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Faire disparaître les pesticides est une priorité absolue, par René Trégouet (*)
par Marc Laimé, 14 octobre 2018

Sénateur honoraire, créateur du groupe Prospective du Sénat, René Trégouet, pionnier du numérique, édite depuis près de vingt ans la lettre d’information RTFlash, dédiée à la science et à la technologie. Comme la majorité de ses homologues sénateurs, il a toujours témoigné de son attachement à l’agriculture française. L’éditorial qu’il signe dans la dernière livraison de RTFlash en revêt d’autant plus d’importance puisqu’il affirme sans équivoque, au fil d’une analyse approfondie de plusieurs publications scientifiques, tant françaises qu’internationales, que « faire disparaître les pesticides est une priorité absolue »…

« Une récente étude publiée dans la revue de référence « Environmental Health Perspectives » (EHP) est venue relancer le débat scientifique de plus en plus vif sur la question récurrente des effets délétères sur la santé humaine provoquée par une exposition simultanée, via l’alimentation, à plusieurs pesticides, y compris lorsque cette exposition reste en dessous des normes réglementaires en vigueur.

Conduits par des chercheurs de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), ces travaux montrent que des rongeurs mâles chroniquement exposés simultanément à six pesticides courants, même à des faibles niveaux, subissent des transformations métaboliques néfastes : forte prise de poids, augmentation du taux de masse grasse et apparition d’un diabète. Ces résultats sont d’autant plus importants qu’ils confirment ceux provenant de l’étude épidémiologique NutriNet.

Cette étude, qui porte sur les comportements alimentaires de plus de 50 000 personnes, a montré, en 2013 puis en 2017, que les plus gros consommateurs d’aliments provenant de l’agriculture biologique ont un risque sensiblement diminué de souffrir d’un surpoids ou d’une obésité et de développer un syndrome métabolique (précurseur du diabète de type 2), par rapport aux non consommateurs de ces aliments produits sans pesticides.

Pour parvenir à ces conclusions, ces chercheurs de l’INRA ont exposé pendant un an - une durée correspondant à 30 ans chez un être humain - des souris à un mélange de six pesticides courants - quatre fongicides et deux insecticides.

Les molécules choisies ont été retenues parce que ce sont celles que l’on retrouve plus fréquemment dans les fruits et légumes. Et le moins que l’on puisse dire est que les résultats de cette expérience interrogent.

Les chercheurs ont en effet observé qu’à partir de six mois d’exposition à ces substances, les animaux mâles présentaient un surpoids par rapport à leurs congénères du groupe témoin.

Autre constatation alarmante, ces mêmes animaux ont développé dès le quatrième mois une intolérance au glucose et présentaient, à l’issue de l’expérience, une hyperglycémie, ce qui correspond au tableau symptomatique du diabète.

En revanche, ces scientifiques n’ont pas constaté de dérèglement métabolique similaire chez les femelles. Comme le souligne Laurence Payrastre, chercheuse au laboratoire de toxicologique alimentaire de l’INRA (Toxalim), à Toulouse, et coauteure de ces travaux, « Nos travaux permettent de renforcer la présomption d’un lien de causalité entre l’exposition de la population à des pesticides et le risque de troubles métabolique ».

Il est intéressant de souligner que les conclusions de ces recherches vont dans le même sens que celles réalisées en 2013 par l’équipe de Brigitte Le Margeuresse-Basstinoni, chercheuse au laboratoire en cardio-vasculaire métabolique, à Lyon.

Ces précédentes recherches avaient en effet montré que l’exposition d’animaux à un cocktail constitué d’autres substances chimiques (Bisphénol A, phtalate, PCB et dioxines) provoquait, in fine, le même type de dérèglement métabolique.

Mais le principal enseignement de cette nouvelle étude de l’INRA est incontestablement qu’elle vient confirmer la réalité et la nature imprévisible de « l’effet cocktail » provoqué par une exposition conjointe à plusieurs substances chimiques, dont les effets, au lieu de s’additionner, semblent plutôt se multiplier.

Confrontés aux résultats convergents de ces différents travaux scientifiques très sérieux, l’Agence européenne pour la sécurité des aliments vient d’annoncer qu’elle avait demandé qu’une première évaluation concernant les effets cumulés d’un groupe de pesticides cibles dans la thyroïde et le système nerveux soit réalisée avant la fin de cette année.

