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LES EAUX GLACÉES DU CALCUL ÉGOÏSTE
FLUX
Guerres de l’eau et guerre d’image(s) sur internet
par Marc Laimé, 13 septembre 2007

Depuis quelques mois les reportages, témoignages, interviews "sauvages", clips promotionnels et publicitaires, ou reprises de documentaires « vus à la télé » consacrés à l’eau fleurissent sur Dailymotion en France, après s’être multipliés sur YouTube, qui en accueille pour sa part des centaines, en provenance de toute la planète.
Les medias « traditionnels » sont déjà hors champ. Demain les batailles de l’eau qui se déroulent dans le monde entier y trouveront une exposition privilégiée. Institutions, collectivités, entreprises, ONG, associations, activistes... communiquent ou s’y confrontent à leurs opposants dans une cacophonie qui va croissant. La télévision est hors jeu depuis longtemps, comme en témoignait une implacable communication sur "L’eau télévisuelle" prononcée en 2003 par un journaliste…

Florilège.

A tout seigneur tout honneur, l’inévitable opus de Yann Arthus Bertrand, multidiffusé il y a peu sur une grande chaîne publique.

Tout aussi incontournable le terrible tableau de la Guerre de l’eau au Proche-Orient.

Ici on stigmatise, à raison, les pratiques de Coca-Cola en Inde.

Là, le magazine spécialisé Hydroplus s’intéresse à la gestion de l’eau à Singapour, qui a inauguré en juin 2007 son Waterhub. La ville a décidé de se lancer dans une gestion de l’eau exemplaire pour compenser son manque de ressources. Les entreprises françaises sont de la partie…

Voir aussi la vision des enjeux de l’eau dans le monde par un Directeur de projet de Veolia Eau, M. Eric Lesieur, interviewé à Lyon le 13 mars 2007, lors du sommet « Biovision » qui rassemblait un époustouflant panel de « global leaders » planchant sur l’avenir de la planète.

Pas vraiment la tasse de thé de Dominique Voynet en campagne électorale en Auvergne au printemps 2007, qui s’étonnait de la question que lui posait un journaliste : surprenant de s’intéresser à l’eau ?

L’ami André Aschieri, maire de Mouans-Sartoux, nous explique lui aussi combien on aurait tort de s’en désintéresser.

Et un « plan com », avec la Communauté d’agglo de Rouen qui, histoire de faire la nique au collectif d’usagers rouennais qui lui cherche des noises, nous vante le 4 juillet 2007 ses dernières prouesse technologiques.

Heureusement qu’en dépit de tout cela la « Seine et sauve »

Ca commence à vous intéresser ? Alors vous êtes bientôt murs pour vous plonger dans la récupération de l’eau de pluie.

La rupture du Grenelle

A sa manière le fameux « Grenelle de l’environnement » aura aussi marqué un tournant puisque les représentants des ONG fédérées au sein de l’Alliance pour la Planète ont innové en rendant compte de l’avancement des débats, pratiquement en temps réel, sur le « Grenellorama », bientôt imités par les représentants de France Nature Environnement qui y ont aussi consacré un site dédié..

Quant au site « officiel », Le Grenelle environnement, il faudra attendre un mois, jusqu’au 28 août 2007, pour y voir apparaître les premières videos (très pro, on aimerait connaître le montant de l’appel d’offres…), datées des 27 et 28 juillet, présentant le désormais coutumier festival de langue de bois, estampillé Grenelle : « Acteurs, prise de conscience, ère nouvelle, concertation, bonne ambiance, écoute, consensus, mesures… »

En outre, depuis le vendredi 7 septembre six autres associations ont ouvert l’Agora-Grenelle, « un site d’information, d’échange et de suivi mis en place afin de promouvoir la participation citoyenne pour l’élaboration de mesures politiques de développement durable dans le cadre des négociations, et au-delà. »

NKM préfère YouTube…

NKM, (Mme Nathalie Kosciusko-Morizet) annonçait à son tour le vendredi 13 septembre 2007 le lancement d’une chaîne dédiée au Grenelle Environnement sur … YouTube, of Google Inc...

A croire que le site « officiel » ne le faisait pas comme dirait Fadela. (Voyez comme les tics de langage de nos éminences nous contaminent !)

