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Assainissement non collectif (2) : les difficultés commencent

4 juin 2007

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Plus de 5 millions de particuliers vont devoir remettre aux normes leur installation d’assainissement individuelle, ce qui peut représenter une facture de près de 10 000 euros par foyer, partiellement prise en compte par les collectivités locales et les Agences de l’eau. Mais l’adoption de nouvelles dispositions réglementaires en matière d’assainissement non collectif, dans le cadre de la loi sur l’eau votée le 20 décembre 2006, a donné lieu à une telle foire d’empoigne que les usagers concernés s’élèvent de plus en plus contre les nouvelles normes qui leur sont imposées. Témoignage.



A l’origine cela partait d’un constat que nul ne saurait vraiment révoquer en doute.

Durant plus de trente ans les politiques publiques de l’assainissement ont été orientées vers le « tout tuyau ».

Il fallait raccorder le maximum d’usagers, quel qu’en soit le coût, au diable l’avarice ! On a donc raccordé des millions de particuliers, posé des dizaines de milliers de kilomètres de canalisations, construit des centaines de stations d’épuration…

Sauf que dans le même temps la France continuait à s’urbaniser.

Dans le courant des dix dernières années le « péri-urbain » explose. On voit naître à l’infini des lotissements qui gagnent de plus en plus sur les terres autrefois agricoles.

Le coût du raccordement au réseau collectif monte sans cesse, jusqu’à 10 000, 20 000, voire 30 000 euros, pour un usager éloigné du centre de l’agglomération de rattachement !

Dans le même temps, à partir des années 2000, sous l’effet des directives européennes, les normes en matière d’assainissement se sévérisent de plus en plus.

Tant et si bien, qu’en dépit des efforts accomplis, et des financements gigantesques consentis, on se rend compte que la France accuse un sérieux déficit en la matière.

Au point que nous avons déjà été condamnés pour le retard considérable que nous avons mis à nous mettre en conformité avec la Directive « Eaux résiduaires urbaines » (DERU), qui date… de 1991.

A ce titre 30% du budget des Agences de l’eau (14 milliards d’euros) pour la période 2007-2012, vont être prioritairement affectés à combler le retard accumulé sur cette seule Directive ERU…

Pour tenter d’éviter une nouvelle condamnation par les instances communautaires, avec amende et astreintes journalières astronomiques à la clé, à partir de 2004-2005, virage à 180°.

Comme on n’a plus les moyens de raccorder tout le monde, adieu le tout collectif, le « tout tuyau », bonjour l’assainissement individuel « nouveau », qui concerne aujourd’hui 5 300 000 installations privées…

Qu’il va falloir remettre aux normes dare-dare pour « lutter contre les pollutions diffuses ».

Bon, comme les puisards et fosses septiques ont très souvent été « bricolées » par l’artisan du coin, on ne discutera pas la nécessité de les remettre aux normes. Reste à voir comment.

Toutes les collectivités locales auraient du s’emparer de l’affaire depuis… la seconde loi sur l’eau de 1992, et créer un « SPANC », service public de l’assainissement non collectif.

A peine 30% l’avaient mis en place à la date butoir du 30 décembre 2005. Notamment parcequ’elles éprouvaient les plus grandes difficultés à créer un service (embaucher des personnels, se doter de moyens…), avant même d’en avoir le financement, par le biais des prestations que ledit SPANC pourrait ensuite effectuer auprès des usagers individuels concernés (diagnostic, contrôle, mise en conformité…).

Comme le marché concerné est gigantesque, les opérateurs privés ont bien évidemment procédé à un lobbying d’enfer, de 2004 à 2006, auprès des parlementaires qui examinaient le projet de loi sur l’eau qui sera voté le 20 décembre 2006.

Résultat, les nouvelles dispositions découlant de la LEMA en matière d’ANC ouvrent la voie à toutes les dérives.

Témoignage mai 2007

« Dans les Vosges Veolia cherche aussi à s’imposer depuis début 2007 dans mon village, dont l’eau est écologiquement classée de très bonne qualité, avec des eflluents qui ne semblaient pas poser de problèmes particuliers.

