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Eau du robinet : alerte au plomb pour 100 000 nourrissons

4 septembre 2012

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Depuis une vingtaine d’années les collectivités locales françaises ont dépensé plus de 5 milliards d’euros pour changer les canalisations en plomb du réseau public de distribution d’eau potable. Ces travaux colossaux, qui ont renchéri la facture d’eau, et procuré des bénéfices considérables aux filiales de Veolia, Suez et Saur qui effectuaient les travaux, trouvaient leur source dans une directive européenne, contestée et contestable, puisqu’aucun cas de saturnisme provoqué par le plomb de l’eau du robinet n’a été constaté en France dans la même période… L’effet d’aubaine dont ont profité les trois majors de l’eau est d’autant plus scandaleux que, dans le même temps, les conduites intérieures des immeubles, en plomb elles aussi, et le plus souvent dans un état calamiteux facilitant le relargage des ions plomb dans l’eau, n’ont pas été changées… Résultat, une récente étude réalisée conjointement par l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP) et le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) alerte les pouvoirs publics sur l’exposition au plomb, via l’eau du robinet, de plus de 100 000 nourrissons.



Un sujet rêvé pour la table ronde « Environnement et santé » de la prochaine Conférence environnementale.

Qu’on se rassure, il n’y sera bien évidemment nullement évoqué, ni par une quelconque ONG, ni bien évidemment par les ministères de l’Ecologie ou du Logement, les syndicats, le Medef, ou un quelconque élu ☺

Toutes et tous fort occupé(e)s, il est vrai à élaborer les feuilles de route de l’élaboration des indicateurs de performance des toilettes sèches sur le développement des facturations incitatives des déchets en lien avec la croissance des trames vertes et bleues et l’avènement de l’économie verte décarbonée, sous l’égide de KPMG et d’Ernst and Young et autres amis de l’humanité souffrante (et dans le respect de la feuille de route d’une présidence normale)...

Il est pourtant désormais avéré qu’environ 105 000 habitations sur les 3,6 millions abritant un enfant de six mois à six ans présentent une concentration de plomb dans l’eau du robinet supérieure à 10 μg/l, valeur limite réglementaire à compter du 1er janvier 2013, comme l’a établi la première étude menée sur l’exposition des enfants au plomb et autres métaux toxiques dans l’habitat menée conjointement par le CSTB et l’Ecole des hautes études en santé publique.

Financée par les ministères en charge de la santé, du logement et de l’écologie, cette étude a été menée dans le cadre du projet « Plomb-Habitat », porté par le CSTB et l’EHESP, en partenariat avec l’Institut de veille sanitaire, le laboratoire de toxicologie de l’hôpital Lariboisière (AP-HP) et l’Institut Supérieur d’Agriculture de Lille. Les chercheurs de l’EHESP ont mené leurs travaux au sein de l’IRSET, unité mixte de recherche spécialisée dans la recherche sur les interactions entre la santé humaine et les facteurs environnementaux.

Le problème

L’exposition des enfants au plomb entraîne des effets néfastes sur leur santé, et en particulier sur leur développement. Ces effets peuvent apparaître en deçà de la concentration en plomb dans le sang de 100 μg par litre, définition du saturnisme. La réduction des expositions environnementales au plomb constitue donc un objectif de santé publique de premier plan.

L’étude du CSTB et de l’EHESP, réalisée au sein de 484 foyers, dresse un état des lieux de la contamination à laquelle sont exposés les enfants de six mois à six ans. Les résultats sont extrapolables à l’ensemble du parc de logements français.

Cette étude inédite a permis la mesure de plomb dans l’eau du robinet, dans les peintures ainsi que dans les poussières déposées au sol. Les prélèvements sur les espaces extérieurs à l’habitat, aires de jeux ou parties communes des immeubles le cas échéant, ont complété les investigations.
Les résultats sont présentés par extrapolation des 484 habitations investiguées aux 3,6 millions d’habitations abritant au moins un enfant de six mois à six ans en France et comparés aux valeurs réglementaires ou aux valeurs guides disponibles en France ou dans d’autres pays.

Alerte sur l’eau du robinet

Environ 105 000 (moins de 3%) de ces 3,6 millions d’habitations présentent une concentration de plomb dans l’eau du robinet supérieure à 10 μg/L, valeur limite maximale fixée par la commission européenne à compter du 1er janvier 2013 (contre 25 μg/L à ce jour).

Concernant les poussières déposées au sol, dans 7 500 habitations et 45 000 parties communes, leur concentration en plomb est supérieure aux recommandations fédérales américaines (40μg/ft² soit environ 430 μg/m²). Cette contamination est liée notamment à la présence de peintures au plomb ; 878 000 logements (près d’un quart) en contiennent, dont près de 170 000 (4,7 %) dans un état dégradé pouvant exposer les enfants. Alors que la date de 1949 est considérée comme marquant l’interdiction des peintures au plomb en France, l’étude montre qu’en réalité ce n’est qu’après 1974 que la présence de peinture au plomb diminue.

En extérieur, 37 000 espaces de plein air présentent une teneur en plomb supérieure au seuil actuellement en vigueur aux Etats-Unis pour la terre (400 mg/kg). La quantité de poussière de plomb recueillie en extérieur atteint un niveau environ 3,2 fois supérieur au plus haut niveau de poussière intérieure prélevée.

Au-delà de ces constats, et comme le plomb agit sans seuil de toxicité, les données sur les enfants exposés en deçà de ces seuils pourront également servir aux pouvoirs publics pour piloter la poursuite des actions de prévention des expositions au plomb.

Arsenic, cadmium et chrome...

Parallèlement à cette étude sur le plomb, l’EHESP et le CSTB se sont également intéressés à l’exposition des jeunes enfants via l’eau, les sols et les poussières à d’autres éléments, tels l’arsenic, le cadmium ou le chrome. Les résultats de contamination des poussières intérieures et des sols extérieurs, uniques en France à ce jour, sont désormais disponibles. Ils montrent des concentrations comparables à celles obtenues dans d’autres pays. Des différences entre zones rurales et zones urbaines, variables selon les métaux, sont également observées.

Grâce à une méthode de mesure développée pour cette recherche, la fraction soluble dans l’estomac, et donc assimilable par l’organisme, a également été mesurée. Ces résultats permettront de prendre en compte l’ingestion de sols et poussières dans les évaluations nationales des risques sanitaires liés aux métaux.

Les travaux de recherche se poursuivent, sur les facteurs explicatifs des surexpositions au sein du logement, les outils de repérage des logements et des enfants à risque.

- Les résultats de l’étude ont été publiés dans le n° 116 de la revue Environnemental research

Marc Laimé - eauxglacees.com