NKM « a souhaité, nous racontent ses communicants, dans la perspective de la consultation publique sur les propositions d’actions issues des groupes de travail, développer des outils Internet qui permettent « au public le plus large possible d’accéder à l’information et de participer aux débats » qui entourent le Grenelle Environnement.

Le lancement de la chaîne ferait suite à « un entretien qui a eu lieu en août dernier entre Nathalie Kosciusko-Morizet et Elliot Schrage, vice-président de Google. La secrétaire d’Etat estime que la force de frappe du moteur de recherche en termes de fréquentation et de trafic pourrait rallier un grand nombre d’internautes à cette consultation. »

Donc Google YouTube Inc, diffuse l’ensemble des vidéos et interviews qui ont eu lieu, au nombre de 48 à ce jour : « les différentes propositions provenant des 6 groupes de travail seront ainsi diffusées largement auprès du public qui pourra ensuite émettre son avis à partir du début du mois d’octobre. »

Pour NKM, il est essentiel « que le public s’empare des propositions concrètes issues de la phase préparatoire du Grenelle Environnement. Il s’agit là de politiques touchant à la vie quotidienne des Français et qui concernent le futur de chaque citoyen. »

Mouais, pauvre citoyen qui se sera fadé le joyeux festival de langue de bois. Pas sur que ça le dynamise des masses…

WWF en Tintin reporter

Mais la démarche la plus significative, pour l’avenir, est sans doute celle du WWF-France, qui a réalisé à la fin du mois d’août 2007 une véritable enquête sur la catastrophique pollution du Rhône par les PCB, et a commencé à mettre un ligne le 7 septembre 2007 près de deux heures du reportage produit par l’ONG.

Un sujet brûlant que France 2, après avoir commencé à y travailler à la fin du mois d’août 2007, diffusera seulement quinze jours plus tard, dans le "Vingt heures" du 10 septembre 2007....

(Noter qu’ils l’ont fait, tout en surfant habilement pour renvoyer la responsabilité de la chose à des causalités lointaines, autant dire indéchiffrables. Lors même qu’en creusant un peu, bon il faut le vouloir...)

La diffusion d’exclusivités en ligne va inévitablement monter en puissance dans la période qui s’ouvre, puisque les medias audiovisuels français, à de rares exceptions, témoignent d’une incapacité « organique » à rendre compte de problèmes dont ils considèrent qu’ils « n’intéressent pas les gens »…

On imagine déjà les réjouissants pataquès à venir : les medias, notamment télévisuels, dont les « journaux » sont majoritairement constitués à partir de « sujets » déjà traités par la presse écrite (on lit la presse le matin, on découpe et on tourne le sujet dans la journée), vont découvrir que des « images-choc » font une audience-choc sur internet...

Les rediffuser telles quelles ? Pas question. En piquer un peu en « illustration », et les recouvrir par un commentaire anesthésiant ? Halte-là, va dire l’ONG ! Quant à « refaire » un sujet déjà visible ailleurs, ce qui est leur fonds de commerce, ça va devenir difficile de « noyer le poisson » pour faire plaisir à Matignon, à l’Elysée, à Bolloré, etc, puisque le sujet initial continue à être visible sur internet…

C’est pas tant que ça les gênerait, ils ne font que cela du matin au soir, mais là le boomerang leur reviendra inévitablement dans les gencives.

Les éléphants ont des soucis à se faire.

On comprendra mieux cette soudaine effervescence en prenant connaissance de la mémorable « Réflexion sur la fonction éducatrice de la TV », prononcée par le journaliste Michel Anglade, une communication présentée au colloque international "Ethique de l’Eau et éducation des populations", qui s’est tenu à Cogolin les 19, 20 et 21 juin 2003. Colloque organisé par Jean Vergnes, Docteur es sciences, consultant à l’Unesco et au ministère des Affaires Etrangères, membre d’Eau sans Frontières, de l’Académie de l’Eau, et d’Echanges Méditerranéens.

L’Eau télévisuelle…

"La télévision sert de l’eau à tous ses "repas télévisés", au journal télévisé de "13 heures" comme à celui de "20 heures", si l’on en croit les statistiques des stocks d’images d’archives, le journal télévisé parle d’eau presque tous les jours. Mais que dit-il ? Comment le dit-il ? Beaucoup de questions viennent à l’esprit.