Mais pour en revenir à l’étude de l’INRA, elle change notablement la donne en ce qui concerne l’identification et le poids des différents facteurs épidémiologiques impliqués dans le diabète. Cette pathologie touche à présent 425 millions de personnes dans le monde.

En France, c’est plus de 3 millions de personnes qui sont aujourd’hui traitées pour un diabète, pour un coût global dépassant les huit milliards d’euros par an. Il faut rappeler que 92 % des patients souffrant de cette maladie présentent un diabète de type 2 (non- insulinodépendant). Bien que les causes de cette maladie soient multiples, facteurs génétiques, alimentation trop riche et déséquilibrée, manque d’activité physique, on ne peut que s’inquiéter du fait que l’exposition aux pesticides pourrait bien constituer un nouveau facteur important, et largement sous-estimé, de risque de développer cette maladie.

Cette étude de l’INRA est également à rapprocher d’un autre travail publié il y a un an par des chercheurs de l’Inserm et de l’Université de Brunel à Londres. Cette équipe internationale a développé des modèles de prédiction mathématique des effets combinés des molécules, à partir de leur profil toxicologique. Ils ont rentré les données de 27 molécules, dont 7 médicaments, 14 molécules chimiques d’usage industriel (pesticides) et 6 molécules dites « socio culturelles » (alcool, caféine…).

Là encore, les chercheurs ont constaté que l’exposition simultanée à des doses très faibles de plusieurs perturbateurs endocriniens au cours du premier trimestre de grossesse pourrait entraîner un risque pour le futur appareil génital et reproducteur de l’enfant. Autre découverte de cette étude, les exacerbations des effets individuels des différentes molécules testées pouvaient aller jusqu’un facteur 1000…

Ce vaste travail de recherche, salué par la communauté scientifique internationale, a également eu le mérite de montrer qu’il est possible de prédire, en utilisant un logiciel adéquat, un certain nombre d’effets cocktails complexes, provoqués par l’interaction et la synergie de plusieurs dizaines de molécules.

D’une manière plus générale, un autre problème de santé publique très important doit ici être évoqué car il devient réellement préoccupant.

Il s’agit de la baisse constante de la fertilité masculine observée en Europe et en France depuis 50 ans. Une vaste étude épidémiologique publiée en juillet 2017 dans la très sérieuse revue Human Reproduction Update, montre en effet que le nombre moyen de spermatozoïdes des hommes dans les pays les plus industrialisés du monde a chuté de plus de moitié (52,4 %) en quarante ans, soit 1,3 % par an en moyenne.

Bien que ce niveau reste dans la fourchette fixée par l’OMS, cette baisse constante, sur une aussi longue période, inquiète gravement de plus en plus le monde scientifique et médical. La France n’échappe pas à ce phénomène dont les causes précises restent à ce jour inconnues.

L’Agence Santé publique France a ainsi confirmé, dans une étude publiée en juillet 2017 que les substances chimiques perturbatrices endocriniennes étaient impliquées dans l’augmentation des maladies liées au système hormonal

Dans ces recherches, l’agence a confirmé, en travaillant sur le syndrome de dysgénésie testiculaire (TDS), qu’entre 1989 et 2005, la concentration du sperme en spermatozoïdes a chuté de près d’un tiers (-32,2 %), soit près de 2 % par an en France. L’étude réalisée sur 26 609 hommes souligne que ces résultats « reflètent une altération globale de la santé reproductive masculine en France, et sont compatibles avec des changements environnementaux ou de modes de vie, parmi lesquels l’exposition croissante aux perturbateurs endocriniens de la population générale ».

Dans une autre étude, les chercheurs de Santé Publique France, de l’Hôpital Robert Debré à Paris et de l’Université Paris 7-Diderot, ont montré que ces perturbateurs endocriniens, contenus notamment dans les pesticides, pourraient jouer un rôle important dans le phénomène croissant de puberté précoce qui se manifeste par des signes de puberté avant l’âge de huit ans chez les filles et de neuf ans chez les garçons. La forme la plus fréquente observée est la puberté précoce centrale idiopathique (PPCI). L’étude souligne également que l’on observe des surincidences marquées de ces cas de puberté précoce dans les régions les plus riches en cultures agricoles permanentes.

Citons enfin une autre étude publiée en avril 2017 et dirigée par le Docteur Jing Liu, professeur associé à l’Université Zhejiang de Hangzhou en Chine. Ce travail a pu établir un lien entre l’exposition à des insecticides fréquemment utilisés dans l’agriculture et l’élevage, les pyréthrinoïdes, mais également dans des produits domestiques tels que certains sprays anti-moustiques ou les shampooings anti-poux, et une puberté précoce chez les garçons.

