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LES EAUX GLACÉES DU CALCUL ÉGOÏSTE
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L’action de groupe en matière environnementale va-t-elle voir le jour ?
par Marc Laimé, 12 mars 2016

Introduite par surprise en première lecture au Sénat du projet de loi Biodiversité, l’action de groupe en matière environnementale a suscité un vif débat à l’Assemblée nationale qui l’examinait à nouveau devant la commission du développement durable le mardi 8 mars 2016 dans la séance qui a débuté à 21h15. L’affaire est à suivre de près avant la reprise de l’examen du projet de loi à l’Assemblée le 15 mars prochain. Les pressions sont très fortes. Le gouvernement peut y céder et promettre de renvoyer l’affaire à un autre projet de loi, celui de la « Justice du XXIème siècle », dont rien ne dit qu’il sera adopté avant la fin de la mandature. Pour le reste et sur le fond, deux projets de société s’affrontent très clairement autour de l’action de groupe en matière environnementale.

« Présidence de M. Jean-Paul Chanteguet, Président.

Chapitre IV bis
Lutte contre la pollution.

Article 51 quater AA (article L. 77-10-1 du code de justice administrative) : Création d’une action de groupe spécifique pour les dommages environnementaux.

La commission examine d’abord les amendements identiques CD75 de M. Jean-Marie Sermier, CD109 de Mme Sophie Rohfritsch, CD233 de M. Martial Saddier, CD262 de M. Dino Cinieri, CD347, CD365 et CD412 de M. Julien Aubert, CD590 de M. Philippe Plisson, CD803 de M. Gérard Menuel et CD842 de M. Gilles Lurton, tendant à supprimer l’article.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Tous ces amendements étant défendus, je propose qu’un seul orateur par groupe les défende.

M. Martial Saddier. Le Sénat a cru bon d’introduire ici la possibilité d’une action de groupe dans le domaine environnemental. Toutefois, il nous semble que cette mesure n’a pas sa place dans le code de justice administrative, où l’inscrit cet article.

Plus généralement, l’action de groupe environnementale ainsi conçue nous semble prématurée, et mal fondée juridiquement. Il est nécessaire de disposer d’expertises bien plus poussées. Il serait également bon de rechercher un consensus entre nos deux assemblées.

Nous demandons donc la suppression de cet article.

M. Julien Aubert. Nous ne disposons pas de réflexions suffisamment sérieuses sur les conséquences juridiques de cette mesure. D’un côté on se plaint de l’engorgement des tribunaux, et de l’autre on vote des articles qui modifient les conditions d’exercice des recours !

De plus, cet article donne le monopole des actions de groupe dans le domaine de l’environnement aux associations de défense de l’environnement.

Or il ne me semble pas que l’actio popularis puisse reposer uniquement sur des professionnels de la protection de l’environnement : tout citoyen, tout type d’organisme doit pouvoir agir. Il est dangereux de cantonner ces recours juridiques à un seul type d’association : cela revient à déresponsabiliser une partie de la société. L’environnement est au contraire la responsabilité de chacun, et les possibilités de recours doivent être aussi larges que possible.

M. Philippe Plisson. Mes arguments sont les mêmes : l’action de groupe ne doit pas être le monopole d’associations organisées. Avec les réseaux sociaux, aujourd’hui, les citoyens peuvent se mobiliser plus facilement : s’ils souhaitent se regrouper pour ester en justice, ils doivent pouvoir le faire sans le truchement d’associations officielles, organisées.

Mme la rapporteure. Avis défavorable. Il faut au contraire, je crois, conserver ce dispositif pertinent. Certes, il présente des problèmes de rédaction, et il dépasse la question de la biodiversité.

Le projet de loi relatif à la justice du XXIe siècle devrait être débattu par l’Assemblée nationale au mois de mai. D’ici là, il faut à mon sens maintenir cet article dans le présent texte : c’est un sujet auquel nous tenons, et auquel nos concitoyens tiennent. Or, si nous faisons disparaître cet article, il n’est pas sûr qu’il réapparaisse ultérieurement.