L’eau télévisuelle est-elle surveillée, quantifiée, analysée, potable sur le plan journalistique ? Apporte-elle quelque chose de significatif au téléspectateur ?

"Qui surveille l’eau du quotidien télévisé ?", a-t-on demandé à un responsable du service "Sciences et environnement" à la chaîne France 2. A-t-on une idée du nombre de sujets consacrés à l’eau ? Des thèmes abordés ?

A-t-on eu, sur une année d’informations au journal télévisé, des lacunes, des redites, des non-dits ? A-t-on exagéré ou sous-estimé certains aspects ? La télévision encourage-t-elle par son information sur l’eau une attitude citoyenne et respectueuse de ce bien collectif ? Le spécialiste de l’eau s’est-il posé cette question ?

En réalité, il n’y a pas vraiment de spécialistes de l’eau à la télé. Ce qui est révélateur du peu d’intérêt qu’on lui porte. Certains sont sensibilisés par les problèmes d’environnement, mais le dossier de l’eau douce n’est pas instruit, pas constitué, pas suivi dans les rédactions de télévisions.

L’eau est traitée par tous les services : Environnement, Economie, Consommation Vie pratique, Etranger, Sports, Informations générales (l’équivalent des faits divers de la presse écrite). L’eau est pluridisciplinaire, dit-on. C’est rassurant !

L’eau à la télé est un sujet quotidien, aléatoire, récurrent

Le journal télé est un peu l’écume des jours : pas de mémoire, pas d’histoire, peu de sens. On sert le journal comme on mange tous les jours, et tous les jours on fait la vaisselle avec de l’eau presque sans s’en rendre compte. La télé parle d’histoires d’eaux sans se le dire, sans se l’avouer. Presque tous les jours, elle fait et refait, infatigable, les mêmes résumés d’une actualité qui se répète.

En hiver, l’eau est gelée et neige sur nos écrans. L’eau perturbe, bloque, dérange les autoroutes et les aéroports d’une société ultramoderne et vulnérable. Le journal de la mi-journée commence toujours par une information météorologique, la pluie y est toujours annoncée par le présentateur comme une petite mauvaise nouvelle, le grand soleil provoque toujours un large sourire. Dans l’inconscient collectif l’eau de la pluie devient à la télé mauvaise. Le fait qu’elle recharge nos nappes phréatiques est inconnu ou accessoire.

Au printemps, c’est la pêche à la truite et le saumon qui revient dans nos belles rivières mais aussi les inondations. Il y a toujours, grâce au ciel, en pays tempéré une inondation quelque part en France pour sauver de l’ennui le journal télévisé.

En été l’eau manque, c’est la sécheresse, la canicule, l’orage soudain qui balaie tout sur son passage, ou l’inondation passagère qui ruine une économie locale.

L’automne est le temps des inondations durables, le spectre de l’inondation historique de Paris resurgit.

L’eau télévisuelle, malfaisante et boueuse, manque ou inonde

Ne plaisantons plus !

Il ne faut pas minimiser les dégâts dus aux inondations ou le coût économique d’une sécheresse subie par les agriculteurs. Ces phénomènes existent et sont le plus souvent localisés. C’est leur répétition et l’absence totale de mise en perspective qui crée la confusion chez le téléspectateur.

La télévision annonce "les nouvelles en anglais" : les news, elle traite du factuel : dix maisons détruites et cent évacuées… cette nuit, dans telle commune… puis elle oubliera pour de nouveau focaliser son attention sur une autre commune, un autre jour. Cette répétition ne lui pose pas de problème, puisque les faits se reproduisent, on doit en reparler … de la même manière. Mais le pourquoi de cette répétition de catastrophes n’est pas évoqué ! La télévision montre ce qui est visuel, et n’explique pas, elle s’attache aux conséquences sans penser aux causes.

La consultation des archives du journal télévisé est assez instructive, elle donne une idée, certes sommaire, mais globale de l’information autour de la question de l’eau douce.

Sur une année de juin 2002 à juin 2003 sur TF1, une petite centaine de sujets ont relaté des inondations.

