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LES EAUX GLACÉES DU CALCUL ÉGOÏSTE
REMOUS
Régression générale des politiques publiques
par Marc Laimé, 23 avril 2008

S’il ne devait y avoir qu’un symbole du premier anniversaire de l’an Un de l’ère Sarkozy-Fillon ce serait celui là. En application de la « Révision générale des politiques publiques » (RGPP) une circulaire conjointe des ministères de l’Ecologie et de l’Agriculture, en date du 10 avril 2008, sous couvert de « recentrer l’ingénierie publique sur des activités à haute valeur ajoutée » ordonne aux services déconcentrés de l’Etat (DDE et DDA) de "faire un état des lieux de l’offre d’ingénierie privée" sur leur territoire et "réfléchir à la mise en place d’un plan de développement de cette offre pour qu’elle soit à même de répondre aux attentes des collectivités locales". Alors que le PS formalise son Bad Godesberg, les « Reaganomics » triomphent.

La circulaire vise à préciser les mesures décidées lors du dernier « Conseil de modernisation des politiques publiques » relatives à l’ingénierie publique.

L’exercice réthorique érige ici aussi la novlangue au niveau du grand art.

La circulaire indique en effet que la politique de solidarité de l’Etat avec les petites communes sera recentrée dans les directions départementales de l’équipement (DDE) et dans les directions départementales de l’équipement et de l’agriculture (DDEA) autour de l’ATESAT (Assistance technique de l’Etat pour des raisons de solidarité et d’aménagement du territoire).

"Dans ce cadre, les services continueront à apporter à ces collectivités l’accompagnement nécessaire", indique-t-elle. Avant d’affirmer la volonté des deux ministères de "renforcer leur capacité d’expertise et d’accompagnement des collectivités sur les politiques qui répondent aux défis du développement durable par des missions d’ingénierie recentrées sur ces priorités", tout en redéployant des compétences sur le conseil et le contrôle.

On voit ici comment le « développement durable » et le « Grenelle de l’environnement » constituent le fer de lance et l’habillage idéologique du démantèlement des politiques publiques, ouvertement affermées au secteur privé.

Quand on sait que la RGPP associe plusieurs consortiums de grands cabinets d’audit internationaux à des équipes de hauts fonctionnaires de tous les ministères, « tout devient possible ». L’impératif catégorique de la libéralisation forcenée s’incarne dès lors dans une phraséologie toute orwellienne.

 Postulat 1 : Il s’agit de "conserver et d’étoffer dans les services territoriaux de l’Etat un haut niveau d’expertise publique, ciblée sur des activités à forte valeur ajoutée ou nécessitant une capacité de négociation et de réponse rapide au quotidien".

 Postulat 2 : Il faut "mettre fin, au fur et à mesure des redéploiements, aux interventions dans le champ de l’ingénierie concurrentielle, en particulier en matière de maîtrise d’œuvre, lorsqu’elles ne sont pas justifiées par le portage des politiques prioritaires ou par le maintien d’un haut niveau d’expertise". 


La circulaire mentionne donc explicitement une douzaine de champs d’action prioritaires concernés par le recentrage de ces missions : la "ville durable", avec par exemple l’accompagnement de « projets d’écoquartier », les bâtiments durables, les montages d’opérations urbaines favorisant la rénovation de quartiers en difficulté, la lutte contre l’habitat indigne, la connaissance et la prévention des risques technologiques, la planification et la sécurité dans le domaine de l’eau, la prévention et la gestion des déchets, les économies d’énergie, le développement du transport ferroviaire, etc.


Autant dire que DDE et DDA sont fermement invités à s’engouffrer dans le brassage de concepts fumeux qui ne mangent pas de pain pendant que le vrai business sera confié à ceux qui savent y faire...

Car en dehors de ces « thématiques à haute valeur ajoutée », c’est à l’ingénierie privée d’intervenir.

La circulaire ministérielle invite donc les services territoriaux de l’Etat à actualiser le « plan d’action stratégique de l’ingénierie d’appui territorial » en fonction de cette nouvelle donne.

Ils doivent notamment "faire un état des lieux de l’offre d’ingénierie privée" sur leur territoire et "réfléchir à la mise en place d’un plan de développement de cette offre pour qu’elle soit à même de répondre aux attentes des collectivités locales".

Là on croit rêver. Non seulement une simple circulaire met à bas une dimension essentielle du service public, mais on enjoint les fonctionnaires concernés d’élaborer un plan de développement de l’offre privée qui va les envoyer au cimetière !

