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La sémantique du Gosplan pour l’irrigation de Philippe Martin

6 avril 2014

par Marc Laimé - eauxglacees.com

L’analyse critique de la réponse, datée du 3 avril 2014, du ministère de l’Ecologie à un sénateur (UMP) de la Vienne qui l’interrogeait sur la relance du financement public massif des réserves de substitution ou « bassines » pour l’irrigation, révèle toute l’ampleur des mensonges officiels, aux conséquences desquels la nouvelle ministre de l’Ecologie, Ségolène Royal, toujours présidente de la Région Poitou Charente, et qui s’est de longue date engagée contre les abus de l’irrigation intensive, va devoir faire face.



La question écrite n° 10155 de M. Alain Fouché (Vienne - UMP), publiée dans le JO Sénat du 23/01/2014 - page 205 (Rappelle la question 08541) :

« M. Alain Fouché rappelle à M. le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie les termes de sa question n°08541 posée le 10/10/2013 sous le titre : " Réserves d’eau ", qui n’a pas obtenu de réponse à ce jour. »

La réponse du Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, publiée dans le JO Sénat du 03/04/2014 - page 874 :

« À la suite de la sécheresse exceptionnelle de 2011, un plan national d’adaptation de la gestion de l’eau avait été rendu public en novembre 2011. Il prévoyait des modifications réglementaires visant à faciliter la mise en place de projets de retenues."

Traduction : Nicolas Sarkozy et Bruno Lemaire, se contrefichant de la sécheresse comme de l’an 40, et après avoir acté que « l’environnement çà commence à bien faire », accordaient à l’orée de la campagne présidentielle un cadeau de poids à leur clientèle traditionnelle, répondant ainsi à une exigence de la FNSEA.

« Mais, puisque rédigées dans l’urgence, elles n’avaient pu bénéficier d’une concertation suffisante. Elles avaient soulevé des positions défavorables de plusieurs acteurs et suscité de nombreuses réactions lors des discussions au sein du comité national de l’eau, instance consultative compétente dans le domaine de l’eau. »

Traduction : Delphine Batho ayant été nommée ministre de l’Ecologie prenait courageusement position, et décidait à l’été 2012 d’un moratoire sur les mesures scélérates de Sarkozy et Lemaire.

« Un travail de réflexion a été confié en novembre 2012 à M. Philippe Martin, alors député du Gers. »

Traduction : Afin de préparer le débarquement de Delphine Batho et de répondre aux attentes pressantes du ministère de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, harcelé par Xavier Beulin, le soi disant « travail de réflexion » confié à Philippe Martin s’est traduit par une mission commando confiée à quatre haut fonctionnaires du CGDD, tout acquis à la FNSEA, qui ont rédigé le « Rapport Martin » de A à Z.

« Les conclusions de ce rapport ont été intégrées dans le processus d’évaluation de la politique de l’eau qui a trouvé son aboutissement lors de la conférence environnementale qui s’est déroulée les 20 et 21 septembre 2013. »

Traduction : Le pseudo « Rapport Martin » a été publié à la vitesse de l’éclair, avant l’adoption d’un Avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE), qui dénonçait fort justement le scandale du financement public de l’irrigation à outrance. L’ouverture en grand des vannes de l’irrigation a ensuite été d’autant plus aisée que, dès l’éviction de Delphine Batho, c’est le ministère de l’Agriculture qui a directement piloté tous les départements de la politique environnementale, officiellement rattachés au ministère de l’Ecologie. Ainsi le memorandum de 6 pages du contenu des débats de la Table ronde sur l’eau, co-présidée par Stéphane Le Foll et Pascal Canfin, qui devait se tenir lors de la 2ème Conférence environnementale des 20 et 21 septembre 2013, a directement été rédigé par les services du ministère de l’Agriculture, dès la mi-juin 2013.

« À la suite de la conférence environnementale, le moratoire sur le financement des retenues de substitution par les agences de l’eau a été levé à condition que les projets de retenues soient inscrits dans un projet de territoire permettant de conjuguer sécurisation à court terme et gestion à long terme de la ressource en eau. »

Traduction : Le « projet de territoire » incarne la substance du message subliminal adressé aux élus des territoires ruraux. En se revendiquant de cette appellation passe-partout, les dits élus allaient pouvoir rassurer les fous furieux de la FNSEA sur le mode « Je vous ai compris ». Insondable stupidité de faire pareils cadeaux, au demeurant scandaleux au regard de l’environnement et des finances publiques, à une clientèle traditionnelle de la droite !

« La définition précise du contenu et des critères des projets de territoire a été approuvée par le Comité national de l’eau (CNE), lors de sa séance du 18 décembre 2013. »

Traduction : Organe central de tous les lobbies, le Comité national de l’eau est présidé par le député (PS) du Lot Jean Launay, qui compte au nombre des grands féodaux PS du Sud Ouest, de tout temps acquis aux maïsiculteurs, chasseurs et autres amis du genre humain. Ledit Jean Launay, pas gêné, préside également depuis 2012 le Cercle Français de l’Eau, l’officine de lobbying créée par Veolia et Suez, qui tient en laisse depuis trente ans députés et sénateurs. La séance du CNE du 18 décembre 2013 s’est traduite par un recours en annulation déposé le 17 février 2014 par Jean-Luc Touly auprès du Tribunal administratif de Paris, recours qui met à jour les trafics d’influence qui s’exercent au CNE, et par le départ de la CLCV, scandalisée par des pratiques de république bananière (non respect du quorum et du règlement intérieur du CNE, création de groupes de travail illégaux et fantoches, votes forcées à main levée de délibérations n’ayant été remises aux représentants du CNE qu’en cours de séance, etc.)

« De tels projets de territoire doivent permettre, notamment dans le cadre du changement climatique, d’améliorer la connaissance de la ressource, de promouvoir les économies d’eau et d’améliorer la qualité des milieux aquatiques tout en sécurisant l’approvisionnement. Ils doivent bien évidemment être compatibles avec les différentes réglementations, notamment celles relatives à la protection des milieux aquatiques, des sites et espèces protégés. »

Traduction : Des dizaines de millions d’euros d’argent public, provenant des « redevances » qu’acquittent aux Agences de l’eau, qui les prélèvent sur leur facture, les 64 millions de Français usagers domestiques du service public d’eau potable, vont être dilapidés au bénéfice de la construction de « bassines » qui stockeront l’eau en hiver, afin qu’elle puisse ensuite être massivement gaspillée durant l’été pour arroser des centaines de milliers d’hectares de maïs. Dans le même temps, les particuliers se verront interdire par les Préfets de la région Poitou Charente d’arroser leur jardin ou de laver leur voiture.

On notera la diligence avec laquelle le ministère a répondu au sénateur de la Vienne avant le débarquement de Philippe Martin et l’arrivée de Ségolène Royal... On attend avec impatience de voir comment les mêmes vont tenter de peindre la filouterie aux couleurs de « l’Ordre juste ", qu’il devient urgent de rétablir au vu des dérapages réitérés des représentants de la profession agricole enregistrés dans la période.

A quoi il faut ajouter l’invraisemblable proposition de loi déposée par 50 députés de droite le 1er avril, et ce n’est pas une blague, qui prévoit notamment que les exploitants agricoles soient prévenus un mois à l’avance de tout contrôle à caractère environnemental !

Marc Laimé - eauxglacees.com