Sauf que notre maire n’a pas dû très bien suivre le dossier.

Du coup on nous annonce que Veolia commence une étude « à la hussarde » de la situation, et qu’il va nous falloir nous plier à ses exigences.

Pour l’instant notre commune d’environ 300 personnes fait partie d’une
communauté de communes, qui a créé un Syndicat Départemental
d’Assainissement Non Collectif.

C’est celui-ci qui a imposé Veolia, présente aussi dans la région à travers sa filiale de transport, Connex. (Dont le président, M. Stéphane Richard, vient d’être nommé directeur de cabinet de M. Jean-Louis Borloo… Note d’Eaux glacées).

Il n’existe donc pas à ma connaissance de contrat sur la distribution de l’eau
avec Veolia. Ce qui n’empêche nullement l’entreprise de vouloir
"seulement" faire un diagnostic de l’assainissement non collectif.

Une réunion d’information générale a eu lieu avec Veolia et ce Syndicat,
mais seules trois personnes de notre commune s’y sont rendues,

Veolia a ensuite envoyé des premiers « avis de passages » , en imposant dates et heures, et en soulignant le caractère impératif de notre présence, sous forme d’un courrier ne mentionnant aucune réglementation concernant les contrôles, mais incluant en deuxième page, à la manière d’un petit mailing publicitaire, une notice expliquant "en petit" qu’une redevance de 60 euros serait facturée.

Première levée de boucliers, mais devant l’ignorance de la commune et sa
volonté "d’obéir" et de se retrancher derrière la communauté de communes,
certains ont obtempéré.

D’autres ont refusé le rendez-vous.

Deuxièmes avis de passages prévus début juin. Même style impératif.

Toujours aucune réunion communale, malgré les diverses demandes. Ni aucune communication écrite.

J’ai exigé ce matin une autre réunion, cette fois dans la commune.

Nous n’avons pas de réponse affirmative pour l’instant.

L’adjoint au Maire en charge du dossier "eau" est en vacances.

"Ne sachant pas quoi nous dire", le maire veut inviter Veolia, mais "il n’y a rien à faire" : "c’est trop tard" !

Les visites qui ont été effectuées à ce jour démontrent l’incompétence technique de certains enquêteurs, des erreurs de gestion des rendez-vous, des informations contradictoires, voire inexistantes de la part des institutions, sans compter une volonté d’intimidation des récalcitrants : le Trésor Public exigerait cette redevance majorée de pénalités !

Comment est-ce justifiable puisque les enquêteurs n’auront pas pu visiter nos installations, qu’il existe des disparités dans les prises de position des communes, etc...

Parallèlement, nous avons décidé d’informer Veolia que nous refuserons leur visite à domicile, et avons également décidé d’informer des maires qui témoignent de leur désaccord avec ces pratiques.

Nous ne sommes qu’un petit village très rural, montagnard, et où il faut déplacer des montagnes pour faire bouger les choses, mais où les gens du cru ont un solide bon sens terrien ! »

* Voir le droit de réponse du syndicat incriminé, publié par Eaux glacées le 12 juin 2007.

Déficit démocratique

Que dire ?

Que depuis le 31 décembre 2005, la mise en place des SPANC est une obligation pour les collectivités (communes et/ou intercommunalités).

Que dans un premier temps les collectivités ont du effectuer un zonage de leur territoire pour en classer les parcelles en trois zones :

 hors zone d’ assainissement, donc non constructibles,

 en zone d’ assainissement collectif,

 en zone d’ assainissement autonome (d’où le SPANC).

C’est à l’issue de cette procédure que le SPANC est créé et mis en place. Il peut gérer le service directement en régie, le déléguer au privé, ou passer des marchés.

Le syndicat départemental de l’ANC concerné, nouvellement créé, a probablement choisi de déléguer le service au secteur privé, et c’est manifestement Veolia qui a été choisi par ses élus, en toute liberté.

A priori la première tâche confiée à Veolia par le cahier des charges du contrat qui a du être signé est de faire un état des lieux de l’existant, quant à la qualité des installations et leur aptitude à satisfaire aux normes.

