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LES EAUX GLACÉES DU CALCUL ÉGOÏSTE
REMOUS
Eau et climat : pour un nouveau paradigme, par Maud Barlow (*)
par Marc Laimé, 1er mars 2020

Une nouvelle doxa s’est imposée en quelques années : le changement climatique serait à l’origine des bouleversements du cycle hydrologique, avec le lot de catastrophes en découlant. Dès 2013, l’essayiste canadienne Maud Barlowe s’élevait pourtant contre cette vision par trop simpliste et proposait une autre lecture de cette problématique.

« La plupart des spécialistes du climat assignent au gaz de serre issus de la combustion des carburants fossiles ainsi qu’à la pollution par le méthane des industries extractives et de l’élevage un rôle majeur dans le changement climatique. Et préconisent donc logiquement de réduire les émissions de CO2 en promouvant des sources d’énergie alternatives et durables.

On en conclut que le réchauffement impacte négativement les ressources en eau douce dans le monde, et c’est effectivement le cas. Le réchauffement provoque une évaporation plus rapide des lacs et des rivières, diminue les chutes de neige et fait fondre les glaciers.

Mais c’est oublier un peu vite les usages inappropriés des ressources en eau sont aussi à la source du réchauffement global et que les solutions à la crise doivent inclure la protection de l’eau et la restauration des bassins versants.

Car nous déversons des polluants en quantité considérables dans les ressources en eau brute, sur-exploitons les rivières et pompons les eaux souterraines fossiles anciennes plus vite que la nature ne peut les reconstituer. Des fleuves n’atteignent plus l’océan, des aquifères sont asséchés, les déserts se développent. Cinq cents scientifiques ont récemment averti que notre surconsommation collective de l’eau a fait entrer la planète dans un « nouvel âge géologique » – une « transformation planétaire” qui n’est pas sans rappeler le retrait des glaciers, il y a 11.000 ans.

Ces usages inappropriés affectent le climat de deux manières.

La première est le déplacement de l’eau de l’endroit où elle participait à des écosystèmes sains, qui contribuaient à leur tour à des cycles hydrologiques en bonne santé.

Les villes sont construites au-dessus de rivières et de ruisseaux enterrés.

L’eau y est détournée de son emplacement naturel dans les bassins versants et aquifères, que ce soit par l’irrigation intensive pour la production de nourriture – entraînant des pertes colossales par évaporation – et pour alimenter la soif des mégapoles, où elle est ensuite, dans le meilleur des cas, déversée comme un déchet dans des réseaux d’assainissement la conduisant finalement à l’océan.

Les eaux de surface sont déjà si polluées que nous exploitons les nappes phréatiques bien plus vite qu’elles ne peuvent reconstituées leurs réserves, ce qui demande des dizaines, voire des centaines d’années. Les prélèvements globaux en eau ont ainsi augmenté de cinquante pour cent dans les dernières décades et continuent d’augmenter de façon spectaculaire. Grâce à la technologie des forages de puits qui n’existait pas il y a une centaine d’années, les humains extraient maintenant sans relâche les eaux souterraines. Ce pompage des eaux souterraines dans le monde a plus que doublé entre 1960 et 2000, et est responsable d’une part significative de la hausse du niveau des mers.

Quand l’eau ne peut pas retourner aux champs, aux prairies, aux zones humides et aux cours d’eau suite à l’étalement urbain, aux mauvaises pratiques agricoles, au sur-pâturage et à la suppression des capacités de rétention d’eau des sols, la quantité réelle d’eau dans le cycle hydrologique local diminue, conduisant à la désertification des terres autrefois vertes.

Et quand le sol manque d’eau, il se réchauffe et échauffe l’air à proximité.
L’eau est également perdue pour les écosystèmes à la suite du « commerce virtuel » – à travers l’eau utilisée pour la production de cultures ou de produits manufacturés qui sont ensuite exportés. Plus de 20% de l’eau utilisée quotidiennement pour les besoins humains sont ainsi exportés hors des bassins versants. L’eau est également acheminée sur de longues distances pour des besoins industriels, laissant derrière elle des paysages arides.

Le second phénomène affectant le climat est la disparition de la végétation nécessaire au cycle hydrologique naturel. L’urbanisation, la déforestation et la destruction des zones humides affectent en effet la capacité de rétention d’eau des milieux naturels, conduisant à un déclin des précipitations sur les zones concernées.

Tout à fait logiquement, s’il n’y a plus rien de vert pour attirer la pluie, les systèmes nuageux vont plus loin, en créant un désert là où existait un écosystème vivant. Des études récentes confirment que lorsque les forêts sont abattues, les précipitations locales diminuent.

