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Scandale à Toulouse : le contrat irrégulier de Veolia, attaqué par des usagers, validé par un amendement rétroactif de la Loi sur l’eau !

6 juillet 2007

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Quelques minutes avant le vote définitif de la loi sur l’eau à l’Assemblée nationale dans la nuit du 13 décembre 2006, un ultime amendement présenté par le rapporteur de la LEMA, M. André Flajolet, député UMP du Pas-de-Calais, défendu par un député UMP toulousain, M. Jean Diebold, fortement approuvé pour le gouvernement par Mme Nelly Olin, alors ministre UMP de l’écologie et du développement durable, a « régularisé » rétrospectivement les irrégularités, avérées, entâchant la signature du contrat passé en 1990 entre la ville de Toulouse et la Générale des eaux...



Cet amendement « Toulouse » avait un seul objectif : entraver l’action engagée par plusieurs associations d’usagers contre la collectivité en 2003, et qui devait être examinée par le Tribunal administratif de la ville rose en juin 2007.

L’affaire était passée inaperçue jusqu’à l’audience du 20 juin 2007 lors de laquelle le Tribunal administratif de Toulouse examinait la requête en annulation du contrat déposée en 2003 par plusieurs associations d’usagers toulousains.

Ce n’est qu’à l’issue de l’audience, quand les usagers, s’ils se vont vus accorder partiellement satisfaction sur le prix de l’eau, ont appris que l’article 101-7 de la LEMA avait été invoqué pour rejeter l’essentiel des observations qu’ils avaient déposé, et qui auraient du entraîner l’annulation pure et simple dudit contrat, que le pot aux roses a été découvert.

Dans le mémoire qu’ils avaient déposé à l’appui de leurs requêtes (voir le mémoire en fin d’article), les usagers établissaient en effet très clairement que la collectivité n’avait pas respecté les différentes formalités qui doivent accompagner la signature d’un contrat dans le cadre de la passation d’une délégation de service public.

L’affaire semblait entendue.

Le tribunal administratif aurait du annuler purement et simplement le contrat, ce qui aurait entraîné en cascade des conséquences cataclysmiques pour la ville et Veolia

On comprend dès lors sans peine les fondements des « petits arrangements entre amis » qui ont donné lieu à l’adoption en catimini, en séance nocturne à l’Assemblée nationale, le 13 décembre 2006, quelques minutes à peine avant le vote solennel et l’adoption définitive du projet de loi, d’un amendement aussi inouï que scélérat puisqu’il régularise rétrospectivement, avec l’assentiment de la représentation nationale, les irrégularités manifestes entachant les conditions dans lesquelles avait été signé en 1990 le fameux contrat toulousain, objet du litige…

Cet amendement, comme en témoigne le compte-rendu intégral de la séance, est le tout dernier amendement qui ait été examiné, et adopté en catimini, avant le vote de la LEMA…

Sous réserve de recherches approfondies l’affaire semble sans précédent.

Surtout au vu de la qualité des protagonistes de l’affaire, de l’un des protagonistes surtout, le député UMP Jean Diebold, élu toulousain, étroitement associé depuis le début des années 90 à la gestion de la ville, aux côtés de M. Dominique Baudis, puis de M. Douste-Blazy. (Ironie de l’histoire, M. Diebold a perdu son siège de député le mois dernier...).

Nombre d’observateurs de la vie toulousaine considèrent que dans cette période Toulouse a mué en « Vivendiville », à raison des innombrables marchés qu’y a remporté l’entreprise qui y incarnait alors la Générale des eaux…

M. Jean Diebold y a gagné un surnom : le général…

La nuit du 13 décembre

L’examen des ultimes articles de la LEMA s’achève, en deuxième lecture, à l’Assemblée nationale dans la nuit du mercredi 13 décembre 2006.

Présidée par M. Yves Bur, Vice-président UMP, la troisième séance de ce mercredi reprend à vingt et une heures trente.

L’assemblée examine puis adopte en quelques minutes cinq amendements à l’article 49 de la LEMA.