La télévision de service public éprouve la même fascination pour les images fortes de "l’eau qui détruit". Sur les 6 premiers mois de 2003 la chaîne TV France 2 a diffusé quarante sujets "inondations".

L’inondation fournit à la télé avec la guerre ses plus "belles images". Le scénario est bien rodé, le commentaire invariable : l’eau emporte tout, les dégâts sont spectaculaires, les voitures sont renversées, les arbres arrachés, les maisons éventrées, les habitants ont tout perdu…

Un ancien se souvient, ou plutôt non : il n’a jamais vu cela !

Le scénario d’après inondation est également immuable : les hommes politiques viennent se rendre compte et la presse en rend compte, les sinistrés demandent des comptes, le préfet déclare une catastrophe naturelle, les assureurs paieront après s’être fait tirer l’oreille…

L’eau télévisuelle, redit, rabâche, ressasse, recommence ses dégâts, au point que les reporters sur le terrain "mouillent leur chemise" et peinent à rabâcher toujours les mêmes histoires de catastrophes.

De cette liste de reportages excessivement stéréotypés ressortent quelques sujets de fond : la construction en zone inondable, le rôle des zones humides, la disparition des bocages, le remembrement agricole, les systèmes d’alertes, la prévention.

Une dizaine de sujets sur cent à la chaîne TF1

Un sujet sur 40 pour France 2. Le thème "Réflexion sur les risques des zones inondables" a été diffusé 6 fois dans les éditions successives.

La télé fait peu la différence entre la crue subite due à un orage violent et localisé et l’inondation progressive due à un débordement des eaux d’un fleuve. Ce qui compte c’est la dramaturgie des maisons évacuées et la victimisation des sinistrés.

Les causes des dégâts subis sont rarement évoquées.

On parle volontiers de la violence du fleuve, mais jamais de celle des berges qui l’enserrent. La catastrophe est naturelle, les hommes sont victimes de la violence des éléments déchaînés.

La sécheresse est un autre grand classique. Quand l’eau n’est pas en trop, elle vient à manquer !

Dans le même temps, 12 mois sur la chaîne TF1, 6 mois pour la chaîne France 2, la sécheresse a généré 60 reportages de journal télévisé à TF1, 34 sujets pour France 2.

Moins spectaculaire mais tout aussi émouvant, le reportage sécheresse à ses codes et ses clichés : un fermier voit le travail d’une année ruiné par la nature, il tient dans sa main un peu de terre réduite à l’état de poussière, que va t-il donner à manger à ses bêtes ?

Son champ est ridé, la terre est crevassée, le préfet doit déclarer l’état de catastrophe naturelle.

L’étalon mesure est en matière de sécheresse celle de 76 (1976), et son fameux impôt du même nom. Le préfet prend également des mesures de restrictions. La télévision y trouve une occasion de conseiller le civisme au téléspectateur, qui doit éviter de laver sa voiture et d’arroser sa pelouse.

Dans cette liste de reportages, tous superposables, on trouve à France 2 un sujet de fond intitulé : "Dossier sécheresse". Une carte de France des régions les plus touchées, un comparatif avec la situation référence de 76, une distinction est faite entre l’eau de surface et l’eau profonde des nappes phréatiques.

La fragilité de notre agriculture industrielle face à la contrainte hydrique n’est jamais évoquée, pas loin de la moitié des 8 millions d’hectares de terres labourées en France sont arrosés ou irrigués, mais on ne parle que très rarement des besoins agricoles en eau, deux fois plus importants que ceux de l’industrie et de la vie domestique cumulés.

La télé plonge et replonge dans les délices du factuel local, dix voitures emportées valent une ouverture de journal, dix morts une édition spéciale à condition d’être Français, car mille noyés importent peu dans la mousson d’Asie du sud-est.

La sécheresse est toujours historique en France, mais si banale en Afrique

Les inondations et la sécheresse représentent en quantité les trois quart de "l’eau télévisuelle" c’est à dire du temps d’antenne du journal télévisé consacré à l’eau. Le quart restant est destiné à l’eau potable, l’eau du robinet.

En une année de TF1, sous le mot clé "eau potable" on trouve aux archives 32 reportages, dont la moitié consacré à la pollution des captages à la suite d’inondations.