Dans ces recherches présentées dans le cadre du Congrès américain d’endocrinologie à Orlando, des chercheurs chinois de l’Université de Zhejiang à Hangzhou se sont penchés sur le cas des insecticides pyréthrinoïdes, et leur impact sur la puberté de 463 garçons chinois âgés de 9 à 16 ans. Ces scientifiques ont découvert qu’une hausse de 10 % de 3-PBA, un métabolite des pyréthrinoïdes, présent dans les urines des participants, était associée à une augmentation de 4 % des taux de LH (hormone lutéinisante) et FSH (hormone folliculo-stimulante).

En France, il faut rappeler qu’en dépit de la volonté des gouvernements successifs, la quantité totale de pesticides utilisés par l’agriculture a continué à augmenter de 5 % par an entre 2005 et 2010, avant de se stabiliser autour de 66 000 tonnes par an, ce qui fait de notre pays le 5ème plus gros consommateur de pesticides dans le monde, derrière la Chine, l’Argentine, le Mexique et l’Ukraine.

Ces chiffres montrent qu’on reste très loin de l’objectif du plan gouvernemental Ecophyto. Lancé en 2008, dans la dynamique du Grenelle de l’environnement, ce programme d’actions visait au départ à diviser par deux le recours aux pesticides d’ici à 2018. Face à cet échec patent, le plan Ecophyto 2, a repoussé à 2025 cet objectif pourtant nécessaire d’une réduction de moitié de la consommation de produits phytosanitaires dans notre pays.

Il existe pourtant, dans de nombreuses situations, des solutions alternatives efficaces à l’utilisation des pesticides, comme le montre l’ANSSA. L’Agence nationale de sécurité sanitaire alimentaire nationale a publié le 30 mai 2018 un rapport très intéressant, intitulé « Risques et bénéfices des produits phytopharmaceutiques à base de néonicotinoïdes et de leurs alternatives ».

Cette étude avait pour but d’évaluer les risques et les bénéfices des produits phytopharmaceutiques à base de néonicotinoïdes ainsi que leurs alternatives chimiques et non chimiques. Portant sur l’utilisation de 130 produits à base de néonicotinoïdes, cette étude de l’ANSSA montre que, dans 78 % des cas analysés, il existe au moins une solution alternative non chimique efficace et opérationnelle.

Ces conclusions encourageantes ne sont pas anecdotiques quand on sait, grâce à plusieurs études convergentes, que les néonicotinoïdes sont toxiques pour le système nerveux des insectes, et participent, avec d’autres facteurs, au déclin des abeilles en perturbant le sens de l’orientation de ces insectes qui emplissent une mission de pollinisation indispensable. La loi biodiversité a prévu l’interdiction des néonicotinoïdes en France depuis le 1er septembre 2018.

Heureusement, la recherche agronomique progresse à pas de géant et les chercheurs de l’INRA, dont les travaux sont hélas peu médiatisés, ont réalisé au cours de ces dernières années des avancées majeures dans la mise au point de nouveaux vecteurs naturels de lutte contre les maladies et parasites s’attaquant aux cultures. Par exemple, pour parvenir à éradiquer le cynips du châtaignier, une micro-guêpe originaire de Chine qui dévaste les exploitations en Europe, ils ont identifié un parasitoïde très efficace, le Torymus sinensis. Celui-ci est à présent utilisé à grande échelle avec succès depuis 2010 et les régions productrices de châtaignes ont retrouvé leur niveau de production d’il y a 10 ans.

Autre grande avancée de l’INRA, l’utilisation du trichogramme, une micro-guêpe parasitoïde qui va pondre ses œufs dans les larves des pyrales qui déciment le maïs. Ces trichogrammes pourraient bientôt protéger riz, canne à sucre, ou tomate sous serre. Il est également possible, pour lutter contre le carposcape, un ravageur des pruniers, d’utiliser des phéromones, hormones naturelles, qui vont perturber les vols des papillons.

L’INRA travaille par ailleurs sur une arme biologique ciblant le carpocapse de la pomme, une larve qui peut faire de gros dégâts sur les récoltes de ce fruit très consommé en France. Ces scientifiques ont réussi à acclimater un parasitoïde, Mastus ridens, issu du Kazakhstan. Celui-ci s’attaque avec efficacité à la larve et les premiers lâchers en verger devraient intervenir d’ici à 2019.