Nous pourrons toujours nous adapter si des mesures similaires étaient adoptées dans d’autres textes.

Mme la secrétaire d’État. Le Gouvernement est favorable à l’action de groupe en matière environnementale. La majorité actuelle a d’ailleurs introduit un dispositif très proche dans la loi relative à la consommation du 17 mars 2014.

Cet article présente toutefois un problème de rédaction : il n’est pas opérationnel et devra être revu.

Le Gouvernement prévoit d’insérer, dans le projet de loi sur la justice du XXIe siècle, un dispositif « socle », pour l’ensemble des composantes du droit, visant tous les dispositifs de ce type, hors droit de la consommation.

Le ministère de la justice a déjà avancé sur le projet portant sur l’action de groupe environnementale, mais le travail n’est pas terminé. Dès lors, je suis défavorable à la suppression de cet article, qui pose les bases d’une telle action de groupe.

J’ai bon espoir de vous faire, lors de la discussion en séance publique, une proposition définitive de dispositif : nous pourrons alors décider si nous gardons cet article ou si nous le renvoyons à la loi sur la justice du XXIe siècle. À ce stade, je ne peux toutefois offrir aucune garantie.

Restons-en donc à cet article pour aujourd’hui. S’il devient sans objet, il sera toujours temps de le supprimer en deuxième lecture au Sénat.
Mais l’action de groupe environnementale est une vraie avancée. La supprimer, même pour des raisons de forme, serait un très mauvais signal.

M. François-Michel Lambert. Le contraste entre la majorité et l’opposition est très clair ! Pour certains, l’environnement, « ça commence à bien faire », et ils font tout ce qu’ils peuvent pour retarder notre entrée dans un nouveau siècle, un siècle où l’on prend en considération l’environnement et la biodiversité.

Il est indispensable de maintenir cet article : nos concitoyens doivent s’opposer, par des actions de groupe, aux attaques contre l’environnement et la biodiversité. En quoi serait-il gênant que ces actions s’appuient sur des associations environnementales agréées, structurées, compétentes ? C’est en tout cas préférable aux actions d’associations créées de toutes pièces pour s’opposer à un projet, et pour qui la défense de l’environnement n’est qu’un prétexte.

Il faut sans doute améliorer la rédaction de cet article, mais il faut conserver dans la loi cette amélioration apportée par le Sénat, où la majorité n’est pourtant pas la même qu’à l’Assemblée nationale.

Mme Delphine Batho. J’apporte mon soutien à Mme la rapporteure et au Gouvernement.

Je précise qu’à ce jour il n’existe dans le projet de loi sur la justice du XXIe siècle aucune disposition relative à l’action de groupe, à l’exception du domaine des discriminations : nous avons eu ce même débat lors de la discussion de la loi pour une République numérique, à propos de la protection des données personnelles, et j’avais alors vérifié de près l’état de ce projet de loi.

Le dispositif de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite « loi Hamon », reconnaît la possibilité d’agir aux associations de défense des consommateurs : il n’y a donc aucune raison de ne pas reconnaître aux associations de défense de l’environnement la possibilité de mener des actions de groupe en matière environnementale.

Je suis consciente que le texte proposé ici n’est pas parfait. Je me demande d’ailleurs s’il ne faudrait pas ouvrir aux associations de défense des consommateurs la possibilité d’une action de groupe en matière environnementale – on peut par exemple penser à l’affaire Volkswagen.

M. Julien Aubert. Vous parlez d’associations agréées, Monsieur Lambert, mais le texte mentionne aussi « une association régulièrement déclarée depuis cinq ans au moins, dont l’objet statutaire comporte la défense des victimes de dommages corporels ». Il suffit donc que je dépose les statuts d’une telle association, et dans cinq ans je pourrai prétendre à mener une action de groupe ! Il n’y a donc aucun contrôle sur la nature ou l’éventuel agrément des associations autorisées à agir en justice.

