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Fiscalité écologique : le théorème Sarkozy

11 mai 2007

par Marc Laimé - eauxglacees.com

La rupture s’annonce considérable. M. Nicolas Sarkozy, alors candidat à l’élection présidentielle, a multiplié depuis l’an dernier les déclarations fracassantes sur le thème de l’environnement : « Je souhaite que la responsabilité de ceux qui polluent puisse être mise en cause de manière illimitée. Je créerai une fiscalité écologique pour inciter les Français à adopter des comportements vertueux, notamment une TVA à taux réduit sur les produits propres », proclamait ainsi son programme présidentiel. Avant la fin de l’année 2007 l’objectif de substituer une partie de la fiscalité du travail par une nouvelle fiscalité environnementale va, à n’en pas douter, déclencher une invraisemblable guerre de tranchées, dissimulant un sidérant tour de passe-passe.



Les mesures phares de ce véritable « programme de rupture » comportent notamment l’instauration d’une responsabilité "illimitée" des entreprises pour les dégâts causés à l’environnement par leurs filiales, la création d’une "organisation mondiale de l’environnement", déjà défendue par M. Jacques Chirac, le doublement de la fiscalité écologique, la création d’une redevance pour l’utilisation du réseau routier, celle d’une taxe sur le carbone importé et d’un crédit d’impôt environnement…

Lors d’une réunion publique à Bordeaux le 1er mars 2007, M. Sarkozy mettait ainsi en avant la "politique de la vie" qu’il promettait de mener s’il était élu président, en particulier dans le domaine de l’environnement.

Signataire du Pacte écologique de M. Nicolas Hulot, il y déclarait notamment :

"On ne sauvera pas l’humanité en faisant de l’écologie une idéologie totalitaire qui se donnerait pour objectif de libérer l’homme de la civilisation pour le renvoyer à l’état sauvage. Je refuse que l’on somme l’homme de choisir entre la croissance et le respect de l’environnement. Je veux le progrès économique dans le respect de la planète, et c’est possible ! Je veux l’emploi pour tous par le développement durable. Je mets en garde contre la tentation de passer d’un excès à l’autre. Hier, l’homme avançait sans réfléchir causant des dégâts à jamais irréparables. Aujourd’hui, le même homme n’ose plus bouger, lesté par les remords, la culpabilité et le principe de précaution. Hier, on faisait trop. Aujourd’hui, on a la tentation de ne plus rien faire."

« La planète danse sur un volcan »

Et d’enfoncer le clou dans le quotidien régional Sud-Ouest :

" La planète danse sur un volcan. Ce n’est pas demain qu’il faut agir, c’est tout de suite. Lorsque vous habitez dans un endroit non desservi par les transports en commun, à quoi cela mène-t-il de vous interdire de prendre la voiture ? Je préfère une politique qui incite.

Première proposition : faire bénéficier tous les produits propres, à commencer par les voitures, d’une TVA minorée à 5,5 %.

Même traitement de faveur pour les constructions économes en énergie.

Deuxième proposition : taxer plus le pollueur et moins le travailleur.

Exemple : appliquer une taxe sur les camions étrangers qui traversent la France. Pour rétablir une concurrence équitable, je propose que l’on taxe les produits importés de pays qui ne respectent aucune règle environnementale."

Trois mois plus tôt, à l’occasion du 4e Forum mondial du développement durable, le 7 décembre 2006, le candidat de l’UMP avait déjà multiplié les envolées lyriques que n’aurait pas désavoué un Al Gore…

Du coup, à parcourir le projet écologique de l’UMP pour les législatives de juin 2007, force est de constater qu’après avoir « plumé la volaille socialiste », la France d’après, véritable boa constrictor, s’apprête, cerise sur le gâteau, à en terminer avec l’écologie telle que nous l’avons connue, odieusement instrumentalisée comme on le sait par d’infernales phalanges de bobos gauchistes, définitivement renvoyées aux poubelles de l’histoire !

Retour vers le futur

Stop, pas si vite, arrêt sur image.

Pas si simple notre affaire, à considérer les furieuses empoignades qui se sont multipliées ces dernières années autour de notre fameuse « fiscalité écologique »…

Sans remonter à Mathusalem, voyons déjà le pas de deux d’un éminent représentant du corps des Mines, M. Yves Martin, qui daubait en avril 1998 sur « l’ambiguïté du concept » dans « La Jaune et la Rouge », la brillantissime revue des X…

Encore n’était-ce là que gentillette mise en bouche.

