler d’encre.

Afin que l’offensive des majors prospère, il fallait d’abord qu’une nouvelle compétence dévolue aux collectivités locales, qui n’avaient rien demandé, puisse servir de support à de nouveaux marchés promis à une forte expansion. C’est désormais chose faite avec la GEMAPI, dont le volet « lutte contre les inondations » n’est évidemment qu’un attrape-couillons qui n’abuse que ceux qui veulent s’y laisser prendre. L’important étant bien sur la « gestion des milieux aquatiques » qui y a été associée on va comprendre pourquoi.

Second volet, les nouveaux marchés d’avenir. Là, ça se modèle au sein du COSEI et des plans d’actions pour la Nouvelle France industrielle, chère à Montebourg, que nous avons connu plus vindicatif à l’encontre de Veolia, dont le boss Antoine Frérot est désormais qualifié par le même de « patron de gauche »

Noter que le Vice-président du COSEI, Jean-Claude Andréini, militant PS éprouvé, est le P-DG du bureau d’études BURGEAP, spécialiste de l’hydraulique, et cumule un nombre incalculables de postes divers dans la galaxie du business de l’environnement, de l’économie verte et de toutes ces sortes de choses.

Ca tombe bien, le comité de pilotage de la Nouvelle France industrielle a validé le 4 juin sept nouvelles feuilles de route des 34 plans prévus par cette initiative de "reconquête industrielle" lancée en septembre dernier par François Hollande et Arnaud Montebourg.

Parmi celles-ci figure le « plan consacré à la qualité de l’eau et à la gestion de la rareté », dont un point d’étape avait été fait le 26 mars dernier.

"Ce plan a été bâti autour de nos leaders mondiaux pour un enjeu planétaire : l’eau. De la station d’épuration du futur, plus sobre en énergie, au dessalement de l’eau de mer, il va leur permettre de démontrer leurs capacités d’innovation par des projets concrets et de fédérer autour d’eux un écosystème de petites entreprises françaises innovantes", annonce un communiqué commun des ministres chargés de l’économie, de l’agriculture et du numérique.

"En 2030, il y aura un écart de 40% entre la demande et l’offre mondiale d’eau douce si les méthodes de gestion de l’eau n’évoluent pas vers une grande efficacité de production et de distribution", alerte l’équipe de suivi du plan pilotée par Jean-Louis Chaussade, directeur général du groupe Suez Environnement, et Christophe Chevillon, PDG du groupe Environnement SA.

En 2014, ajoute-t-elle, la pénurie d’eau constitue le troisième risque le plus préoccupant selon le Forum économique mondial sur les risques.

C’est pourquoi l’école française de l’eau veut valoriser son savoir-faire, dont le principal moteur est "une très forte capacité de recherche et d’innovation".

Les ambitions du plan ? Il s’agit à la fois de soutenir l’effort d’innovation, de conforter le leadership français dans le monde et d’adapter les développements industriels aux nouveaux enjeux.

Quatre axes prioritaires : les usines d’épuration du futur à faible empreinte environnementale, le grand cycle de l’eau face à l’adaptation au changement climatique, le petit cycle de l’eau pour limiter les pertes de ressources en eau sur le réseau et contrôler sa qualité et, enfin, le dessalement de l’eau en vue de développer une offre à l’export.

Le déploiement de l’innovation passera par la commande publique pour ce qui est des stations d’épuration et du petit cycle de l’eau, par l’ouverture de certaines possibilités d’expérimentations comme la réutilisation des eaux traitées et par le soutien de l’Etat pour le passage à l’industrialisation de certaines "briques technologiques clés".

En juin 2014, il s’agira de cadrer les projets et d’associer les collectivités et établissements publics compétents, notamment par la définition de projets démonstrateurs et la mise en place de financements dédiés.

De juin à septembre 2014, il est prévu une phase de soutien aux PME : constitution de groupements avec les grandes entreprises pour répondre aux appels d’offres, développement de solutions de financement privé-public pour les PME innovantes, etc.

En décembre, le plan prévoit une action de facilitation de l’accès au marché qui passera par la "levée des blocages réglementaires" et l’accélération des travaux de normalisation.

Enfin, de septembre 2014 à 2016, la phase de mise en place de vitrines à l’export prévoit le lancement des appels d’offres, la sélection des groupements et la réalisation des projets.

Le ministère de l’Ecologie, agence de publicité des majors de l’eau

Dans ce dévoiement sans précédent, qui voit tout un appareil d’état se mobiliser servilement pour complaire aux appétits des majors de l’eau françaises, on applaudira la fraction DEB-Canal historique du Lobby de l’eau, qui annonçait la veille 3 juin (pure coïncidence, bien sur), le lancement par le ministère désormais dévolu à Mme Royal du Grand prix « Le génie écologique au service de la politique de l’eau », étant précisé, senza vergogna ce qu’est, selon le ministère de l’écologie, le génie écologique : des entreprises au service de la biodiversité.

(Et tant qu’à faire, dans la foulée, on en publie l’annuaire...).

«  Restaurer les cours d’eau, entretenir les espaces naturels ou encore préserver la biodiversité dans les projets d’aménagement sont autant de compétences qui relèvent du génie écologique. Cette filière permet de répondre à des enjeux environnementaux devenus incontournables pour les acteurs publics comme pour le secteur privé. »

Pourquoi un Grand Prix dédié au génie écologique ? feint de s’interroger le ministère ?

« Le ministère de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie (MEDDE) a identifié le génie écologique comme l’une des « filières stratégiques de l’économie verte » devant faire l’objet d’un plan d’action visant à favoriser son développement.

Cette filière est insuffisamment connue des maîtres d’ouvrages publics et privés. Pourtant, elle contribue à la préservation des écosystèmes, et en particulier des milieux aquatiques. Elle participe donc à l’atteinte des objectifs de la politique de l’eau, tout en créant des emplois non délocalisables ».

On retrouve bel et bien ici le lien avec notre fameuse GEMAPI, et l’on voit se déployer une furieuse campagne de propagande...

Sauf que le MEDDE n’a rien identifié du tout, et que cette escroquerie en bande organisée a été conduite depuis plusieurs années par l’ASTEE, l’Académie de l’eau, la SHF, l’ONEMA, le CNE, et leurs relais à Bercy, au Minagri, au MEDDE, soit une dizaine de haut fonctionnaires, dévoyant leur fonction au plus grand profit des majors privées de l’eau qui pilotent bien évidemment l’affaire depuis le début.

Dans l’indifférence générale, des pans entiers de l’action publique, de la domanialité publique, des financements publics considérables, et des enjeux majeurs de préservation de l’environnement sont donc en passe d’être affermés aux majors françaises de l’eau qui vont par ce biais faire main basse sur la gestion du « grand cycle de l’eau ».

Une OPA que nous contons par le menu, entre autres sujets, dans notre livre qui sera en librairie le 12 juin prochain, et dont nous avons la faiblesse de penser que son titre reflète hélas trop bien la réalité : « Le Lobby de l’eau. Pourquoi la gauche noie ses réformes »

Lire aussi :

- L’Eau en France, un modèle à ne pas exporter.

Gérard Borvon, S-Eau-S, 5 juin 2014

Marc Laimé - eauxglacees.com