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NE PAS CLIQUER
LES EAUX GLACÉES DU CALCUL ÉGOÏSTE
FIGURES
Inondations : l’éclusière de Saint-Maurice
par Marc Laimé, 6 juin 2016

Eaux glacées republie plusieurs des portraits d’une vingtaine de professionnels de l’eau, que nous avions réalisés en 2004 pour le Festival de l’OH ! créé par le Conseil général du Val-de-Marne. Nous les avions accompagnés une journée durant dans leurs activités.

Une journée avec Marianne Durieux, Eclusière

Avec le concours du Service de la navigation de la Seine (SNS)

Depuis 3 ans qu’elle passe la moitié de ses journées juchée dans la spacieuse cabine recouverte de bois à 6 mètres au-dessus de l’écluse elle dit ne jamais s’y ennuyer.

Ils sont trois qui se succèdent là haut tous les jours de 7h00 à 19h00. Ensuite on peut encore passer l’écluse jusqu’à 20h00 moyennant une petite taxe. Mais la nuit le trafic s’arrête.

La moitié du temps de service seule dans la cabine, été comme hiver, face aux instruments de travail impeccablement alignés : ordinateur, radio, jumelles, pupitre de commande manuelle en cas de panne informatique.

L’autre moitié du temps à l’extérieur pour entretenir l’écluse et le barrage qui y est accolé, qui maintient un niveau d’eau suffisant sur le fleuve en amont. Et tout le terrain aux alentours qu’il faut tondre, nettoyer, entretenir.

Là haut le temps est comme hâché. Le silence et l’immobilité peuvent s’installer pendant une heure et d’un coup tout s’emballe. "Allo Créteil, ici le Westphalie avalant avec 92 tonnes d’agrégats. - Bonjour Westphalie, c’est bon je n’ai personne, je vous attends." C’est la radio VHF posée au milieu de la cabine qui donne le là. C’est par radio que les péniches s’annoncent, ou sont annoncées par les deux écluses en amont et en aval.

Si le bateau descend le fleuve il est "avalant", s’il le remonte il est "montant". C’est par radio que l’éclusière leur répond qu’ils peuvent s’approcher ou devront stationner quelques instants le temps qu’une autre péniche déjà engagée finisse de traverser l’écluse.

Ensuite, sur un petit moniteur video relié à une caméra fixée au sommet du barrage qui traverse les deux tiers de la Marne, on voit approcher le bateau qui est encore caché par un coude du fleuve 500 mètres plus haut.

Après la manoeuvre est automatique. Sur l’écran de l’ordinateur s’affiche le schéma de l’écluse. C’est en cliquant sur une souris que toutes les opérations vont se dérouler sans coup férir. L’ouverture des vantelles, l’entrée du bateau qui freine son avancée en faisant moteur arrière, la lente montée des eaux dans l’écluse fermée. Puis l’ouverture de l’autre côté et le départ. Un ballet bien huilé. Vite il faut noter sur un grand cahier l’identité et le chargement du bateau. Et reprendre la radio pour annoncer son arrivée au collègue de l’écluse en aval.

Parfois quelques échanges avec les mariniers par radio, le temps qu’il fait, les autres bateaux, des nouvelles de la famille quand on se connaît un peu.

Pour l’éclusière c’est naturel. Ses parents étaient mariniers. Avant c’est elle qui passait sur le bateau qui glisse maintenant sous ses pieds et s’éloigne dans la verdure en lâchant des ronds de fumée.

Mais elle retrouvera cet après-midi ce bord de l’eau qu’elle aurait bien du mal à abandonner. Après son collègue ce matin c’est à elle de passer à l’entretien de l’ouvrage. Ca permet de s’aérer un peu et de faire de l’exercice. Parfois trop quand il faut remonter de gros "flottants" qui viennent buter sur l’entrée de l’écluse, des troncs d’arbres, des planches... Chaque semaine il s’en remplit une benne qui est ensuite évacuée par la voirie.

Comme l’éclusière est cette fois "en bas", elle peut discuter 5 minutes avec le couple qui est à bord de la péniche que son collègue fait à son tour traverser l’écluse. Avant de repartir, philosophe, pour un tour de tondeuse : "On laisse propre pour celui qui arrivera après". Comme une devise qui aurait traversé le temps. Au fil de l’eau.

L’anecdote :

De la cabine qui surplombe l’écluse on voit très bien les deux rives du fleuve. Une après-midi l’attention de l’éclusière est attirée par les gesticulations d’un homme qui s’est juché sur le parapet du quai. Il a commencé à se déshabiller et profère des invectives indistinctes. Va-t-il se jeter à l’eau ? Que faire ? L’éclusière n’a pas le droit de quitter son poste. Après dix minutes au téléphone avec la gendarmerie qu’elle informait de l’évolution de la situation, elle poussa un ouf de soulagement en voyant trois uniformes s’emparer de l’énergumène avant que l’irréparable soit accompli...

Les chiffres :

 Les différentes écluses de la Seine et de la Marne voient passer de 10 à parfois 100 bateaux par jour.

 Après son entrée dans l’écluse un bateau doit attendre de 5 à 10 minutes, selon la taille de l’écluse, avant de la franchir et de pouvoir repartir.

 Les péniches et barges présentes sur la Seine et la Marne y transportent des cargaisons dont le poids varie de 100 à 2500 tonnes.

Pourquoi ?

L’éclusier de Simenon qui tournait à bras la manivelle de son écluse et discutait longuement avec les bateliers n’est plus qu’un lointain souvenir. Progrès aidant la gestion des ouvrages recourt de plus en plus aux technologies de pointe. On commence même à voir des écluses entièrement pilotées à distance à l’aide de caméras et d’outils informatiques. Mais ne prend-on pas des risques excessifs en se privant de l’oeil et de l’expérience de l’éclusier qui connaît son environnement sur le bout des doigts ?

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