Avant d’être saisie de notre amendement scélérat :

(…)

M. le président.

Je suis saisi d’un amendement n° 264.
La parole est à M. le rapporteur, pour le soutenir.

M. André Flajolet, rapporteur.

Cet amendement, que je présente avec Jean Diébold, propose une validation législative des contrats anciens de délégation de service public d’eau et d’assainissement susceptibles d’être annulés par une irrégularité mineure. Il s’agit de mettre fin à une situation d’insécurité juridique, préjudiciable à la fois aux communes, aux gestionnaires et aux usagers concernés. Certaines collectivités ayant transmis le contrat au sous-préfet et l’ayant appliqué immédiatement, sans attendre la délibération autorisant sa signature, divers problèmes se sont posés. C’est bien la collectivité qui est pleinement responsable de ses décisions. Je demande donc simplement que le délai nécessaire à la réponse de la sous-préfecture ne pénalise pas les décisions d’une collectivité territoriale.

M. le président.

Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme la ministre de l’écologie et du développement durable.

Le Gouvernement est très favorable à cet amendement.

M. le président.

Je mets aux voix l’amendement n° 264.

(L’amendement est adopté.)

M. le président.

Je mets aux voix l’article 49, modifié par les amendements adoptés.

(L’article 49, ainsi modifié, est adopté.)

(Note Eaux glacées : cet amendement n° 264 à l’article 49 de la LEMA examiné en deuxième lecture à l’Assemblée s’est transformé en l’article 101-7 du texte définitif de la LEMA, comportant 102 articles, publié au JO le 30 décembre 2006).

VOTE SUR L’ENSEMBLE

M. le président.

Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi.

(L’ensemble du projet de loi est adopté.)

la parole est à M. le rapporteur. »

(Dans ce contexte certaines des envolées lyriques dont la représentation nationale est coutumière en la circonstance méritent d’être appréciées à leur juste valeur) :

« M. André Flajolet, rapporteur.

(…)

Le travail sur ce texte a été difficile, mais passionnant parce que j’ai voulu intégrer la diversité de tous les contre-pouvoirs qui existent en France dans les principes d’une nouvelle gouvernance.

(…)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre.

Mme la ministre de l’écologie et du développement durable.

(…)

Ce soir, je suis un ministre heureux parce que cette loi était attendue depuis longtemps. Je ne prétends pas qu’elle soit parfaite. En tout cas, elle permettra de mettre en place le neuvième programme et la solidarité rurale, c’est le plus important. J’avais vraiment à cœur de finaliser cette loi, et cela a été possible grâce à votre aide à tous et à la sérénité du débat. Quand les choses se passent ainsi, les politiques ne peuvent qu’être heureux, et la démocratie en sort grandie. C’est souvent à cause de nos interpellations vives et passionnées que les gens se désintéressent de la politique. En tout cas, si le public avait été plus nombreux ce soir dans les tribunes, je pense qu’il aurait compris ce qu’est la vraie politique.

(Applaudissements sur tous les bancs.)

(…)

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures cinquante-cinq.) »

Le mémoire des usagers qui devait entraîner l’annulation du contrat

Et demain ? Selon la loi du 5 mars 1803, reprise par le Code Civil : " La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif".

L’article 101-7 de la LEMA prétend s’appliquer aux contrats passés avant 1996, et a donc un effet exclusivement rétroactif.

Elle va donc s’appliquer par ailleurs à la grande masse des contrats de délégation de service public signés précipitamment, ou prorogés par voie d’avenant pour les contrats pré-existants, juste avant le 29 janvier 1993 (et pour certains un peu après), pour anticiper et donc échapper aux dispositions de la loi Sapin.

Il est patent qu’un grand nombre de ces contrats, plusieurs centaines, présentent des irrégularités, désormais « effacées » par la LEMA.

Le juge administratif ne peut qu’appliquer la LEMA.

Mais la contestation de l’article 101-7 ne devrait pas manquer d’être portée devant les juridictions administratives dans les mois et les années qui viennent.

Marc Laimé - eauxglacees.com