A parcourir le robuste « Rapport d’information sur la fiscalité écologique n° 1000, présenté pour la Commission des finances, de l’économie générale et du Plan de l’Assemblée nationale par Mme Nicole Bricq, le 23 juin 1998, on commence à mesurer l’étendue des dégâts…

Et force est de constater que depuis ça n’a pas cessé.

Elle se faufile partout notre fiscalité écologique.

Tenez, dans l’agriculture, comme le soulignaient les députés PS Jérôme Cahuzac et Béatrice Marre, dans leur rapport sur « Les adaptations à apporter à la fiscalité et au mode de calcul des cotisations sociales agricoles », publié… en l’an 2000.

Reste qu’un an plus tard, le 2 mai 2001, M. Laurent Fabius se fend, lui, d’un vrai coup de gueule contre ce concept à géométrie variable dans les colonnes de l’Humanité…

Alors que croire, et qui croire ?

En février 2002, M. Paul Nomidès se montre pourtant très élogieux sur notre fiscalité écologique, dans une note publiée par la Fondation Robert Schumann.

A force on aurait le tournis.

Mais qu’en pensent les écolos, les vrais de vrais ? Là aussi ça phosphore, ça conceptualise. Le tournis, vous dis-je !

Voyez les pistes insoupçonnées que nous révèle Planète écologie.org….

Le 23ème rapport au Président de la République du Conseil des impôts, daté du 6 juillet 2005, titré « Fiscalité et environnement » témoigne pour sa part de la prudence des fiscalistes, puisqu’il conclue que : « Le Conseil des impôts retient qu’une véritable et profonde transformation de notre système fiscal fondée sur la fiscalité environnementale n’est pas actuellement envisageable, mais que des aménagements sont à la fois souhaitables et possibles. Il formule en ce sans quelques propositions pour remédier à certaines des faiblesses constatées. »

Bon, vous calez déjà ? Rechignez à en savoir plus sur ce qui nous attend ?

Non, bravo, alors, vite un détour vers un cadre plus rassurant.

Nous avons adopté en grande pompe une "Charte de l’environnement", que diable.

Et bien, justement, quand il s’est agi de l’adopter, là aussi d’éminentes têtes d’œuf ont planché en 2006 sur notre fameuse fiscalité écologique….

Pas encore saturés ? Un peu las de la langue de bois ?

Voyons ce qu’en pensent nos amis les alters, via le Manifeste altermondialiste, d’Attac-France, lui aussi publié en 2006.

C’est aussi le 12 avril 2006, ça s’accélère, que le député (PS) Jean-Yves le Déaut, son président, et Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, sa rapporteure, déposent à l’Assemblée nationale le rapport de la Mission d’information sur l’effet de serre, document qui fait désormais autorité en la matière.

Ainsi que le compte-rendu des auditions de cette mission d’information.

Vous êtes toujours là ?

Accrochez-vous. Ca va commencer à swinguer.

Ladies and gentlemen, and now Mrs Nathalie Kosciusko-Morizet, députée UMP et membre de la Mission d’information sur l’effet de serre, qui dévoile les perspectives vertigineuses de la « Taxe Cambridge » sur le blog énergie de SIA Conseil, le 23 octobre 2006.

« Les automobilistes paieront »

Je vous entends déjà : mais jusqu’où va-t-il nous balader comme cela, ça va durer encore longtemps ? (Là, vous n’êtes pas au bout de vos peines !).

Mais puisque vous avez tenu jusqu’ici (bravo), la récompense est proche, car c’est à ce moment précis que vous allez commencer à mesurer l’invraisembable pataquès que ne vont pas manquer de déclencher les très vertueux engagements de l’ex-candidat de l’UMP à la présidentielle… dans les rangs de ses propres troupes.

Oyez plutôt ce que nous baillait l’inoxydable M. Alain Madelin, l’archange libéral dont vous vous demandiez comme moi où donc il avait bien pu passer à l’heure où la thérapie de choc tant attendue se profile enfin ?

Et bien M. Madelin… fulminait le 10 novembre 2006 contre la fiscalité écologique !

Qui l’eut cru ?

Il est vrai que voir certain galopin, pardon Galouzeau, chausser à son tour le 13 novembre 2006 les bottes d’Al Gore a de quoi rendre furax l’aficionado de Reagan et de Thatcher aujourd’hui à la retraite !

Surtout quand le susnommé reçoit quasiment les félicitations de CAP 21 le jour même…

Je m’égare ?