D’autre part, pourquoi l’action de groupe serait-elle obligatoirement canalisée par certains types d’associations ? Notre collègue Delphine Batho a évoqué la possibilité de l’ouvrir à des associations de défense des consommateurs. C’est un débat intéressant. Il y a tout de même des problèmes financiers qui se poseront : vous accordez un monopole à des associations qui pourront établir des relations financières avec des cabinets d’avocat, qui auront la main sur l’argent qui circulera. (Murmures)

Derrière la défense des petits oiseaux, certains verront des sommes importantes à gagner ! (Murmures) Il faut donc bien réfléchir avant de prendre une telle mesure, ou à tout le moins l’encadrer plus fortement.

M. Philippe Plisson. La formulation de l’article n’est pas bonne, mais sur le fond, je suis favorable à l’action de groupe en matière de défense de l’environnement : la ministre s’étant engagée à revoir la rédaction de l’article, je retire mon amendement.

L’amendement CD590 est retiré.

M. François-Michel Lambert. Monsieur Julien Aubert, vous n’avez pas entendu ce que j’ai dit. J’ai parlé d’associations créées ex nihilo à l’occasion d’un projet particulier. Ce n’est pas le cas ici, puisqu’il leur faut, pour pouvoir agir, exister depuis cinq ans !

Ne peut-on vouloir faire progresser la loi ? Mme la ministre l’a dit, ce texte est une base de travail. Cet article permet de faire pour la défense de l’environnement ce que nous avons déjà fait pour celle des consommateurs.
La finance doit-elle toujours être plus forte que l’environnement ?

M. Arnaud Leroy. Je veux dire ma satisfaction de voir entrer dans notre droit l’action de groupe en matière environnementale. C’est un vrai progrès, que l’on disait pourtant impossible au début de la législature. Saisissons donc cette occasion.

Je partage le point de vue de Delphine Batho. Et, par cohérence, ne devrions-nous pas copier la rédaction de la loi Hamon ?

Je ne partage pas, en revanche, les craintes de M. Julien Aubert, qui a peur d’associations qui se créeraient spécialement pour faire des bénéfices sur de telles actions de groupe… Il faudrait donner des exemples !

M. Julien Aubert. Pas de problème ! Regardez ce qui se passe dans le domaine de l’urbanisme !

M. Arnaud Leroy. Je voudrais avoir des exemples concrets, documentés, et je suis prêt à les regarder avec vous pour en arriver à une rédaction juridiquement fiable, qui puisse éviter les effets d’aubaine comme les à-coups brutaux. Mais on ne peut pas arrêter le processus d’élaboration d’une loi en raison de vagues frayeurs.

M. Martial Saddier. Tous les jours, sur le terrain, et quelle que soit la majorité en place, nous entendons des commentaires peu élogieux sur la façon dont nous écrivons la loi. J’entends que la majorité prépare un texte sur la justice du futur qui ne comporterait pas de volet environnemental : cela m’inquiète. J’ai grand respect pour ceux qui emploient ces termes, mais l’idée de « saisir une occasion » pour écrire la loi me paraît également inquiétante.

Notre commission n’est pas l’instance la plus qualifiée de cette maison en matière juridique. (Murmures de désapprobation). La majorité serait, je crois, bien inspirée de peser à l’intérieur de sa famille politique pour que l’action de groupe en matière environnementale soit étudiée à l’occasion de la discussion du projet de loi sur la justice du XXIe siècle, au lieu de voter ce soir, à la va-vite, un texte qui risque de se révéler inapplicable, voire contre-productif.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Je souligne que cet article a été inséré par le Sénat.

La commission rejette les amendements de suppression.

Puis elle examine l’amendement CD600 rectifié de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Cet amendement vise à insérer cet article dans le code de l’environnement et non dans le code de justice administrative.

Mme la secrétaire d’État. Nous y reviendrons de toute façon. Je m’en remets à la sagesse de la commission.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte ensuite l’article 51 quater AA ainsi modifié.

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