Aux Etats unis, dans la première moitié du XXème siècle, le « Dust Bowl » [1] a été provoqué par l’élimination rapide des prairies herbeuses, asséchant la terre superficielle, avant qu’elle ne soit emportée par le vent.

Le scientifique slovaque Michal Kravcik et ses collègues expliquent que le milieu vivant influe sur le climat principalement par la régulation du cycle de l’eau avec les énormes flux d’énergie qui y sont liés.

Les plantes, sujettes à l’évapo-transpiration, surtout des forêts, travaillent comme une sorte de pompe biologique, aspirant l’air humide des océans et le transférant à la terre sèche. Si la végétation disparait, le système naturel de régulation de la biosphère est interrompu. Le sol est érodé, réduisant la teneur en matière organique dans le sol, ce qui diminue sa capacité à retenir l’eau. Le sol sec qui a perdu sa végétation piège alors la chaleur solaire, ce qui augmente considérablement la température locale et cause une réduction des précipitations sur la région concernée. Ce processus détruit également la séquestration naturelle du carbone dans le sol et cause une perte de matière carbonée.

Comment faire revenir l’eau dans les territoires desséchés ? Il faut la restituer en conservant autant que possible l’eau de pluie dans l’écosystème afin que qu’elle puisse pénétrer le sol, réalimenter les nappes phréatiques, puis retourner à l’atmosphère pour réguler les températures et renouveler le cycle hydrologique.

Toute activité humaine, industrielle ou agricole doit se conformer à cet impératif. Ce projet pourrait par ailleurs employer des millions de personnes et réduire la pauvreté dans les pays du Sud. Nos villes doivent être entourées de zones vertes conservant l’eau. Nous devons restaurer les forêts et les zones humides – les poumons et les reins de l’eau douce.

Pour y parvenir, trois conditions doivent être réunies :

• Permettre à l’eau de pluie de rester dans les bassins versants locaux. Cela signifie qu’il faut restaurer les espaces naturels où l’eau de pluie peut tomber et où elle peut s’écouler. Cette rétention doit être favorisée à tous les niveaux : en prévoyant des toitures végétalisées sur les habitations et les immeubles de bureaux, en préconisant dans la planification urbaine de capter l’eau de pluie et les eaux d’orage pour les rendre à la terre, en la récupérant au cours de la production de denrées alimentaires…

• Nous ne pouvons pas continuer à exploiter les nappes souterraines à un rythme supérieur à celui de leur reconstitution naturelle. Les extractions ne peuvent pas excéder les recharges, de même qu’on ne peut pas prélever un compte en banque sans y mettre de nouveaux dépôts. Les gouvernements devraient entreprendre des recherches intensives sur les réserves d’eau souterraine et réglementer les prélèvements avant que ces réserves ne disparaissent. Ce qui induit des changements radicaux dans la politique d’exportation de la production nationale et locale.

• Nous devons enfin cesser de polluer nos sources d’eau superficielle et souterraine, et transcrire cette intention dans une législation stricte. La sur-exploitation de l’eau dans l’extraction de pétrole, la production de gaz méthane et l’exploitation minière doivent cesser. Nous devons réorienter les pratiques de l’agriculture industrielle à base de produits chimiques et écouter les nombreuses voix sonnant l’alarme autour de la ruée vers les cultures agricoles pour les biocarburants, très gourmandes en eau.

Des investissements massifs dans les infrastructures d’eau douce et d’eau usée devraient aussi permettre de sauver d’énormes volumes d’eau perdus chaque jour à cause de réseaux vétustes ou inexistants.

Plus de deux milliards de personnes vivent déjà dans des régions du globe soumises au stress hydrique. Jusqu’à maintenant, la plupart des gouvernements ont fait face à cette réalité avec un programme d’exploitation croissante des ressources en eau souterraine. Mais les niveaux actuels de ces prélèvements ne sont pas viables. Réaliser vraiment le droit universel à l’eau et protéger en même temps l’eau pour la nature, entraîne une révolution dans la façon dont nous traitons les ressources en eau finies du monde. Il n’y a pas de temps à perdre. »

(*) par Maud Barlowe

Blue Planet Project

Council of Canadians

New York, 20-23 septembre 2013

NOTE : La version intégrale de cet article a été publiée sous le titre « Notes pour l’International Women’s Earth and Climate Summit » :

http://www.fame2012.org/fr/2014/03/12/surconsommation-de-leau-chaos-climatique/

[1] Dust Bowl (« Bassin de poussière ») est le nom donné à une série de tempêtes de poussière, véritable catastrophe écologique qui a touché, pendant près d’une décennie, la région des Grandes Plaines aux États-Unis et au Canada dans les

Lire aussi :

 Eau et résilience : la stratégie des dominants en question

https://wsimag.com/fr/economie-et-politique/61408-eau-et-resilience

Riccardo Petrella, 5 mars 2020.

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