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L’écologie des catacombes, par Alain-Claude Galtié

17 avril 2014

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Plusieurs années durant, en Bourgogne, un homme remue ciel et terre pour alerter administrations, politiques et ONG sur la destruction programmée d’une rivière. Il se heurte à un mur. A l’image des premiers chrétiens abritant leur foi dans l’église des catacombes, son carnet de bord nous révèle crûment l’état de l’écologie en 2014. Le bilan du difficile travail "associatif" (!) pour tenter de sauver l’eau d’une tête de bassin de Saône et Loire, au terme d’innombrables tentatives de communication avec des fonctionnaires, des représentants politiques, des associatifs…, est terrifiant. Ecologie année zéro.



« Pour une meilleure compréhension des coulisses de l’affaire de Saint Gengoux, voici un petit historique de l’effort produit depuis un an...

Après que j’ai découvert l’existence de l’EPTB, du Contrat de Rivière Grosne, etc., sur internet, (choses totalement ignorées par l’ASR et la CAPEN), Thierry et moi avons établi le contact avec R. F., de l’EPTB du Bassin de la Grosne il y a un an, et nous l’avons rencontrée le 12 avril 2013.

Au retour, voici ce que j’avais annoncé à l’ASR :

« L’EPTB n’a pas les moyens des ambitions affichées. C’est vraiment une maladie française ! Avec Thierry Grosjean, mon unique compagnon d’aventure (les jouvencelles du collectif sur l’eau s’étaient fait porter pâles la veille), nous avons eu une conversation sur l’impuissance de l’administration française - pourtant l’une des plus développées et des plus coûteuses au monde... Bizarre, bizarre.

« Nous avons eu confirmation que l’EPTB s’était jusqu’alors essentiellement concentré sur les cours d’eau principaux, et que la vallée de Saint Gengoux et pas mal d’autres avaient été négligées. Très curieux puisque les têtes de bassin - qui couvrent la majeure partie des territoires de l’eau - sont très importantes pour la vie et la qualité des eaux douces.

Enfin, c’était tout de même positif :

 la CAPEN va prendre part au Comité de Rivière qui supervise le Contrat de rivière (dont le lancement ne date que de novembre dernier),

 nous sommes reconnus comme interlocuteurs et partenaires,

 mon travail d’inventaire est d’autant plus apprécié que l’EPTB ne peut faire l’équivalent,

 R. F. va s’appuyer dessus pour poursuivre son propre travail,

 notre intervention est stimulante pour les services officiels et, en retour, va aiguillonner les élus,

 nous allons nous tenir mutuellement informés,

 l’EPTB a développé des "outils pédagogiques" que nous allons pouvoir utiliser à notre guise (vidéo, doc internet, panneaux d’exposition),

 et, et... nous allons continuer les visites sur le terrain - tout le monde est intéressé. »

... En fait, cela n’était que du vent. A peine établie, la relation s’est tout de suite dégradée : j’ai transmis toute l’information demandée sans recevoir la moindre réaction.

Jusqu’à la lettre surréaliste du 6 novembre 2013 reçue par les acteurs du collectif :

« Madame, Monsieur,

J’ai pris connaissance de vos divers courriers relatifs à la destruction de milieux aquatiques sur la commune de Saint Gengoux le National. Malheureusement, ces destructions ne sont pas spécifiques à la commune de Saint Gengoux le National, je le constate régulièrement sur l’ensemble du bassin de la Grosne.

A titre personnel, je comprends totalement vos démarches, mais l’EPTB Saône et Doubs n’a pas pour mission de faire respecter la réglementation. Je n’ai aucun pouvoir pour bloquer les remblais de milieux aquatiques. Je ne peux donc pas vous aider dans vos démarches.

Je vous invite à contacter le service de police de l’eau de la DDT de Saône-et-Loire et de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (ONEMA).

Cordialement,

R. F.
Coordinatrice du contrat de rivière Grosne. »

A partir de mai 2013, j’ai fait plusieurs tentatives vers G. M. de Natura 2000 pour le Clunysois. Après une première marque d’intérêt, il n’a plus répondu et il m’évite quand il me voit.

P. S. qui est chargée de mission Natura 2000 "Pelouses calcicoles de la côte chalonnaise" n’a pas davantage répondu

Le Réseaux Mares de Bourgogne (Conservatoire d’espace naturels de Bourgogne) n’a réagi à aucune sollicitation.

