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L’accès à l’eau selon l’ONU : des chiffres très éloignés de la réalité, par Solidarités International

9 mars 2012

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Lumineuse communication. Les militants de l’Eau bien commun dénient au Forum mondial de l’eau toute légitimité et plaident pour la création d’une autorité onusienne de l’eau. L’Unicef et l’OMS viennent de rendre publiques des estimations très rassurantes sur les progrès accomplis en matière d’accès à l’eau et à l’assainissement, assurant que les OMD "Eau" sont en passe d’être atteints. Solidarités international, ONG française qui participe au "Forum marchand", et dont la qualité première n’est pas la détestation farouche des grandes entreprises françaises du secteur, riposte en citant M. Gérard Payen, hiérarque de Suez, pour contredire les agences onusiennes... Cette fois le Forum est bel et bien lancé...



"L’association Solidarités international est très loin de partager le satisfecit de l’UNICEF et de l’OMS. Dans un communiqué commun diffusé le 6 mars, les deux agences onusiennes se félicitent d’avoir atteint, et même dépassé, la ‘’cible des Objectifs du Millénaires pour le Développement (OMD) relative à l’eau’’. Selon elles, 89 % de la planète a aujourd’hui accès à l’eau potable. Même si d’énormes progrès ont été observés en la matière, cette annonce faite à la veille du 6e Forum Mondial de l’Eau à Marseille, reste très éloignée d’une réalité qui concerne des milliards de personnes, privées d’accès durable à l’eau potable et à l’assainissement.

D’après le rapport Progrès en matière d’eau potable et d’assainissement 2012 publié par l’OMS et l’UNICEF, 89 % de la population mondiale, soit 6,1 milliards de personnes, a accès à des sources améliorées d’eau potable.

Une bien belle annonce à la veille du 6e Forum Mondial de l’Eau, dont on pourrait se réjouir si la réalité n’était pas toute autre. Comme l’indique justement le présent rapport : ‘’Nombre de ces sources ne sont pas entretenues correctement et ne fournissent pas une eau potable et saine. Conséquence, le nombre d’êtres humains qui boivent une eau sûre est probablement surestimé.’’

‘’Les experts de l’OMS et de l’UNICEF le savent, explique Grégory Bulit, référent Eau, hygiène & assainissement de l’ONG, une source d’eau améliorée, protégée de toute contamination - en particulier de matières fécales - lors de sa construction, ne signifie pas qu’elle le reste. Se pose ainsi la question de la réelle qualité de l’eau, mais aussi celle de son stockage, source là aussi de contamination, celle de l’accès à cette eau, en termes de prix et de distance, sans parler des méthodes de collecte des données utilisées pour dresser un tel état des lieux de l’accès à l’eau potable.’’

Autant d’éléments qui amènent l’ONG, dont les équipes humanitaires sont reconnues pour leur expertise et leur savoir-faire dans le domaine de l’accès à l’eau, à l’hygiène et à l’assainissement, à largement relativiser ces chiffres trop beaux pour être vrais.

‘’Le problème de l’eau potable ne concerne pas des millions de personnes,
mais des milliards’’ (Gérard Payen, conseiller pour l’eau & l’assainissement
du secrétaire général des Nations Unies)

Illustration de ce décalage avec la réalité, l’Afghanistan ferait partie, selon le rapport, des pays où les objectifs ont été atteints. Pourtant, seule 27% de la population a accès à une source d’eau améliorée (source : AHDR 2011), soit la part la plus basse du monde.

D’après l’étude la plus récente*, effectuée par Gérard Payen, conseiller pour l’eau & l’assainissement du secrétaire général des Nations Unies : ‘’Le nombre de personnes qui ont besoin d’une eau véritablement potable, non malsaine, non insalubre, une eau qui n’est pas trop loin de leur domicile, qui leur permet de se rendre à l’école et d’aller travailler, une eau qui n’est pas trop chère… ne se compte pas en millions de personnes, mais en milliards.’’ Selon l’auteur, environ 1,9 milliards de personnes n’ont d’autre choix que de boire une eau dangereuse pour leur santé. Le nombre de celles qui boivent une eau de qualité douteuse dépasse les 3 milliards, soit près de la moitié de la planète.

‘’Dans un environnement insalubre, une eau potable ne le reste pas longtemps’’

Il est également impossible d’annoncer avoir atteint ses objectifs tout en reconnaissant dans le même temps ‘’le retard persistant dans le domaine de l’assainissement’’, pourtant étroitement lié. ‘’Dans un environnement insalubre, une eau potable ne le reste pas longtemps, insiste Jean-Marc Leblanc, expert lui aussi Eau, hygiène & assainissement de l’ONG.

Or aujourd’hui, 2,5 milliards de personnes ne disposent pas d’installations sanitaires et 1,1 milliards défèquent encore à l’air libre. (…) En zone urbaine, les personnes qui utilisent des puits boivent une eau souvent contaminée par les infiltrations d’eaux usées dans le sol, ajoute Gérard Payen.’’
Résultat, les maladies liées à l’eau non potable et à un environnement insalubre sont la première cause de mortalité au monde, avec 3,6 millions de victimes par an, soit 7 personnes qui meurent chaque minute.

‘’Mettre fin à ce fléau silencieux, c’est déjà commencer par revoir les chiffres de référence cités par les Nations Unies’’ (Alain Boinet à Ban Ki-moon)

‘’La qualité de l’action réalisée par l’UNICEF et l’OMS, en partenariat avec les acteurs humanitaires, dans le domaine de l’accès à l’eau potable et à l’assainissement dans le monde, est indéniable. Mais cette annonce, qui intervient à la veille du 6e Forum Mondial de l’Eau, est surprenante, déclare Alain Boinet, directeur fondateur de l’ONG. Les ONG, dont la nôtre, sont présentes au FME, précisément pour que les décideurs prennent la mesure de l’urgence de l’accès à l’eau potable et à l’assainissement, et des décisions en conséquence.’’

Plus de 100 000 personnes ont signé notre pétition en faveur de l’accès à l’eau et à l’assainissement pour tous. Une pétition qui porte des recommandations précises et fortes pour mettre fin à un fléau silencieux qui constitue la première cause de mortalité au monde. Nous comptons remettre cette pétition aux plus hautes autorités présentes à ce forum.

‘’Nous proposons à Ban Ki-moon, Secrétaire Général des Nations Unies, de revoir sérieusement les chiffres de référence cités par l’ONU et de centrer leur évaluation sur l’accès réel à l’eau potable. Parce qu’il s’agit d’une question de vie ou de mort pour des millions de personnes, il faut aussi faire de l’accès durable à l’eau potable, à l’hygiène et à l’assainissement, une priorité à part entière des OMD. Nous demandons également l’augmentation des fonds de l’aide publique au développement affectés à l’accès à l’eau potable et à l’assainissement, ainsi que l’accroissement des fonds dédiés aux crises humanitaires et à la transition vers la reconstruction puis le développement.

7 personnes meurent chaque minute de l’eau insalubre. Il n’y a plus une minute à perdre."

*Article de Gérard Payen disponible sur aquafed.org.

Marc Laimé - eauxglacees.com