Pour cette prestation, le syndicat a nécessairement autorisé Veolia à facturer la prestation et en a approuvé le tarif.

Comme la réglementation permet aux techniciens de l’opérateur de pénétrer dans le domaine privé des usagers concernés, le fait d’entraver leur mission peut effectivement entraîner des poursuites.

La nouvelle réglementation prévoit même la faculté d’ordonner des travaux d’office, aux frais de l’usager…

Si les installations ne sont pas aux normes (là on peut faire confiance aux visiteurs qui s’invitent chez vous…), vous aurez, théoriquement, le choix de votre réparateur ou installateur (qui doivent être agréés), et des subventions peuvent être accordées par les Agences de l’eau, régions, départements et autres collectivités, pour couvrir une partie des travaux.

C’est ici que le bât blesse.

A l’échelle nationale on ne trouve pas un dispositif homogène.

Ici l’un ou l’autre finance, ailleurs non… La bouteille à l’encre.

In fine, on ne saurait donc trop conseiller, avant toute chose, aux usagers qui vont être de plus en plus nombreux à être confrontés à des surprises aussi saumâtres, de vérifier, tout d’abord, si le SPANC fait l’objet d’une délégation à un opérateur privé.

Puis de vérifier, en consultant le registre des délibérations du syndicat, ou de la commune, ou du groupement, selon les cas de figure, que ledit SPANC a été régulièrement constitué.

C’est-à-dire en respectant scrupuleusement la procédure prévue par la loi « Sapin » : décision préalable du choix du mode de gestion, appel à candidatures, appel d’offre, proposition au président par la commission des marchés, choix du délégataire et négociation éventuelle, signature du contrat…

Comme de vérifier que le règlement de service ne contient pas de clause abusive, et de bien étudier le compte d’exploitation prévisionnel ainsi que le contrat de délégation auquel il est associé en annexe…

Combien d’usagers ou même d’associations de consommateurs sont en capacité de le faire aujourd’hui ?

Encore un sujet d’atelier pour le futur « Grenelle de l’environnement »...

On parie qu’on lui préférera l’élaboration cartographique par satellite des « puits de carbone » à l’horizon 2020 ?

(Si vous souhaitez contacter les auteurs du témoignage ci-dessus, merci de contacter Eaux Glacées).

Le dossier de l’ANC

Assainissement non collectif (1) : les usagers vont trinquer, 4 mai 2007 :

Assainissement non collectif (2) : les difficultés commencent, 4 juin 2007 :

Assainissement non collectif (3) : Point de vue du Syndicat de l’ANC des Vosges, 12 juin 2007 :

Assainissement non collectif (4) : le grand bazar, 10 juillet 2007 :

Assainissement non collectif (5) : les arrêtés d’application de la LEMA, 26 septembre 2007

Assainissement non collectif (6) : les micro-stations d’épuration, 23 octobre 2007

Assainissement non collectif (7) : pourquoi les lits de riseaux plantés sont-ils interdits aux particuliers ?, 6 novembre 2007

Pour en savoir plus

1. Carteleau, le Centre d’appui et de ressources télématiques des élus locaux.

Et notamment son guide des services publics, avec une section Assainissement, qui court malheureusement toujours après une actualité, certes foisonnante.

Voir aussi une page spéciale dédiée aux FAQ à propos de l’ANC, mise ligne le 28 août 2007.

2. Le « Réseau eau » du Réseau Ideal :

Actualités de l’ANC :

 Le Conseil général des Pyrénées-Atlantiques a réalisé sur la période 2005-2006 une étude sur la qualité des rejets issus d’installations individuelles d’assainissement (filières drainées avec rejet dans le milieu hydraulique superficiel).

 Les 4èmes Assises de l’Assainissement Non Collectif
ont eu lieu les 24 et 25 octobre 2007 à Cahors.

3. Comundi, Division Formation de Reed Business Information, organisera les 20 et 21 novembre 2007 à Paris une conférence dédiée aux enjeux et opportunités de le LEMA pour les Collectivités Territoriales, au cours de laquelle, entre autres sujets, seront abordées les nouvelles problématiques de l’ANC.

Marc Laimé - eauxglacees.com