Bon, si vous voulez vous positionner en vaillant fantassin de la France d’après écologiquement fiscalisée, voir la petite fiche du MEDD, datée de janvier 2007, qui devrait vous permettre de « travailler plus » pour le développement durable de l’hexagone.

Sauf que, choisis ton camp camarade, les « Contribuables associés », épouvantable officine néo-poujadiste, ne décolèrent pas…

Ah, ah, dur, dur camarade, d’autant plus que côté PS, on remet les pendules à l’heure…

Un pari à haut risque

L’objectif que va très vite afficher le prochain gouvernement de substituer – promesses électorales obligent -, une partie de la fiscalité pesant sur le travail (charges et cotisations sociales), par une « fiscalité écologique », supposée imposer des taxations « vertes » à tous les acteurs et comportements polluants, bien dans l’air du temps, ne dissimule hélas qu’un nouveau « levier », propre à faciliter la mise en œuvre rapide des orientations libérales que revendique ce même gouvernement.

La mise en œuvre de ces nouvelles taxes écologiques va d’emblée achopper, comme le soulignait dès le 23 novembre 2006, le cabinet SIA Conseil, sur des complexités encore largement sous-estimées :

(…)

« Elle repose sur l’harmonisation européenne des politiques fiscales car dans le cas contraire, les entreprises des pays les plus volontaristes souffriraient d’une perte de compétitivité internationale,

« La définition de l’assiette des écotaxes repose sur la l’évaluation difficile de la valeur écologique des produits et services, ce qui peut conduire l’éco-fiscalité à marquer une rupture vis-à-vis du principe d’égalité devant l’impôt,

« Les éco-taxes reposent sur un principe paradoxal : elles agissent sur leur assiette dans l’objectif de la réduire, mais elles ne doivent pas la détruire, sous peine de disparaître,

« Une éco-fiscalité qui avantagerait les entreprises peu polluantes à l’intérieur d’un pays ne peut certainement pas appliquer les mêmes taxes pour les entreprises extérieures, dès lors, une écotaxe peut être vecteur d’inégalité, plutôt que de rétablir l’égalité écologique des biens. »

Une nouvelle donne politique ?

Monsieur Sarkozy, la fraction moderniste des conseillers qui l’aiguillent dans cette voie, les entreprises les plus engagées dans l’instrumentalisation croissante du « développement durable » tablent de surcroît, pour assurer le succès de la « croisade verte » ultralibérale qu’ils s’apprêtent à engager, sur les divisions que cette offensive va immédiatement susciter au sein de la mouvance environnementaliste française.

Sans doute à raison.

Partie de ladite mouvance va afficher un positionnement « fondi » : « Même si c’est la droite, enfin des mesures qui vont dans le bon sens… »

Positionnement qui va contribuer à occulter l’aggravation, via la nouvelle « fiscalité écologique », des inégalités sociales qu’entraîne déjà l’existence de la TVA, qui pèse indifféremment sur les Rmistes et les propriétaires de yachts…

Les grandes orientations affichées par l’UMP en matière de « fiscalité écologique » sont donc lourdes de dérives que les consommateurs et citoyens n’accepteraient pas s’ils pouvaient en apprécier, et les fondements théoriques, et les graves conséquences sociales, ce qui n’est malheureusement pas le cas.

Comme la période qui s’ouvre, décisive pour toutes ces questions, va aussi connaître un brouillage accéléré de tous les repères traditionnels, notamment via un « redécoupage » des attributions ministérielles au sein d’un gouvernement resserré, manœuvre qui vise elle-même à accélérer une « réforme de l’Etat » dont l’objectif est bien sur d’affaiblir les services publics et de « dégraisser » à marches forcées les fonctionnaires qui les « alourdissent », tout laisse à penser, en l’état, que l’offensive pourrait être couronnée de succès.

Comme en témoignaient les premières réactions enregistrées après l’annonce de la création d’un « grand » ministère transversal, dirigé par M. Alain Juppé, et la confirmation de l’organisation d’un « Grenelle de l’environnement » dès septembre ou octobre 2007.

Ici la responsabilité de toutes les forces vives démocratiques, particulièrement celles habitées d’un souci sincère de l’environnement, va s’avérer cruciale.

Car comment imaginer que les acteurs économiques à qui vont être « transférés », en apparence, les coûts de ces nouvelles charges ne les répercutent pas sur leurs produits, et sur leurs clients ?

Si la démarche couronne dix ans d’intrumentalisation du développement durable.com, à la plus grande joie des entreprises, elle relève du tour de passe-passe qui ne saurait faire longtemps illusion.

A suivre…

Marc Laimé - eauxglacees.com