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Enquête sur un projet d’aménagement de barrage, par Monique et Michel Sanciaud

25 juin 2012

par Marc Laimé - eauxglacees.com

On n’en parle pas, on ne les voit pas, on ne les entend pas, et pourtant ils ne désarment pas. Patients, obstinés, on les dit « chicaniers » pour tenter de dévaloriser leur engagement pour l’environnement. Sans eux, qui siègent dans une myriade de comités ou d’observatoires et tentent d’y faire entendre la voix de la raison, et des générations futures, ce serait béton, pesticides, OGM, barrages, TGV, sans réserve. Leur opiniâtreté va être mise à rude épreuve dans la période qui s’ouvre. Raison de plus pour s’en inspirer, comme avec cette brève relation d’une visite sur site et de la consultation d’une enquête publique, autour d’un projet d’extension d’un barrage dans le Sud-Ouest, uniquement dédié à l’irrigation du maîs, et qui sera financé par la facture d’eau des usagers domestiques.



« Jeudi 31 mai 2012 à 10 heures, Monique et moi retrouvons Marie Depeyre, habitante de Sère-Rustaing qui, sur recommandation de Claude Martin, nous a contactés et sollicité pour découvrir le dossier.

Visite sur le site. Il s’agit d’un petit barrage avec digue en terre de 150 mètres de long et de 16 mètres de hauteur, stockant deux millions de m3.

Il est alimenté par le ruisseau du Bouès, lui-même fortement dopé par les eaux du canal de la Neste. Présence de foulques et divers autres oiseaux. Brusque décollage d’une panure à moustache, oiseau rare nous semble-t-il…

En mairie, nous découvrons un dossier volumineux. Les documents sont datés de 2008 à début 2012. La Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne (CACG) et la société F2C ont travaillé dans la discrétion, prouvant ainsi leur volonté de transparence.

Il reste environ un mois pour étudier et analyser les documents et se prononcer, l’enquête finissant le 19 juin et les travaux devant commencer à la mi-juillet. A l’évidence si nous, citoyens, n’avons rien à dire, tout ira bien.

Voici quelques éléments relevés, même à deux, en deux heures et demie, on ne peut pas tout repérer :

- Finalité avouée du projet : « destiné au renforcement de la ressource en eau du Système Neste et plus particulièrement du bassin du Bouès, contribuant ainsi avec les réservoirs d’Antin, de Tillac et de Cassagnou, à y compenser les prélèvements et à assurer l’objectif de débit aval au point de contrôle de Beaumarchès (32) ».

La remarque suivante relativise grandement : "Toutefois le bassin du Bouès reste à ce jour saturé vis-à-vis des prélèvements en eau et fragile quant au respect de l’objectif de débit en aval. La gestion des eaux de l’axe Bouès est tendue (Constat depuis 2005) ».

Autrement dit le barrage de Sère Rustaing est vide en été, à ce que nous ont dit les habitants rencontrés. Va-t-on changer la situation en augmentant de 25% la contenance, soit en passant de 2 millions de m3 à 2,5 millions de m3 ? Remarque qui nous conduit au point suivant.

- Pertinence du projet : la rehausse de la digue de 16 mètres à 17,20 mètres va donc permettre de stocker 500 000 m3 supplémentaires. Mais qu’en restera-t-il après 50 kilomètres d’irrigation ? Car cela ne changera pas significativement les volumes attribués à chaque maïsiculteur. Et combien cela coûtera-t-il ? Un million huit cent cinquante mille euros, dont 80% d’argent public, pour satisfaire des intérêts privés.

- Pour rire un peu : l’ouvrage actuel est protégé pour une crue « millénale ». L’ouvrage futur assurera, on nous le promet, une protection « cinqmillénale ». Dans cinq mille ans, la région sera peut-être un désert. De qui se moque-t-on ?

En conclusion, on peut se demander si ce projet correspond à un besoin réel ou s’il s’agit de donner du travail aux bureaux d’étude de la CACG en vue de faire des travaux…

- Aspect écologique et environnemental : Le lac, qui date de 1990, a permis à un certain nombre d’espèces rares ou peu courantes de s’y établir. Mais les travaux à envisager vont entraîner la disparition de plusieurs de ces espèces.

Les emplacements des frayères à truite et à lamproie de Planer vont être tellement affectées par les travaux que l’étude annexée prévoit leur inéluctable disparition. La couleuvre verte et jaune, la couleuvre vipérine, la couleuvre à collier, les larves de salamandre, les tritons palmés et les crapauds accoucheurs qui s’étaient installés ne vont pas résister aux quatre jours d’effarouchement et de « ratissage » qui précéderont l’extraction des millions de tonnes de terre qui seront prises sur les bords du plan d’eau pour accroître la digue.

Ne parlons pas de l’agrion de Mercure, sauterelle bleue, très rare en France mais, paraît-il « commune » dans le 65 (pour notre part nous n’en avons jamais vu), dont l’étude prévoit que la destruction des fosses qui sont leur milieu de vie entraînera la destruction des œufs et des larves. On notera même les recommandations faites aux conducteurs de pelleteuses : « les risques de destruction des adultes seront limités si les travaux ne sont pas faits tôt le matin ni par temps pluvieux car les adultes ont plus de facilité à s’envoler à la mi-journée et par temps ensoleillé ». On ne doute pas un instant de la sollicitude des conducteurs d’engins à l’égard des Agrions de Mercure…

Enfin pour ce qui est de la plante, très rare en Midi-Pyrénées, qui représente un « enjeu fort », la Pulicaire vulgaire, pas si vulgaire que ça, elle ne résistera pas à l’inondation de son biotope.

Si nous ajoutons la destruction des zones humides représentant environ la moitié des 3,75 hectares appelés à être noyés, le désastre écologique est complet. Si on prend en compte que ce projet est déclaré conforme au SDAGE, voté en 2010 et que le Programme de mesures (PDM) du SDAGE prévoit la protection des zones humides et provisionne des sommes importantes pour réaliser ces prestations, où est l’erreur ?

- Le financement : Coût estimé, base 2012, 1,85 millions d’euros H.T. Il est difficile d’apprécier chaque poste faute d’infos et d’éléments comparatifs.

On peut remarquer toutefois que le foncier n’est estimé qu’à 2 euros le m2 pour les dédommagements des agriculteurs, qui, pour au moins un d’entre eux, devraient perdre jusqu’à un tiers de la superficie de leur exploitation.

Le financement prévisionnel manque d’originalité :

 part à la charge de la CACG : 20%

 Agence Adour-Garonne : 50%

 Etat/Région/ et/ou Europe : 30%

Vous constatez donc que 80% proviennent de vos impôts ou redevances. En effet l’Agence Adour Garonne comprend 26 départements. Elle va jusqu’en Charente. Ses ressources sont constituées à 80% par la redevance que nous payons sur nos factures d’eau potable. Donc ce sont les usagers de l’eau potable, qui, pour 99% d’entre eux n’irrigueront jamais et ne se nourrissent pas de maïs, qui vont financer ces travaux destinés à l’usage exclusif des maïsiculteurs, au mépris de l’écosystème. Et par contre la CACG, qui aura investi fort peu, vendra l’eau et encaissera les bénéfices.
Quelle justice est-ce là ? »

Marc Laimé - eauxglacees.com