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LES EAUX GLACÉES DU CALCUL ÉGOÏSTE
REMOUS
Comment les politiques publiques de l’eau pourront-elles éviter la faillite ?
par Marc Laimé, 8 septembre 2009

La question n’est provocante qu’en apparence. Les sempiternels débats sur le « prix de l’eau » sont l’arbre qui cache la forêt. A l’horizon des 10 prochaines années, le modèle historique de financement du service de l’eau, assis sur la facturation à l’usager domestique des volumes d’eau potable consommés ne permettra plus d’assurer le financement du service public de l’eau, qu’il soit géré en régie ou par des entreprises privées. Ce débat est essentiel, crucial, mais demeure aujourd’hui confiné à de discrets cénacles. Déjà plusieurs alternatives sont à l’étude. Un large débat public doit impérativement s’ouvrir autour d’une nouvelle définition des missions d’intérêt général confiées aux exploitants du service public de l’eau.

Après que le directeur général de Veolia Eau, M. Antoine Frérot, ait rompu le premier l’an dernier l’omerta sur cette question brûlante, le débat s’enrichit de nouvelles contributions, qui permettent d’apprécier l’urgence d’une inévitable évolution du financement des politiques publiques de l’eau.

Ainsi le Conseil économique, social et environnemental (CESE), a-t-il adopté le 5 mai 2009 un avis intitulé « Les usages domestiques de l’eau », présenté par M. Paul de la Viguerie.

C’est le second avis que le CESE consacrait en quelques mois à la question de l’eau, après celui présenté en décembre 2008 par Mme Marie-Josée Kotlicki, intitulé « Les activités économiques dans le monde liées à la gestion de l’eau ».

Le rapport précité de M. Paul de la Viguerie a le mérite de synthétiser les questionnements qui se font jour aujourd’hui sur « l’évolution des missions d’intérêt général confiées aux exploitants » :

« Le modèle économique des opérateurs des services d’eau, qu’ils soient publics ou privés, est remis en question par la baisse tendancielle des volumes consommés, comme constaté au chapître 1.

(Depuis le début des années 90 on constate une baisse continue des volumes d’eau consommés. En 2007, la baisse des volumes d’eau consommés a été de 4 %. Cette orientation se retrouve également dans d’autres pays et villes d’Europe. La consommation a baissé de 16,5% à Berlin et de 11% à Paris sur une période de 10 ans, de 1995 à 2005).

« Plus profondément, la remise en question du modèle économique des services d’eau tient à l’évolution des missions d’intérêt général confiées aux opérateurs.

« Dans le passé, les services d’eau ont été rémunérés par la croissance des volumes consommés parce que cette croissance des consommations d’eau correspondait à un objectif d’intérêt général : améliorer la protection sanitaire des populations desservies, allonger l’espérance de vie des habitants des grandes villes d’Europe Ces objectifs ont été largement atteints avec la révolution « hygiéniste » de la fin du XIXème et du début du XXème siècle.

« Désormais, sans bien sur renoncer aux objectifs de santé publique, une nouvelle mission de préservation de la ressource et de limitation des prélèvements est demandée aux opérateurs des services d’eau. »

Trois modèles de financement pour l’avenir

« Trois pistes de réflexion peuvent être imaginées pour concilier ces nouvelles missions d’intérêt général avec les modes de financement des services :

 Une première piste est liée à une délimitation plus précise du périmètre des services d’eau. Les missions et prestations extérieures au service d’eau, telles que la gestion des eaux pluviales, la restauration du milieu aquatique ou la lutte contre les inondations, devraient être à la charge du contribuable et non à celle de l’abonné. Dans cette optique, le financement des services d’eau et d’assainissement serait mixte ; majoritairement à la charge de l’abonné pour ce qui concerne le service d’eau et d’assainissement au sens strict ; à la charge du contribuable pour les autres missions extérieures au périmètre du service d’eau.

 Une deuxième piste consiste à rémunérer directement l’opérateur en fonction des performances exigées par la commune. Un tel système est susceptible de conduire à une augmentation de la part fixe des recettes de l’opérateur. La condition nécessaire à ce mode de rémunération est la définition d’indicateurs de mesure de la performance pertinents, par exemple comme l’amélioration du rendement du réseau. La concrétisation de cette piste dépendra en partie de la capacité de l’ONEMA à concevoir des indicateurs de performance utilisables par les communes, d’autre part à fiabiliser la remontée des informations fournies par les exploitants des services d’eau.