L’étrange défaite de la droite aux dernières élections municipales et cantonales a conduit à ce que la gauche gère 20 des 22 régions métropolitaines et, depuis mars 2008, 58 départements sur 102, 32 villes de plus de 100 000 habitants sur 49. Aujourd’hui 60% des Français vivent dans une commune de gauche.

Comment la gauche va-t-elle pouvoir fonder une alternative à la libéralisation forcenée conduite à marches forcées par l’actuel gouvernement si elle ne s’élève pas en actes contre un processus qui la condamne à accompagner le démantèlement programmé des services publics au niveau même des territoires qu’elle contrôle ?

Sans réponse de la gauche à cette question, le « développement durable » du libéralisme ferait désormais bel et bien figure d’horizon indépassable de notre temps.

Le second chapitre de la nouvelle « Déclaration de principes » du PS rendue publique le 21 avril, titré « Nos objectifs pour le XXème siècle », précise dans son article 6 :

« ART. 6 Les socialistes portent une critique historique du capitalisme, créateur d’inégalités, porteur d’irrationalité, facteur de crises, qui demeure d’actualité à l’âge d’une mondialisation dominée par le capitalisme financier.
Les socialistes sont partisans d’une économie sociale et écologique de marché, une économie de marché régulée par la puissance publique, ainsi que par les partenaires sociaux. Le système voulu par les socialistes est une économie mixte, combinant un secteur privé dynamique, des services publics de qualité, un tiers secteur d’économie sociale.

Les socialistes affirment que certains domaines de l’activité ne peuvent relever du fonctionnement du marché quand ils concernent des droits essentiels. Les socialistes font de la création durable et de la redistribution des richesses un enjeu majeur de l’action politique. Ils pensent que les politiques participant aux enjeux environnementaux doivent être coordonnées par la puissance publique, garante du long terme et de l’intérêt général. »

Face à une entreprise de démolition sociale sans précédent depuis plus d’un demi-siècle, qu’incarne donc aussi la RGPP dans le champ qui nous préoccupe, le grand écart entre "grands principes" et "contraintes gestionnaires" acceptées en silence va devenir difficile à assumer pour la "gauche résistante des territoires" chère à certaine télé-évangéliste illuminée...

L’exemple du Lot :

La modernisation de l’Etat territorial passe par le Lot

Le Lot a servi de terrain d’essai pour la réforme de l’Etat territorial. Il doit maintenant inspirer la modernisation de l’Etat dans les autres départements. A quoi ressemblera la future organisation de l’Etat déconcentré ? Lire l’interview de Mme Marcelle Pierrot, préfète du Lot, publiée par Localtis le 7 mai 2008.

L’interview intégrale de la Préfète du Lot

Lire aussi :

Adieu services publics, l’Institut de la gestion déléguée redessine la France d’après

Les eaux glacées du calcul égoïste, 30 mai 2007.

La loi sur l’eau privatise les services publics (1)

Les eaux glacées du calcul égoïste, 9 octobre 2007.

La loi sur l’eau privatise les services publics (2) : Menaces sur la police de l’eau

Les eaux glacées du calcul égoïste, 11 octobre 2007.

La loi sur l’eau privatise les services publics (3) : Les Satese soumis à la concurrence

Les eaux glacées du calcul égoïste, 13 octobre 2007.

La loi sur l’eau privatise les services publics (4) : Plaidoyer pour les Satese

Les eaux glacées du calcul égoïste, 17 octobre 2007.

L’intérêt général n’est pas soluble dans la concurrence

Carnets d’eau, Le Monde Diplomatique, 17 octobre 2007.

Politiques publiques : la tentation du césarisme

Carnets d’eau, Le Monde Diplomatique, 11 décembre 2007.

La loi sur l’eau privatise les services publics (6) : L’exécution des Satese

Les eaux glacées du calcul égoïste, 30 décembre 2007.

Réforme de l’Etat : l’UMP accélère son projet ultra-libéral

Les eaux glacées du calcul égoïste, 24 mars 2008.

Un coup d’Etat

Les eaux glacées du calcul égoïste, 4 avril 2008.

Régression générale des politiques publiques

Les eaux glacées du calcul égoïste, 23 avril 2008.

Le début des grandes manoeuvres

Alexis Rouque, Débat & Co, 25 avril 2008.