Viennent ensuite les actes de malveillance sur les réservoirs et les mesures de sécurité dans le cadre du "plan Vigipirate", puis un sujet unique sur le plomb des canalisations anciennes.

En six mois France 2 consacre 32 reportages à l’eau potable, dont trente aux manques d’eau potable dans l’Irak en guerre. La télévision publique se démarque là de TF1 et semble plus sensible au milliard et demi de personnes qui n’ont pas accès à une eau saine et propre dans le monde. TF1 privilégiant l’angle consumériste franco-français… TF1 comme Bouygues-SAUR (entreprise de traitement et distribution d’eau) font partie du groupe Bouygues.

(Bouygues a depuis lors revendu la Saur, hors activités africaines, en 2004 au fonds d’investissement PAI Partners, qui l’a ensuite revendu en 2007 à un consortium constitué par la Caisse des dépôts et consignations, AXA Partners et le groupe Séché Environnement, qui en est l’opérateur. Note Eaux glacées).

L’eau non télévisuelle

L’eau est un domaine complexe et pluridisciplinaire que le journal télévisé aborde du bout des lèvres avec une angoisse et peur de perdre ses clients. Il est des sujets considérés comme techniques et difficiles à réaliser que l’on prend soin d’écarter en conférence de rédaction. L’eau "non télévisuelle" est tout ce que l’eau télévisuelle ne dit pas, une image en négatif, une eau qui ne captive pas l’audience. C’est du moins ce que pensent les journalistes rédacteurs en chef, non sans mépris pour le public.

La contamination de l’eau par l’utilisation intensive de pesticides et d’engrais chimiques dans l’agriculture industrielle : 9 reportages en 18 mois sur TF1. Même effort chez France 2 où on nous parle une fois de pesticides dans un journal de télématin, et deux fois de pollution aux nitrates en 6 mois.

La pollution des rivières et ruisseaux de France ne fait pas recette en dehors des dates de l’ouverture de la pêche à la truite qui est un grand classique du JT de 13h en Mars.

La télé connaît les nitrates mais ignore les phosphates, les herbicides, les pesticides, les métaux lourds, les déchets médicaux, les résidus radioactifs.

Interviewée sur ces ratés de l’information, une rédactrice répond : "L’eau à la télé c’est ennuyeux, les sujets de fond et de réflexion sur l’eau ne sont pas très "sexy". Un reporter proteste et trouve passionnante la question des enjeux stratégiques de l’eau mais il ajoute : "C’est invendable en conférence de rédaction".

"Ce n’est pas très audiovisuel et difficile à vulgariser. Les dossiers complets sur l’eau font décrocher l’audience, il faut une accroche actualité…". L’accroche actualité, cela peut-être une conférence internationale, mais même avec ce prétexte, cette occasion qui fait le larron, les rédactions répugnent à se lancer dans ces sujets de fond.

Des termes comme bassins hydrographiques, nappes phréatiques, zones humides ne déclenchent aucune réaction des ordinateurs des archives. Très rares sont les reportages consacrés aux grands barrages (à l’exception du barrage des "Trois Gorges"), à la pollution des grands fleuves et des estuaires.

On me dit que l’eau souterraine n’est pas visuelle, trop profonde…

Il faut pour construire un reportage des images, des explications simples, des experts qui sachent dire leur expertise en quelques secondes. Les spécialistes de l’eau sont toujours très spécialistes !

La planète est sur le point de marquer d’eau douce, l’humanité pollue, détourne, épuise ce patrimoine commun de la nature, des tensions liées à l’eau démontrent les conséquences sociales, économiques et politiques de sa rareté, mais le journal télévisé ne s’en émeut pas ou si peu !

L’eau source de vie est désormais une marchandise entre les mains de quelques géants de l’eau mais le public ne le sait pas. Suez et Vivendi, deux géants dont les sièges sociaux sont en France se partagent 70% du marché mondial et sont représentés dans 130 pays mais la télé n’en parle pas.

Les cartels privés de l’eau ont réussi à prendre le contrôle des réseaux de distribution de très nombreuses villes du sud, la privatisation de l’eau du robinet a provoqué une flambée des prix et de véritables "émeutes de la soif" mais la télé n’en a cure.