Mais cette lutte biologique contre les ravageurs et nuisibles, qui s’attaquent aux cultures, ne prendra sa pleine efficacité qu’en synergie avec trois autres outils en plein développement : la recherche de nouvelles variétés génétiques résistantes aux maladies et prédateurs, l’agriculture de précision et la robotique agricole.

La recherche agronomique peut à présent, grâce à de nouveaux et puissants outils, être beaucoup plus efficace en matière de sélection variétale, dont l’objectif est d’identifier des gènes, présents dans la nature, générant des résistances aux maladies. Le groupe coopératif français Limagrain vient ainsi de lancer une nouvelle variété de colza, baptisée Arcitect, combinant deux gènes de résistance au virus de la jaunisse du navet, causant des pertes importantes de rendement.

L’Inra de Clermont-Ferrand, en partenariat avec le laboratoire britannique de Rothamsted ­Research, vient pour sa part d’identifier, après quatre ans de travaux, un gène de résistance à la septoriose du blé, une redoutable maladie, qui se propage par les éclaboussures de pluie et le vent, et entraîne des baisses de production considérables sans traitement.

Autre outil majeur qui pourrait permettre une réduction sensible de l’utilisation des pesticides, l’agriculture de précision. L’arrivée massive des drones agricoles et la généralisation des systèmes d’aide à la décision constituent des avancées majeures dans cette direction.

C’est le cas de Mileos, un outil de prévision des risques de maladie des pommes de terre, associé à des stations de météo de la start-up Weenat. « Cet outil me permet de connaître précisément les risques de mildiou et de ne traiter qu’en cas de besoin », explique Paul Coisnon, céréalier à Outarville (Loiret).

Il faut enfin évoquer bien sûr l’apport décisif de la robotique agricole, dont les progrès sont impressionnants. Il existe à présent sur le marché une multitude de robots désherbeurs, comme ceux proposés par exemple par Naïo Technologies. Ces machines de plus en plus autonomes, polyvalentes et intelligentes, sont déjà présentes dans le maraîchage et sous serre.

Demain, elles seront également à l’œuvre en plein champ, dans tous les types de culture et en toute saison et les investissements qu’elles représenteront seront largement compensés par les économies que réaliseront les agriculteurs en matière de produits phytosanitaires et par l’impact très positif sur l’environnement (sol de meilleur qualité, nappes phréatiques moins polluées, air plus propre…).

A la lumière de toutes ces évolutions scientifiques et techniques, je suis convaincu qu’il est tout à fait possible de réduire considérablement, sur une génération, l’utilisation des pesticides, sans augmenter les coûts de production, et en conservant, voire en améliorant, les excellents niveaux de productivité agricole de notre agriculture.

A cet égard, rappelons que notre agriculture reste l’une des plus performantes au monde : alors que le nombre d’agriculteurs a été divisé par dix depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la production globale de céréales a été multipliée par quatre au cours de la même période et sur les vingt dernières années, même si cette production augmente moins vite, elle a encore progressé de 10 % pour le blé, 21 % pour le maïs et 32 % pour le colza.

Quant à la valeur nette de la production agricole de la France, elle a été multipliée par 5,5 en 50 ans, passant de 13 à 71 milliards d’euros.

Notre agriculture, encore archaïque au sortir de la seconde guerre mondiale, a su, au prix d’efforts d’adaptation considérables et en dépit d’une réduction sans précédents de ses effectifs, accomplir une formidable mutation historique et non seulement subvenir largement aux besoins alimentaires du pays mais devenir une source majeure d’exportations et de richesse économique pour la France, et je veux rendre hommage ici au monde agricole que je connais bien et rappeler cette vérité incontestable.

Mais aujourd’hui, notre agriculture est confrontée à de nouveaux défis, liés notamment à l’adaptation au changement climatique, à l’évolution de la demande des consommateurs, et à la nécessité de mieux intégrer la composante environnementale et sanitaire dans les modes de production.

Je suis certain qu’avec le soutien actif de l’État, des collectivités locales, mais aussi des consommateurs, nos agriculteurs sauront relever, comme ont su le faire leurs grands-parents dans les années d’après-guerre, ces nouveaux défis et sauront faire de leur métier une activité tournée vers l’avenir, pleinement respectueuse de l’environnement et de la nature et répondant aux nouvelles exigences des consommateurs et aux attentes de la société. »

(*) René Trégouet, sénateur honoraire, fondateur du Groupe de Prospective du Sénat.

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