 Une troisième piste est de dissocier les volumes vendus des volumes prélevés. C’est l’un des avantages de la réutilisation des eaux usées. La rémunération de l’opérateur reste proportionnelle aux volumes d’eau facturés aux consommateurs. En revanche, ces volumes d’eau facturés sont indépendants des volumes prélevés sur la ressource. En d’autres termes, la réutilisation des eaux usées est une nouvelle ressource, qui permet de concilier maintien du mode de rémunération de l’opérateur et exécution de sa nouvelle mission d’intérêt général visant à sauvegarder la ressource naturelle

« La mise en œuvre de ces différentes pistes d’évolution du modèle économique des services d’eau est conditionnée par une décision de l’autorité organisatrice du service d’eau. Il ne saurait y avoir de solution unique, mais il y aura des solutions diverses. Il n’appartient pas à ce stade au Conseil de préconiser une piste plutôt qu’une autre.

« Le Conseil affirme que cette mission d’intérêt général ne peut pas être rémunérée par un accroissement des volumes consommés et facturés.

« Il recommande en conséquent que les collectivités locales et l’ensemble des parties prenantes initient une réflexion pour la mise en place de nouveaux modes de rémunération des services d’eau et d’assainissement, qui soient cohérents avec l’ensemble de leurs missions d’intérêt général. »

Service public versus marchandisation

On perçoit immédiatement que seule la première option, une nouvelle péréquation entre la facture acquittée par l’usager, et l’impôt, acquitté par le contribuable, qui prendrait en charge la gestion des eaux pluviales, la restauration du milieu aquatique ou la lutte contre les inondations, sera garante de l’intérêt général, et pourrait mettre un coup d’arrêt aux ambitions dévorantes de Veolia, Suez et Saur qui, constatant l’effondrement de leur modèle économique historique, affichent désormais clairement leurs ambitions dans le domaine de la gestion de la ressource elle-même.

On comprend donc mieux à cette aune pourquoi la nouvelle doctrine des opérateurs privés affirme haut et fort que l’avenir est au « re-use », à la gestion active de la ressource, comme à un nouveau mode de rémunération des opérateurs, découplé des volumes consommés, mais qui engage à une « amélioration » des performances du service délégué, sous forme de « contrat d’objectif », évalué par les mêmes, bien sur ! Avec l’indispensable concours de représentants de la « société civile » mobilisés à cet effet.

Un exemple parmi des dizaines d’autres : depuis le 6 juillet 2009, la ville d’Agde mène une expérimentation afin de recycler les eaux usées en eau d’arrosage pour ses espaces verts. Cette opération nécessite un traitement plus approfondi de l’eau. Une nouvelle plate-forme a donc été installée sur la station d’épuration de la commune. L’équipement, conçu et géré par la Lyonnaise des Eaux, utilise une technique particulière : l’ultrafiltration par membranes. L’eau circule sous pression dans des tuyaux poreux qui retiennent particules et bactéries. Elle est ensuite chlorée et stockée. Le contrôle de l’efficacité du système repose sur les éléments suivants : résidu de chlore et qualité de l’eau recyclée, effets de l’irrigation sur une pelouse-test et fonctionnement du système de traitement. La plate-forme d’essai produit en moyenne 20 m3 d’eau chaque jour. La législation actuelle impose une distance de 50 à 100 mètres entre les systèmes d’aspersion d’eau réutilisée et les habitations et voies de circulation. Les collectivités souhaitant développer le recyclage de l’eau espèrent donc un assouplissement de cette règle. 



Que veulent les maires ?

On mesurera pleinement, et la nature du danger, et le forcing opéré par les grandes entreprises du secteur pour imposer leur nouvelle doxa à la lecture du compte-rendu du dîner-débat organisé le 30 juin 2009 à la Maison de l’Amérique Latine à Paris par l’Association des Maires des Grandes Villes de France (AMGVF), la Fédération des maires des villes moyennes et les Eco-maires, en collaboration avec Suez Environnement sur le thème « Gestion du service public de l’eau : que veulent les maires ? ».

Sous couvert « d’aborder concrètement et sans détour les arguments d’un système de gestion pouvant aller du tout public au tout privé », ce débat dessinait lui aussi en creux la nouvelle doctrine de Suez, qui opte on le verra très clairement pour les 2ème et 3ème options d’évolution du financement des politiques de l’eau évoquées ci-dessus…

On l’aurait deviné. On sera surpris par ailleurs par les prises de position d’un certain nombre de « grands élus » de gauche…

Autant d’éléments qui confirment l’urgence de voir s’engager un débat de fond sur l’avenir du financement des politiques publiques de l’eau.

Nous sommes sur le Titanic et l’orchestre continue à jouer. Jusqu’à quand ?

Le compte-rendu du dîner-débat

Lire aussi :

Pourquoi le prix de l’eau va continuer à augmenter

Actu-environnement, 5 octobre 2009.

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