La Silicon Valley compte plus de nappes phréatiques polluées par les fabricants d’ordinateurs que n’importe quelle autre région américaine, mais les journalistes continuent de penser que l’industrie informatique est propre.

Les grands lacs sont à l’agonie, l’Amérique est à sec.

Ailleurs le Nil, le Grange, le Fleuve Jaune… , sont menacés.

La planète est en alerte rouge mais pour la télévision tout cela est normal.

C’est la routine. N’en parlons pas.

La télé connaît parfaitement l’or jaune, bien l’or noir, pas suffisamment l’or bleu. Elle est en retard sur son temps.

L’eau n’intéresse pas son public

Tout comme l’eau du ruisseau renseigne sur les pratiques du petit village qui le borde, l’eau télévisuelle révèle la télé sous un jour cruel : rivée à son audience, prisonnière de la dictature du factuel et de ses effets d’images, mais incapable d’expliquer, d’analyser, d’éclairer, de relativiser.

Observée sous le filtre de l’eau télévisuelle, la télé devient littéralement un petit écran focalisé sur l’anecdotique qui ignore que les véritables inondations ou sécheresses martyrisent surtout les pays pauvres.

Le journal télévisé a ses codes et ses règles. L’eau est fragile, et il n’est pas simple de filmer sa transparence et la complexité de ses enjeux.

Mais n’ayant pu, ou suffisamment su, parler des enjeux de ce monde et de la crise de l’eau douce, la télévision devrait au moins nous parler de nos robinets et de nos lavabos, d’eau propre et d’eau usée, de la responsabilité individuelle et collective.

En s’acquittant de son devoir d’information, la télévision pourrait remplir une mission d’éducation et transformer le téléspectateur consommateur, en consommateur averti, solidaire et soucieux de l’avenir de ses enfants, le transformer en éco-citoyen."

L’effet Hulot à la rescousse ?

Mais qu’on se rassure ! Notre excellente consoeur Claire Avignon du Journal de l’environnement nous apprenait le 10 octobre 2007 que le nombre de reportages consacrés à l’environnement dans le journal télévisé de TF1 avait atteint 110 en 2004, contre 45 en 1994 ! Encore était-ce avant l’assomption de Nicolas « Grenelle » Hulot. La suite de la brève parle d’elle-même :

« Ces données ont été recueillies par Suzanne de Cheveigné, grâce au soutien de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et de l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset).


Selon les conclusions de la chargée de recherche du CNRS, « l’environnement semble avoir acquis une plus grande légitimité puisqu’on n’hésite plus à annoncer explicitement la thématique, ce qui était rare en 1994 ».

Le recours aux experts s’est généralisé : en 1994, 51% des personnes interrogées dans les reportages étaient des « gens ordinaires » et seulement 27 % des experts. Inversement de tendance en 2004 avec 33% de profanes contre 48% d’experts.

Malgré l’importance prise par l’environnement, les sujets continuent à être placés à la fin des journaux, avec les sujets « légers ».

Pour plus de détails voir sur le site du Medad « Le thème de l’environnement dans les journaux télévisés » :

« Les problèmes environnementaux et leurs conséquences sur la santé publique promettent d’être parmi les plus importants auxquels sera confrontée notre société dans les années à venir. Une recherche cofinancée par l’Ademe et l’Afsset avait pour objectif d’analyser des discours médiatiques les concernant, ceux de l’information télévisée en l’occurrence, afin de mieux comprendre les processus par lesquels ces problèmes s’élaborent dans l’espace public, puis d’étudier la manière dont ces discours médiatiques sont reçus et interprétés par leur audience. Les résultats de ces travaux ont été présentés lors des « 3es rencontres recherche » de l’Ademe organisées en juillet 2007 à la Cité des Sciences et de l’Industrie de Paris. »

A SONG :

 Bella Ciao

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commentaires

1 Guerres de l’eau et guerre d’image(s) sur internet

Bravo encore pour cet article là ! Je lis régulièrement vos propos. Votre blog est devenu incontournable, d’utilité publique.

poste par wildo-archipelrouge - 2007-09-14@11:23 - repondre message
2 Guerres de l’eau et guerre d’image(s) sur internet

Tout pareil !

poste par 32janvier - 2007-09-14@15:44 - repondre message
vous aussi, reagissez!