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NE PAS CLIQUER
LES EAUX GLACÉES DU CALCUL ÉGOÏSTE
VAGUES
Comment calculer le « prix » de l’eau ? (3)
par Marc Laimé, 28 novembre 2006

Quoique égaux en principe face au service public de l’eau et de l’assainissement, les usagers peuvent en fait éprouver les effets de situations et dispositions qui pourront faire passer le montant de la facture du simple au double. Ces différences sont parfois justifiées, d’autres non. L’incompréhension découle d’une carence d’information et d’une opacité hélas récurrentes.

Aujourd’hui l’obligation de moderniser les réseaux, dans certains cas anciens et peu performants, la nécessité de construire des usines de traitement de plus en plus sophistiquées, ne permettent pas d’envisager à court terme une baisse des tarifs. Bien au contraire, même si l’objectif immédiat vise la stabilisation de la part des usagers domestiques. Mais pour admettre le maintien des redevances à un niveau suffisant pour répondre aux besoins de tous, il faudrait clarifier les rôles des divers acteurs et établir les conditions de la transparence dans la gestion de l’eau, tant pour les services d’eau potable que pour les divers usages de la ressource.

Car les exemples d’inégalités "structurelles" face au prix de l’eau abondent. Ainsi de la "partie fixe" de la facture d’eau. Un "véritable fourre-tout", puisque les collectivités locales ont pris la fâcheuse habitude d’inclure dans cette "partie fixe" certains investissements, des garanties contre les impayés, ou encore les charges de renouvellement des réseaux. Ce qui introduit une disproportion importante entre la facturation au volume et celle au forfait. Les propositions émises de longue date d’encadrer strictement cette "partie fixe" de la facture se sont jusqu’ici heurtées aux arguments des communes touristiques, qui font supporter à l’ensemble de leurs abonnés les investissements nécessaires à l’alimentation en eau des touristes aux périodes estivales. Le projet de loi sur l’eau examiné par le Parlement dans le courant de l’année 2006 propose l’encadrement de cette part fixe, mais sa mise en oeuvre est liée à l’adoption définitive d’une loi... en chantier depuis 1998, sous l’égide des 5 ministres de l’Environnement puis de l’Ecologie qui se sont succédés depuis lors.

Autre exemple préoccupant, la facturation des usagers qui résident en habitat collectif. Les collectivités locales et les grandes entreprises privées du secteur qui détiennent un monopole sur 80% du service public de l’eau en France font preuve depuis des décennies d’un laxisme, intéressé, qui a fini par exaspérer les usagers. Car si l’information des usagers est désormais une obligation légale elle demeure très souvent de piètre qualité. Au-delà des insuffisances du rapport annuel du délégataire, les informations à l’attention des usagers ne sont adressées qu’aux seuls abonnés, si bien que les locataires ou copropriétaires d’immeubles soumis à un seul abonnement sont privés d’une partie des données communiquées. Le systême de l’abonnement collectif est pratiqué par de nombreux délégataires qui font ainsi des économies pour les relevés, la facturation et le recouvrement, au détriment de l’usager qui ne connaît même pas le niveau réel de sa consommation, et n’est donc pas incité à la réduire...

Concrètement la facture est envoyée aux seuls abonnés, et non à chaque usager. Dans les immeubles collectifs, les locataires ou les copropriétaires qui consomment l’eau ne reçoivent pas de facture puisqu’ils paient l’eau parmi leurs charges au prorata de leurs "tantièmes", ou parfois du nombre d’habitants déclarés du foyer. Ils sont donc privés de toute information sur sa qualité, comme sur son prix, et même sur la quantité qu’ils utilisent ! Une circulaire du 8 juin 2000 de la Direction de l’eau du Mate et du secrétariat d’Etat au Logement prévoyait pour les HLM et sociétés d’économie mixte la pose de compteurs d’eau pour chaque appartement, de matériels destinés à l’économie d’eau ainsi que le recensement des fuites. L’objectif étant d’atteindre 10% à 15% de réduction sur les factures d’eau. Reste qu’une trop forte baisse des consommations peut aussi poser des problèmes sanitaires lorsque la réduction des volumes livrés entraîne une augmentation du temps de séjour dans les canalisations et la dégradation de l’eau acheminée... Dès lors on peut par exemple redouter une épidémie de légionellose. De même, pour équilibrer leur budget, les distributeurs peuvent compenser la baisse du volume par une augmentation du prix ou des redevances, si bien que l’usager peut n’y trouver aucun avantage !

En l’état pour l’heure le consommateur qui voudrait réagir face à une facture d’eau aberrante n’est pas au bout de ses peines. Ce sera à lui, par exemple, de prouver la défaillance d’un compteur ! Rien n’interdit en principe de contester une facture jugée anormale auprès d’un distributeur. Sauf que la Cour de cassation a jugé en 1999 qu’il ne suffit plus à l’abonné d’établir, documents à l’appui (anciennes factures, compte rendu de visites de contrôle) qu’il n’a pas autant consommé et qu’il n’existe aucune fuite sur son installation. Il devra, en plus, apporter la preuve formelle qu’il ne doit pas la somme réclamée. Et donc pouvoir prouver le mauvais fonctionnement d’un compteur ! Car les tribunaux considèrent que les enregistrements d’un compteur ne constituent qu’une "présomption" de la consommation, dont l’usager doit donc apporter la preuve contraire... Bien sur on peut demander au distributeur de vérifier notre fameux compteur. S’il apparaît qu’il fonctionne correctement l’intervention sera d’ailleurs facturée. Au-delà recourir à une expertise, qu’elle soit amiable ou qu’elle intervienne dans le cadre d’une procédure judiciaire, excède le plus souvent la capacité de l’usager lambda. Qui n’a donc que fort peu de chances de pouvoir contester avec succès une facturation aberrante.

Lueur d’espoir toutefois, les nombreux travaux accomplis ces dernières années permettent d’imaginer un resserrement des coûts progressif. Ainsi l’application de normes de qualité de l’eau de plus en plus sévères devraient peu à peu conduire à un rapprochement des prix de revient. Le coût et la complexité croissante des traitements indispensables pour assurer une fourniture en eau de bonne qualité peuvent favoriser la gestion des services dans le cadre de l’intercommunalité.

Dans le même ordre d’idées, tant la sécurité de l’approvisionnement que l’application de sévères normes antipollution vont favoriser l’interconnexion des réseaux, gage d’un rapprochement des tarifs. De même l’harmonisation des méthodes de facturation devrait-elle favoriser l’égalité de traitement des usagers. Manière de progresser vers une facturation plus équitable quand on sait que dans certaines communes aux canalisations particulièrement vétustes on enregistre des rendements qui n’excèdent pas 50 à 60%. En clair l’usager va y payer, sans le savoir, les 30 à 40% d’eau potable qui s’échappent des canalisations en mauvais état !

Les consommateurs d’eau s’accordent généralement pour considérer que le prix de l’eau est illisible, et la note... trop salée. Certains instruments, encore trop peu utilisés, comme les Commissions consultatives des services publics locaux, créés par une loi de 1992, mais qui n’existent que dans moins de 30% des communes qui devraient s’en être dotées, leur permettent pourtant déjà d’en savoir plus.

Reste que la gestion de l’eau, ses usages, la fixation de ses coûts et de son prix renvoient à des données si complexes que la société civile, les consommateurs, les associations, sont encore loin d’avoir accompli les efforts nécessaires pour se doter d’une expertise réelle en ces matières. Seul moyen de peser réellement sur des enjeux qui engagent le modèle de société dans laquelle nous voulons vivre.

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