A propos de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (ONEMA), l’un des organismes que R. F. conseillait de joindre...

Au niveau départemental et régional (délégations de Saône-et-Loire et de Bourgogne / Franche-Comté), l’ONEMA n’a jamais daigné répondre (1ère lettre le 22 novembre). La consistance d’un ectoplasme !

Au niveau national, j’ai adressé une première lettre le 20 octobre 2013 aux deux "contacts" officiels de l’organisme. A défaut de réponse, j’ai relancé le 24 janvier. L’un des deux m’a répondu que, suite à des promotions aux titres ronflants, les "contacts" avaient changé. Il m’a donné les coordonnées de quatre responsables nationaux à joindre. Lettres, communication de doc., relances... Deux ont fini par réagir positivement. Le contact semblait établi et prometteur. Puis... Plus rien. Comme volatilisés.

L’un de ces quatre personnages est K. K. Il est "Chef de projet caractérisation de l’état et des pressions hydromorphologiques" et entretient un petit blog où il cite Jean-Christophe Bailly : "Au lieu d’invoquer en passant la ’biodiversité’, entrez dans la multiplicité hétérogène du vivant, descendez dans le jeu entrecroisé des conduites et des écarts par lesquels sans fin le monde animal se déploie. Et peut-être trouver là, l’entière et mirifique conjugaison du verbe être : peut-être en effet est-ce seulement là, auprès des animaux, que cet infinitif se dégage de toute pose, libérant une déclinaison infinie des façons de vivre et même de penser."

Jusqu’à récemment, son blog n’était pas avare en professions de foi écolos. Il vient d’élaguer tout ça de façon drastique. Cela devait mal cadrer avec ses nouvelles fonctions à l’ONEMA.

Les expériences avec l’ONEMA renvoient au "scandale de l’ONEMA" qui a été révélé voici un an. Apparemment, le scandale continue.

Jean-Christophe Bailly, justement... Il est prof à l’école nationale supérieure de la nature et du paysage (Blois) et il habite non loin de Saint Gengoux. Je lui ai donc, tout naturellement, écrit et communiqué l’étude de terrain et historique. Rien. Le monsieur répond à beaucoup d’invitations rétribuées, mais le petit coup de pouce bénévole n’a pas semblé l’intéresser.

Tentative de contact avec la Société herpétologique amphibiens (C. M.) : deux courriers, aucune réaction.

Même échec avec la Société d’histoire naturelle d’Autun (shna) et avec le Conservatoire des espaces naturels de Bourgogne qui prétend défendre la biodiversité et l’eau. Pas même un accusé de réception.

Pareil avec l’Observatoire de la Faune Patrimoniale de Bourgogne : aucune réaction.

Même expérience négative avec Alterre Bourgogne et sa "stratégie biodiversité" (slogan : "La Bourgogne, un territoire engagé pour la biodiversité").

Côté FNE, une salve de courriers et de relances (pas seulement de ma main) n’a absolument rien donné. M. L., H. U., le Réseau Ressources en Eau et des Milieux Aquatiques au niveau local comme à l’échelle nationale... sont obstinément restés aux abonnés absents. Même quand j’ai répondu à des questions transmises par Thierry Grosjean ! Cela devait annoncer leur disparition à vue juste au moment de conclure l’action juridique.

Et puis la DDT, autre organisme que R. F. conseillait de joindre... Egalement sur le conseil d’un écologue de la région, première lettre le 7 décembre à B. G. (adjoint au responsable environnement - eau et milieux aquatiques). Ce monsieur anime des colloques sur la protection des ruisseaux (il a même fait ça à St Gengoux !), donc le contact idéal...

Aucune réaction. Relance personnalisée en février avec l’étude sur Saint Gengoux en version papier. Pas la moindre réaction. Le message est limpide.

Même expérience enrichissante avec la DREAL Bourgogne à partir du 21 novembre – dreal-bourgogne@developpement-durable.gouv.fr (directrice C. E. dont on m’avait dit grand bien).

A l’évidence, la DREAL Bourgogne n’existe plus !