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commentaires

1 Les goinfres

Merci, très bon article... Si le terme pouvait s’appliquer à l’annonce d’un massacre.
Malheureusement, je crains que la contradiction dont vous faites état ne posera aucun problème à la télévangéliste illuminée : c’est justement le propre des illuminés que de tout fondre dans leur délire mystique... Si seulement elle pouvait s’étouffer avec son chabichou, celle-là !!! Ou se convertir pour de bon au zen crépusculaire en milieu isolé, tendance désert de Gobi... Le New-Age ne manque pas de sectes ! Un gourou volontaire ?

L’IGD, vos grands amis, ne manquent décidément pas de ressources : confrontés à la critique que "le PPP entraînerait une contrainte budgétaire supplémentaire indolore par le biais de procédures déconsolidantes" (ce qui est une façon polie de dire qu’on s’en met plein les poches sur le dos du contribuable), ils répondent, par le biais de leur président Martinand

http://www.fondation-igd.org/pdf/newsletter.pdf

que c’est un problème d’"encadrement du contrat" et que, coïncidence, ils viennent justement de mettre en place des "modules de formation pour l’administration et les collectivités territoriales" !!! Dont on se doute qu’ils ne seront pas gratuits. Je sens que si je continue je vais émettre certains jugements susceptibles de tomber sous le coup de la récente réglementation européenne

http://www.statewatch.org/news/2008/apr/eu-coun-draft-combat-terr-7785-rev3-08.pdf

condamnant les "provocations et incitations au terrorisme", je m’en tiens donc là. Mais le cœur y est. Sales porcs !!!! Vous n’en aurez jamais assez, bande de psychopathes ????!!!!

poste par pseudonyme - 2008-04-23@15:40 - repondre message
2 Régression générale des politiques publiques

Rien à ajouter si ce n’est des explications sur le mutisme du PS :
 l’action des services déconcentrés concerne principalement les petites collectivités en milieu rural où la droite reste majoritaire,
 le PS en acceptant la construction européenne telle qu’elle se fait approuve de facto la disparition de ces services. Ainsi le mouvement initiant la fin de l’ingénierie publique a commencé dès 1999 et encore plus en 2001 sous gouvernement Jospin (et l’art.6 de la déclaration de principe du PS est, miracle de la novlangue, tout à fait soluble dans la RGPP)...
 enfin je n’ose revenir sur les pratiques anciennes et révolues de financement des partis politiques qui ont, me semble-t-il, aussi touché le PS...

Encore une fois le PS aura beau jeu de dire aux collectivités : regardez l’Etat UMP ne vous assiste plus mais moi au niveau de la région je mets en place des services équivalents...(avec toutes les questions de compétence, de neutralité de ces services et d’égalité entre les régions que ça pose).

poste par Stormovik - 2008-04-23@21:50 - repondre message
3 Régression générale des politiques publiques

Le gouvernement réussit un coup de maître en lançant tant de réformes que chacun donne son avis sur la réorganisation de l’un ou l’autre ministère, des futurs niveaux de décision de l’Etat, etc... Tout en oubliant que le coeur même de la RGPP repose sur la loi "mobilité et parcours professionnels dans la fonction publique".

C’est bien ce projet-là qui va permettre ensuite la destruction du service public. La loi vient de passer au Sénat, sera votée par le Parlement début juin, et personne ne s’étonne de la destruction du statut du fonctionnaire. Elle concerne pourtant TOUS LES FONCTIONNAIRES, DANS LES TROIS FONCTIONS PUBLIQUES !

Il est nécessaire de dire, haut et fort, que l’heure est grave. Il importe que TOUS LES AGENTS DE L’ETAT, TITULAIRES OU NON, prennent conscience du danger que représente la loi mobilité, qui permettra ensuite, après fusion, modification ou disparition des services, de déplacer les agents en tant que de besoin sans leur demander leur avis, ou de simplement... les virer.

Il faut savoir que certains décrets sont déjà pris (JO du 19/04/08)... alors que la loi mobilité n’est pas encore votée (quel respect de nos institutions !). Ces décrets ont été pris en référence à la loi de 1983 sur le statut du fonctionnaire.

