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Politique de l’eau : la guerre des Tribunes

20 septembre 2013

par Marc Laimé - eauxglacees.com

L’affrontement était programmé, inévitable. Plusieurs tribunes publiées dans la presse témoignent de l’acuité de la crise de l’eau, de la crise du modèle français de gestion de l’eau, qui est en débat à la Conférence environnementale. Un débat qui s’envenime à gauche. Les tenants d’un système qui a failli stigmatisent les rénovateurs. La droite, bien sur, ne dit mot. Etrange climat.



Nous ne sommes plus au palais d’Iéna, mais à Moscou, devant la Maison Blanche, en 1990…

Le quotidien Le Monde, après avoir consacré à la Conférence environnementale, à la veille de son ouverture, un dossier titré « La France veut-elle d’un capitalisme vert ? », qui convoquait pour y évoquer la question écologique le président du Medef, les P-DG de Schneider et de Saint-Gobain et l’économiste libéral (en est-il d’autres ?) Philippe Chalmin, avant que de consacrer deux pages de publi-reportage à une ode à "l’économie circulaire" vue, notamment, par Suez environnement (actionnaire minoritaire du "Monde entreprises"), Le Monde d’après Kempf met en scène l’affrontement, à gauche, sur la question de l’eau.

Dans une Tribune titrée « Il est urgent que l’état réconcilie la politique de l’eau et la politique agricole », et publiée dans l’édition papier du quotidien, (ce qui a déjà rendu fous furieux aujourd’hui Jean Launay et Michel Rocard dont nous parlons plus loin), Anne le Strat, présidente d’Eau de Paris, met fort justement en cause un modèle d’agriculture productiviste dévastateur, et appelle dès lors, faussement naïve, le gouvernement à infléchir une politique certes calamiteuse, mais dont chacun sait parfaitement, Soeur Anne, qu’elle va se poursuivre ne varietur...

Hillion, septembre 2009

Hillion, septembre 2009

Le Monde, toujours, qui a finalement refusé hier après moult palinodies (avant de se raviser au lendemain de la Conférence environnementale - correction du 24 septembre) la Tribune signée par 65 parlementaires de gauche, qui appellent à une ambitieuse réforme de la politique de l’eau, à l’initiative du député des Côtes d’Armor, Michel Lesage, publie dans son édition en ligne Le Monde.fr, une autre Tribune signée de M. Jean Launay, député (PS) du Lot, président du Comité national de l’eau comme du Cercle français de l’eau, l’officine subventionnée par Veolia et Suez pour amadouer les parlementaires, et co-signée par M. Michel Rocard, ancien Premier ministre socialiste, et, surtout, légendaire « sauveur » des Agences de l’eau, à l’heure où les Agences, leur financement, et surtout les petits arrangements entre amis de leurs Comités de bassin seraient menacés par une horde de bolcheviks irresponsables, au premier rang desquels le Conseil des prélèvements obligatoires de la Cour des Comptes qui, après tant d’autres respectables institutions, a justement dénoncé l’accablante faillite du modèle français de gestion de l’eau.

Didier Migaud en Андрей Януарьевич Вышинский (Andreï Ianouarievitch Vychinski) faut oser !

Les procès de Moscou

Les procès de Moscou

Il est vrai qu’ils osent tout. Et c’est bien à cela que nous les reconnaissons.

Cette Tribune "prêtée" à Jean Launay et Michel Rocard (car nous savons trop bien qui leur a tenu la plume), intitulée « Gestion de l’eau en France, ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain », étrange précipité d’intimidation et de sournois recours à la grande peur des possédants, évoque irrésistiblement l’appel à la grande manifestation (de la réaction)… du 30 mai 1968 aux Champs Elysées.

Il faut donc la lire absolument.

Tant elle nous dit crûment pourquoi ce système est mort, et que nous devons en changer.

Un conflit d’intérêt majeur au Comité National de l’Eau

Ceci d’autant plus que, deux jours plus tôt, dès le 17 septembre, le même Jean Launay, cette fois es qualité de Président du « Cercle français de l’eau », l’officine financée par Veolia et Suez pour influencer les parlementaires, adressait déjà à des centaines d’élus un texte hallucinant qui attaquait très violemment, et la Cour des comptes, et le Rapport, mais surtout la Tribune rendue publique par le député Michel Lesage, et cosignée par 65 parlementaires socialistes, écologistes et communistes qui, revendiquant une ambitieuse réforme de la politique de l’eau, appelaient notamment à la création d’une Autorité nationale de régulation du domaine de l’eau.

La lettre de Jean Launay diffusée par le Cercle Français de l’Eau à des centaines d’élus le 17 septembre 2013

Comment ne pas souscrire à la démarche de ces 65 parlementaires, quand on voit le même Jean Launay, qui y a été coopté à cet effet, présider le Comité national de l’eau (CNE), l’organe consultatif sous tutelle directe du ministère de l’Ecologie, auquel sont soumis tous les textes de loi qui intéressent le secteur de l’eau, se faire dans le même temps le messager diligent du lobbying outrancier de Veolia et Suez, en qualité cette fois de président du "Cercle français de l’eau" ?

Pareil conflit d’intérêt à ciel ouvert est sans précédent, et entache dès lors toutes les décisions pouvant être arrêtées par le Comité national de l’eau.

Le gouvernement serait bien avisé de s’en préoccuper, puisque cette situation scandaleuse appellera nécessairement à une saisine de la justice afin qu’y soit mis un terme.

On retiendra de cette séquence qu’il est insupportable pour l’oligarchie de l’eau que 65 parlementaires de gauche aient publiquement manifesté qu’ils n’entendaient pas être à la botte des différents groupements d’intérêts qui exercent déjà leur emprise sur une technostructure administrative aux ordres.

Tout comme il faut lire, dans la même séquence du Monde.fr, cette autre Tribune que deux "urgentistes" consacrent à la question de l’eau, et des Roms, à Marseille. Dévastatrice pour les zélateurs intéressés du "Droit à l’eau", cet épouvantail brandi par ceux qui en font rente pour mieux la perpétuer, dans un fumet d’obligatoire dévotion et les grands messes qui en célèbrent l’assomption, la prochaine en date à l’initiative de France Libertés, dont feue la présidente doit se retourner dans sa tombe.

Enfin, ne pas oublier non plus l’incontournable P-DG de Suez environnement, qui conseille à François Hollande de "favoriser l’actionnariat français" des grandes entreprises françaises (suivez mon regard), dans un entretien pro-domo "accordé" à l’Opinion, le quotidien libéral de M. Beytout, qui titre, là aussi on ose tout : "La transition énergétique ne doit pas être une révolution"...

De ce côté là, nulle inquiétude. La présente séquence étant un exemple chimiquement pur de la contre révolution.

Lire aussi :

- Réduction des pollutions agricoles, ANC et taxe pluviale se sont invitées à la Conférence environnementale.

Arnaud Garrigues, La Gazette des communes, 23 septembre 2013.

Marc Laimé - eauxglacees.com