J’ai écrit au Service territorial de l’architecture et du patrimoine (J.-D. S. et S. A. au début du mois de septembre. Rien. Pas de réaction non plus à la relance. Avec ces gens-là, qui sont capables de faire toute une histoire pour une fenêtre de toit, on est dans la caricature : ils auraient donné leur autorisation pour le projet sur le terrain classé ZPPAUP par leurs soins ! Mais toujours aucun détail sur ce qu’est devenu le classement... Il n’y a pas eu de procédure de déclassement.

Je passe sur d’autres contacts qui pourraient encore donner un résultat.

Et puis les associations et syndicats...

Plusieurs lettres au CREPESC à partir de septembre. Plusieurs échanges (condescendants) avec M. M. Une réaction-questionnaire de J. R. Puis plus rien depuis octobre.

Contactée plusieurs fois, informée longtemps, la Confédération Paysanne s’est toujours piteusement défilée.

Les sociétés de pêche (Le Réveil de la Guye, La Gaule clunysoise, AAPPMA intercommunale Grosne occidentale et affluente) et la Fédération des pêcheurs (G. G.), qui auraient dû se sentir concernées au premier chef, n’ont jamais daigné répondre.

Autant ils ont fait un très bon travail sur les têtes de bassin du sud de la Grosne, autant ils semblent se foutre des autres têtes de bassin. Pour comble, G. participe au Comité de Rivière Grosne depuis 2008 - ce comité qui a très soigneusement oublié la tête de bassin de Saint Gengoux pendant 6 ans ! Rien que cette anomalie révèle que la longue destruction de l’eau à Saint Gengoux est un sujet tabou. Mais pourquoi ?

Et puis M. D. de la FRAPNA Réseau Eau (en aval du ruisseau de Nolange, donc concernée) : contactée par lettre avec l’étude version papier, le 25 février, elle est restée étrangement silencieuse.

Heureusement, 3 medias ont publié l’information :

l’OCE (Observatoire de la Continuité Ecologique et des usages de l’eau)

Les eaux glacées du calcul égoïste
http://www.eauxglacees.com/On-acheve-bien-les-rivieres-par

Reporterre le quotidien de l’écologie
http://www.reporterre.net/spip.php?article5634

Mais 3 seulement !

Evidemment, les politiciens locaux n’ont pas été plus courageux et brillants que les fonctionnaires ou les "associatifs" institutionnels :

J. P. C., qui, incroyablement, siège dans différentes commissions concernées par le saccage en cours de Saint Gengoux (*), est pour la destruction définitive du ruisseau et de l’entrée de la cité médiévale - après avoir fait partie de l’association Villa Vallis qui avait fait classer le pré de l’Agasse !

(*) Culture au CG, CAUE, Comité de Rivière et n’en a jamais rien dit... Oui, ce comité qui a très soigneusement oublié la tête de bassin de Saint Gengoux pendant 6 ans. Comme c’est bizarre.

J.-F. B. a fait le mort.

T. T. a répondu une misérable bafouille démagogique hors sujet à ma première lettre. Il n’a pas réagi à la lettre plus documentée qui a suivi.

En plus de l’ASR, d’autres personnes encore ont envoyé des lettres, des mails, ont tenté d’interpeller... Des dizaines et des dizaines de tentatives (sans doute plus de cent) ont été effectuées. Toujours en vain.

J’ai connu une autre époque, une époque sans répondeur téléphonique, sans internet et sans smartphone. Mais, alors, chaque lettre recevait une réponse attentionnée. Chaque appel téléphonique était écouté. Chaque rencontre portait des fruits. Chacun, même le plus occupé, même le plus célèbre, était facilement accessible et prêtait attention à l’autre. Et la parole donnée était scrupuleusement honorée à l’heure dite.

La dégradation a été vertigineuse.

Généralement rétribués par nos impôts et subventions, toujours censés être au service de l’intérêt général, toutes les structures interpellées depuis un an et tous ces gens sont en rupture complète avec leurs fonctions et les professions de foi qu’ils affichent.

Nous sommes confrontés à une schizophrénie et à une omerta qui, quel que soit le sujet, sont devenus des classiques. Cette seule expérience autour du ruisseau de Saint Gengoux le National montre l’état de la démocratie en France : à peu près tous les moyens mobilisés pour la réaliser ont été détournés ou sont paralysés par les prédateurs du bien commun.

Imaginons ce qui se passe quand l’enjeu est plus important... »

Marc Laimé - eauxglacees.com