Si la loi mobilité est votée, tout fonctionnaire pourra se retrouver dans une des situations suivantes :

 suite à restructuration de son administration, si son poste est supprimé (et l’on sait que de nombreux postes seront supprimés !), l’agent bénéficiera de 2 ans de réorientation professionnelle. A l’issue de cette période, si aucun poste correspondant à sa formation n’est vacant dans la fonction publique, il sera placé d’office en disponibilité (c’est-à-dire sans rémunération) ou, le cas échéant, mis à la retraite ! (voir article 7 de la loi mobilité) Intéressant lorsqu’on sait que l’Etat et ses agents ne cotisent pas à la caisse de chômage !

 généralisation du cumul d’emplois (voir article 8 du projet de loi) : dans les départements, selon les besoins exprimés par le Préfet, il pourra être proposé à un agent un temps complet réparti entre plusieurs employeurs publics. Imaginez travailler à 50% pour la future DDEA, à 20% pour la Préfecture, et à 30% pour le ministère des finances ! Et cela sans être sûr que ces emplois soient proches géographiquement.

Pour finir, n’oublions pas que les différentes fusions-réorganisations-disparitions de services se font sans réflexion préalable sur les questions salariales.
Lorsqu’on connait les disparités de primes entre les agents des différentes administrations, on peut imaginer facilement que leur égalisation se fera au plus bas, puisqu’il faut "faire des économies".
Et le salaire "au mérite" (notion Ô combien subjective !) s’annonce déjà, comme la rémunération en fonction des résultats.

La remise en cause du statut de la fonction publique, de la protection, de la neutralité et de l’indépendance de ses agents vis-à-vis du politique et de l’économique, entraînera une perte de ces valeurs que les fonctionnaires connaissent bien et auxquelles les citoyens sont attachés : la garantie de l’intérêt général, l’égalité d’accès et de traitement des citoyens.

Peut-on laisser le gouvernement seul faire le choix de notre société ?

POUR INFO : la mobilisation massive de tous les fonctionnaires le 15 mai 2008 sera le dernier message fort à l’attention du gouvernement, avant le vote de la loi mobilité.

poste par Sylvie ROBELIN - 2008-04-24@15:33 - repondre message
4 Régression générale des politiques publiques

Merci pour votre contribution qui éclaire et renforce les vives inquiétudes suscitées par le volet de la RGPP pour ce qui concerne le secteur de l’environnement au sens large, dans lequel s’inscrit l’activité de ce blog. Toute information complémentaire bienvenue dans l’optique de la mobilisation du 15 mai. Bien cordialement. marc@rezo.net

poste par Marc Laimé - 2008-04-24@15:44 - repondre message
5 Régression générale des politiques publiques

Bonjour,

Je croyais que le 15 mai, c’était les lycéens, les profs etc. C’est une manif des fonctionnaires ?

Ensuite pour le néophyte que je suis, l’article est obscur et semble destiné au spécialiste. L’Etat doit-il systématiquement se substituer aux entreprises du privé dans les territoires ? N’est-il pas parfois plus efficace de confier certaines tâches au privé et de concentrer le rôle de l’Etat sur la politique d’aménagement ? Cela ne mérite-t-il pas réflexion au moment où les prélévements obligatoires qui frappent les salariés augmentent avec le déficit et les dépenses publiques ?

JR

poste par Rosselin - 2008-04-29@09:22 - repondre message
6 Régression générale des politiques publiques

Ce qui pose problème dans ce cas de figure c’est de voir l’Etat commander à ses services déconcentrés d’organiser le développement d’une offre privée qui ne remplacera en aucun cas des missions d’intérêt général. A terme la question peut donc se poser de l’impact de cette "réforme" sur des territoires qui se verront priver d’actions structurantes. Et l’hypothèse de voir émerger un nouveau partage des tâches entre ingénierie privée et collectivités territoriales est loin d’être avérée, eu égard aux difficultés qu’éprouvent lesdites collectivités à assumer une masse croissante de compétences qui leur sont transférées autoritairement sans être financièrement compensées "à l’euro près". Sur un registre plus politique, les dindons de la farce ne seront pas les puissantes baronnies détenues par la gauche, mais les maires UMP des petites collectivités rurales qui vont pâtir de ce nouveau désengagement de l’Etat, et n’ont clairement pas les moyens d’y substituer une ingénierie privée qui va d’évidence privilégier les niches "solvables"... C’est toute l’ambiguïté de ce mouvement dont le moins qu’on puisse dire est qu’il ne suscite pas un enthousiasme mobilisateur auprès, par exemple, des grandes organisations d’élus...

poste par Marc Laimé - 2008-04-29@10:02 - repondre message
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